On le sait, on entre au firmament des « Vieilles » Gloires du grand écran à (presque) tout âge mais après un quart de siècle de carrière ponctuée de premiers rôles ou de meilleurs seconds rôles. Or donc, que vient faire ici Robert Creel Davis, dit Brad ? Avec seulement une douzaine de films en 24 ans ? Attendez, on vous explique…
Franchement, ce n’est pas vraiment la faute de Brad Davis s’il est passé, à quarante ans, à la postérité pour avoir été le premier acteur un peu connu et hétérosexuel à mourir du sida. D’abord, il n’est pas mort du sida mais d’une overdose volontaire, entouré de sa femme et de… là, faudrait savoir, et je n’ai pas trop cherché. Pas forcément d’un amant. Certainement d’une ou d’un ami très proche. Si on lui posait la question de sa présumée bissexualité, il répondait évasivement qu’au fond, « ne le sommes-nous pas toutes et tous ? ». Ou quelque chose qui bottait en touche. Sa femme, Susan Bluestein, et leur fille, Alexandra, l’ont toujours considéré hétérosexuel. Ce qui est sûr, c’est qu’il était très attaché à elles et qu’il avait été très certainement très amoureux de la belle et talentueuse Susan (agent d’acteurs et assistante réalisatrice). Il avait 41 ans lors de son suicide, en 1991, car il se sait séropositif depuis 1985 et qu’il en est au stade terminal. Alors, on lui pardonne ses trois ou quatre années manquantes pour faire un quart de siècle de carrière au cinéma.
Lorsque Susan Bluestein voit arriver le sémillant Robert, il se présente en tant que Bobby Davis. Elle ne crie pas à l’imposture car nous sommes en 1973 et que Bobby Davis ne sera un gangster que plus tard, pour le film Sheba, Baby (1975, Villiam Girdler). Pam Grier y est « la Panthère noire de Harlem » (sous-titre de la version portugaise), Bobby Davis n’apparaît que tout en bas du générique. Mais il a déjà été scénariste, réalisateur, depuis 1966. Brad Pitt, lui, n’a pas encore tourné ses tout premiers films (ce sera pour l’année 1987).
Va donc pour Brad Davis. C’est un sudiste avec l’accent, le charme, la distinction du vieux Sud. Mais c’est aussi une sorte de « Midnight Cowboy » (1969, John Schlesinger, avec Jon Voigt et Dustin Hoffman), en plus déjanté. Sa carrière sera ponctuée d’excès, de bamboches, et de stupéfiantes esclandres… sous influence, comme on dit pudiquement pour des esclandres… stupéfiantes. Ou plutôt « stupéfiants » car esclandre est un substantif masculin. Mais, au fond, ne sommes-nous point toutes et tous de genres ambivalents ?
En tout cas, son interprétation d’un trafiquant de haschisch dans Midnight Express (1978, Alan Parker), ou plutôt « du » trafiquant, car William Hayes, que Brad Davis interprète, a vraiment existé, et il a bien été condamné, en 1970, à 30 ans de détention, dont cinq effectués avant son évasion via la Grèce.
Cette rubrique des Vieilles gloires dorées ne vise pas à vous narrer ce que m’évoque une actrice, un film, mais à vous porter à vous remémorer vos émotions d’alors (voire à nous en faire part en commentaires…).
Mais il faut quand même que je vous aide à resituer l’époque. Et la Turquie de l’époque. En 1967, jeune « beatnik » ou se voulant tel, je me retrouve à rejoindre en auto-stop Georges Delay, un angevin qui, lui, est allé voir une amie en Scandinavie pendant que visite des proches en Roumanie. Le stop en Bulgarie ne marche pas fort, j’arrive un jour en retard – à bord d’un autobus à plate-forme réformé par la RATP qui fait voiture-balai pour pas mal de routards – au lieu de rendez-vous. C’est le motel-camping d’Edirne. George, qui en est à son second voyage en Turquie, est inconnu du réceptionnaire. Ben, j’irai donc le retrouver à Istanbul. Manque de bol, à Istanbul, au Gulane Oteli, pas plus de Georges qu’ailleurs. Au Gulane, on dort sous une grande toile de tente – ce n’est pas Byzance, hein ! –, on s’éclaire aux feux servant à chauffer le haschisch, entre autres, et le muezzin nous réveille. Afin de poursuivre vers Kaboul ou Katmandou, on peut trouver à s’employer en faisant les méchants pirates ou les vilains sbires à rapières dans des films dont le héros est un vaillant janissaire, par exemple. Cela tombe bien, nous avons les cheveux longs et clairs. Nous pouvons aussi passer des Mercedes vers l’Iran. Pas de George alors que j’ai mon visa du Royaume d’Afghanistan sur mon tout premier passeport.
Le Gulane Oteli, on le retrouve dans l’hilarant Travels with my Aunt (Voyages avec ma tante), écrit en 1969 par Graham Greene. Il est bien possible que j’ai pu croiser Graham Greene pendant que George remontait une rue stambouliote parallèle. En tout cas, je retrouve une copine française, connue l’année précédente à Londres, sur le rond-point de Piccadilly Circus. Elle s’est fait piéger ! Des Turcs, qui l’ont embarquée à Munich, lui ont fait mentionner plein de gadgets électroniques sur son passeport. Elle ne le sait pas encore, mais au retour, elle sera bloquée, obligée de rétribuer un avocat, et elle ratera la session de rattrapage du baccalauréat (c’est, alors, en septembre).
Grâce à Humbert Curcuru, un « pied-noir tunisien » qui deviendra par la suite un peintre étasunien pas trop mal coté, je ne toucherai jamais aux drogues dures. Je lui désigne un couple de Français plutôt délabrés, qui vaticinent, s’offrent de se piquer mutuellement. Froidement, il estime que, dans une semaine, ils seront morts. J’estime qu’à seize ans, pour moi, c’est bien jeune pour mourir. Humbert, qui n’est guère plus vieux (il est né en janvier 1949, et il a donc 18 ans en juillet 1967), sera mon compagnon de voyage. De retour à Angers, on me lira la dernière lettre de Georges, disparu du côté de Trébizonde (Trabzon). De jeunes imbéciles – j’en étais un autre, mais différent – racontent qu’il est mort empalé : ils n’ont jamais quitté papa-maman, il leur faut du romantisme. Toujours est-il que j’étais loin d’être le benjamin de la route vers l’Asie. À Téhéran, je trouve un jeune anglais : il a 14 ou 15 ans, il va vers Singapour où il compte embarquer pour l’Australie et y rejoindre sa famille.
C’est vous dire si, pour certaines et certains, l’aventure de William Hayes n’en est pas une. C’est monnaie courante. Les cadavres, sur les routes turques, iraniennes, afghanes, du Pakistan, c’est banal : ils ont vendu leur sang, il fait chaud, ils se noient dans des fontaines, frappés d’hydrocution. Ou leurs chaussures font un peu trop envie. Et quant à la police turque, elle considère que nous faisons tache dans un paysage touristique qu’elle veut réserver à des « congés payés » venus avec leurs comités d’entreprise et des Graham Greene (qui peut aussi descendre dans des palaces ou venir aux frais du British Council).
Regardez bien Brad Davis. Dans les conditions de l’époque, son regard vous hante longtemps. N’importe qui, à l’époque, se voit planter du haschisch ou de la poudre dans la poche (c’est arrivé encore hier, enfin, avant-hier, à un touriste français en Thaïlande), ou, comme de nos jours, un « antique » caillou, devenu, au poste de police, un monument national. J’ai pas mal d’amis turcs, des intellectuelles ou des gens très cultivés, vraiment très européens, qui ont du mal à comprendre que les gardes à vues de plus de 24 heures aient augmenté en France de plus de 70 % depuis 2001 (Nicolas Sarközy les fait progresser de 200 000 environ dès son arrivée à l’Intérieur, en 2002). Et quand ils voient comment un Julien Dray peut s’enrichir, ils doutent que ce soit une bonne idée de faire entrer leur pays dans une Europe aussi « république bananière ». On peut les comprendre…
Brad Davis… C’est aussi un fameux homosexuel… à l’écran. Dans une pièce de théâtre, The Normal Heart, où il incarne, en 1985, un malade du sida, et dans deux ou trois autres pièces. Il devient surtout Georges Querelle, le marin bisexuel de Querelle (1982, Rainer Werner Fassbinder), adapté du roman de Genet. Je ne sais plus qui interprète le ripou Mario, mais je me souviens que Fassbinder meurt d’une overdose peu après le tournage. Genet ne verra pas le film en France. Même en Angleterre, on ne peut plus fumer dans les salles de cinéma, alors le cinéma se passe de Genet.
À la ville, Brad Davis est un invétéré, voire induré, coureur de jupons, un womanizer, dit sa femme, qui le retrouve à chaque fin de tournage, comme après le Rosalie Goes Shopping (1989, de Percy Adlon, avec Marianne Sägebrecht). Son dernier rôle, dans Hangfire (1991, Peter Maris), sera celui d’un sheriff, ancien du Nam, dont la femme a été prise en otage. Comme l’a dit en substance, beaucoup plus tard, sa veuve : on ne choisit pas de naître, la vie nous prend en otages, mais on peut choisir sa mort…
Son frère, Gene (ou parfois Eugene) Davis, est lui habitué aux rôles de sheriff. Mais on l’avait vu dans l’un des quatre nanars américains de Roger Vadim (qui tourne avec lui Jeux érotiques de nuit, en 1980, mais aussi, avec d’autres, Si tu savais fillette – Pretty Maids All in a Row – The Hot Touch, et une minable adaptation de Et Dieu créa la femme). Mais c’est une autre histoire. En fait, non, c’est
Avec Brad Davis, nous avons vécu de grands moments de cinéma. Merci Monsieur Davis.
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BRAD-DAVIS-LE PLUS GRAND ACTEUR DE SA GENERATIONS-avec un jeux a la marlon-brando.!!!j’ai ete fan.