Selon des gazettes, la vidéo de Rachida Dati employant « fellation » au lieu de « inflation » aurait déjà été vue, quelques heures après sa diffusion, plus de deux millions de fois. Pratiquement tous les sites de la presse « sérieuse » mondiale (hors Iran et autres pays sourcilleux) l’ont reprise. Dans un genre finalement « voisin », le discours du ministre helvète des Finances devant le Bundesrat (parlement fédéral suisse), est en passe de se valoir la même popularité. Mais qui donc surpassera celle de Nicolas Sarkozy, apparemment éméché, devant le G8 ?

Rappelez-vous, c’était début juin 2007. Nicolas Sarkozy fait son entrée dans la salle de presse attenante à celles du sommet du G8 de Heiligendamm. Rien ne transparait de son attitude dans la presse française, mais quand la télévision belge diffuse le début de la séquence (avec ce commentaire : « il n’avait pas bu que de l’eau »), la presse mondiale s’empare de l’incident. Le vrombruissage (buzz) enfla si fort qu’il en devint tonitruant.

 

Dimanche dernier, c’est Rachida Dati, ancienne Garde des Sceaux, qui commet un lapsus quasi-lacanien entre « fellation » et « inflation ». Dans un article pince-sans-rire à propos du manifeste des Économistes atterrés , je n’ai pu m’empêcher de la citer (à propos et à juste titre) en me livrant (hors de propos) aux calembours et billevesées (sur le Saint-Chrême et autres) que cela m’inspirait. Et puis, on passe à autre chose. Quelle ne fut pas ma surprise, lundi matin, en consultant le site du très sérieux et quasi-prude quotidien L’Alsace, de voir Rachida Dati en tête de page d’accueil. Sans ce fameux lapsus, l’actuelle maire parisienne et députée européenne, n’ayant jamais eu le portefeuille du Budget ou des Finances, aurait peut-être eu droit à une brève, voire un « écho » (brève développée). À croire qu’elle l’a peaufiné sciemment, ce lapsus qui lui vaut de nouveau une notoriété mondiale. Der Spiegel, et bien d’autres titres internationaux, ont répercuté « l’info » éco ; d’écho en échos.

C’est passé plus inaperçu en France, mais c’est en bonne place sur le site d’El Mundo (Espagne) que j’ai visionné l’hilarante intervention d’Hans Rudolf Merz, le ministre suisse des Finances. « El ministro que hace reír a media Europa », titre El Mundo. C’était hier ; depuis, la versión YouTube a fait le tour du monde. On voit Hans Rudolf Merz lire un discours préparé par les techniciens et juristes de son cabinet : il pouffe, puis rit franchement, se reprend, et hilare, prend à témoin les parlementaires suisses pliés de rire. Le discours porte sur la réglementation des « délices de bouche » et autres charcutailles importées ou exportées. Mais le jargon technique évoquant les saucissons, saucisses, jésus de Morteau, chorizos, rosettes (sans aucune allusion déplacée), wurste und zervelawurste et delikatessen genre andouilles, est truffé de rhétorique technocratique.

 

Pour El Mundo, c’est du Harpo et Groucho Marx que le ministre n’arrive pas à « débiter » en gardant son sérieux. Son laïus est haché de rires. Les salaisons deviennent des sujets pour Langue sauce piquante (le blogue des correcteurs du Monde). Et le monde germanophone de s’esclaffer. C’est en fait un « rubricard » d’une agence allemande qui, à Berlin, au congrès du Parti libéral, a entendu se bidonner bruyamment des parlementaires dans une salle voisine. Risquant une tête, il se fait expliquer la scène et les raisons de l’ébaudissement général. « “Tienes que ver el vídeo”, dice un diputado todavía desternillándose y con lágrimas en los ojos, » traduit El Mundo. 300 000 personnes, dans la journée ayant suivi la première diffusion sur YouTube, avaient déjà visionné Hans Rudolf Merz passant à la postérité, non pour sa défense du secret bancaire, ni pour sa négociation avec la Lybie pour la libération d’otages suisses, mais pour un discours sur… les embutidos et autres préparations en peau et boyaux naturels ou embossées dans des enveloppes artificielles. Tentez d’évoquer la métabiose de la flore bactérienne et l’art. X, alinéa y de la loi du … et jetez le premier calcul rénal porcin au ministre.

 

Le Bureau de la Traduction de la Commission européenne avait lancé une campagne et un site Fight the Fog (use plain English). Dans le maquis embrumé des sites de l’Union européenne, je n’ai pas retrouvé ce site dédié que je consultais régulièrement naguère pour tenter de contrer le « foisonnement » de mes traductions. Google et ses méandres vaporeux ne m’ont guère plus guidé dans le labyrinthe des sites de linguistes et terminologues. Les sabirs de l’« Eurolingo », cette novlangue multiforme, portent parfois à rire, rarement autant que récemment au Bundesrat helvète. Stéphanie Germanier, du Matin (.ch), a estimé : « ce seront finalement les termes de la «viande séchée » qui suivront le conseiller fédéral dans sa retraite. ». « Si j’ai ri, c’est que je n’ai pas tout compris ce que je vous ai dit, » a traduit 24 heures. Là, je crois que je ne vais pas me relire… Et puis, pour le « foisonnement » en traduction, je vous laisse chercher (voir supra, bon courage…).

 

Le fameux « Écrire pour être lu… », thème de multiples formations et stages, est parfois contreproductif lorsqu’il s’agit de législation et de rapports techniques. Industriel, vous risquez de produire des tonnes de pièces non-conformes, refusées par les acheteurs, si vous vous en tenez au « bon sens commun » et ne comprenez pas les préconisations de vos interlocuteurs étrangers qui n’auraient pas été assez précis. Mais si vous entendez l’allemand, tentez de trouver une version sous-titrée (sur Wat.tv) de l’intervention du ministre. Ce doit être encore plus hilarant. Tous les présents se gondolent.

 

De Nicolas Sarkozy, peut-être dès 2013, on ne retiendra sans doute que le « cass’ toi pôv c.. » et sa diction qui désole, voire « navre » (blesse vraiment, fait périr) Neuilly-Auteuil-Passy et l’Académie française (sans parler des Québécois, Belges, Suisses et autres Francophones respectueux de la langue commune). Faute d’un Waterloo ou d’un Dien-Bien-Phu (évitons, ici, Trafalgar ou Mers-El-Kébir) dans la passe de Khyber (propice à Alexandre le Grand, fatale à William Elphinstone), on ne voit pas vraiment en quoi il aura marqué l’histoire. Le nom de G. W. Bush, dont les facéties, calembours involontaires, pataquès, ont fait florès, restera associé à l’Irak. La crédibilité de Nicolas Sarkozy est telle que, s’il décidait une offensive majeure envisagée fortement meurtrière en Afghanistan, l’État-major se mutinerait avant même les officiers supérieurs, les subalternes, les gradés et le rang. Mais peut-être, entre amies et compères, se repassera-t-on sa conférence de presse du G8. Il ne faut pas désespérer du personnage : peut-être arrivera-t-il à surpasser Rachida Dati et Hans Rudolf Merz avant la fin du quinquennat ?

 

D’Éric Besson, ne retiendra-t-on que le « Capri, c’est gratuit… » de Stéphane Guillon ? Il a raté une occasion qu’on se souvienne de lui en ne rossant pas Nicolas Beau de Bakchich (et son chef de cabinet en n’étant pas muni d’une caméra vidéo). Il lui reste un débat parlementaire sur l’immigration pour tenter, à l’oral, un rattrapage. Mais plus généralement, on se souviendra que son fameux « nègre » (le premier Noir major de sa promotion de Saint-Cyr), et le plus renommé « Que d’eau, que d’eau ! » de Mac-Mahon, auraient, à présent, pour vecteur une vidéo. Que de vide, que de vide, parfois, véhicule la vidéo !