Bien sûr que tout va reprendre comme avant à Spanghero, Lur Berri, Arcadie Sud-Ouest, &c., après quelques mesures prises discrètement ou pour la galerie spectaculairement (mais surtout peu lourdes de  conséquences réelles).
En Belgique, l’hebdomadaire Moustique, qui sortira demain mercredi un dossier sur le scandale de la viande de cheval, établit que déjà en 2011, les autorités belges savaient que des trafics similaires étaient florissants.
Mais comme dans l’affaire de la choletaise Colvi (frappée de sanctions en 2007), il était urgent d’attendre et de ne pas trop bousculer les protagonistes trop fort.

Le procureur belge Vincent Cambier a confirmé que l’affaire que révèle l’hebdomadaire Moustique en était bien resté au stade l’instruction. « Il s’agit bien d’un trafic de viande de cheval d’envergure avec des ramifications en France et en Allemagne » : alors que les deux derniers pays en date touchés par les affaires Findus, Picard, Nestlé, &c., sont le Portugal et la Slovénie, en 2011, c’étaient déjà la Belgique, et d’autres pays dont des sociétés plaçaient en douce des centaines de tonnes de viande de cheval dans les assiettes.

Parmi les protagonistes, en 2011, un maquignon chevalin luxembourgeois (de la province Belge du Luxembourg), inculpé pour tromperies diverses et usages de faux, mais aussi des abattoirs flamands et wallons, une demi-douzaine au moins. Leurs directions ne sont pas en cause, mais, selon le parquet belge, leurs vétérinaires sont largement mouillés.

Il s’agissait de chevaux malades, accidentés, bourrés de traitements divers. Moustique ne révèle pas le nom du négociant du Luxembourg belge dont l’exploitation et le domicile avaient été perquisitionnés. Des certificats relatifs aux chevaux sont saisis, et il apparaît vite que certains avaient été falsifiés pour que leurs cadavres échappent à une coûteuse incinération.

Un cadavre de cheval incinéré, c’est au moins cent euros de débours pour l’éleveur ou le propriétaire. Alors qu’un abattoir peut en donner plus de 600 euros (et au moins 800 si la bête semble très saine, vigoureuse, &c.). Le bénéfice est donc de l’ordre de 700 euros par tête.

Au Royaume-Uni, la certification est quelque peu laxiste, et une société associative a récemment vu son agrément retiré. En Belgique, c’est plus complexe et le carnet sanitaire de l’animal doit être rigoureusement tenu. Arrivé à l’abattoir, le vétérinaire est tenu de consulter ce carnet, de l’examiner, et de vérifier que la bête présentée correspond bien au numéro attribué, à la description, &c. En cas de doute, c’est l’incinération et un manque à gagner.

En se fournissant en France, en Allemagne (ou ailleurs), en cas d’absence de documents d’origine suffisamment détaillés, la Confédération belge du cheval procède à une estimation, confiée à un vétérinaire. C’est à ce stade que des carnets maquillés auraient permis d’introduire de véritables carnes dans le circuit de la viande de cheval.

« Les puces dont certains chevaux allemands étaient équipés (une puce similaire à celle que portent les chiens) ont été remplacées, » avec d’autres, de provenance luxembourgeoise; indique Moustique.

On ne sait combien de chevaux ont « bénéficié » de cette clémence leur valant d’entrer dans la chaîne alimentaire et surtout depuis quand la fraude avait débuté. Aux environs de Neufchâteau, il y a dix marchands de chevaux.

Jusqu’à présent, toutes les grandes marques, tous les grands distributeurs, et pratiquement tous les gouvernements européens ont assuré que dans les affaires irlandaise, britannique et française, aucun risque pour la santé n’avait été décelé. Admettons, mais auparavant ?
L’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca) en Belgique était parfaitement au courant des faits et de leur ampleur décelée, mais ce fut motus. La mouche du coche des consommateurs, ce sera Moustique.

En France, l’affaire Colvi, avec des ramifications du côté d’Arcadie Sud-Ouest et Lur Berri, remonte à fin 2006. Elle est « bizarrement » encore instruite (les magistrats instructeurs sont les premiers à se plaindre de n’avoir pu déjà aboutir). En revanche, à Marseille, comme il ne s’agissait que de fournisseurs et bouchers de viande halal, avariée, sept gérants et vendeurs sont passés en jugement et condamnés fin décembre dernier. Aucun n’était conseiller général ou suppléant de député.

L’Avenir (.net) indique aussi pour sa part que des éleveurs de chevaux « des régions de Liège et Dendermonde » (cela fait déjà du monde, et peut-être du plus beau linge), « seraient aussi visés ».

La justice belge n’a pas vraiment à dire (le peut-elle techniquement vraiment ?) vers quelles centrales de traitement, puis vers quels pays, ces carnes impropres à la consommation ont fini. 

Or donc, on nous a rabâché qu’il n’y avait pas de risque sanitaire. La semaine dernière encore, jeudi,  Nestlé assurait que tout allait bien. Ah, mais à présent, Nestlé Suisse indique qu’il ne s’agissait d’évoquer alors que la seule Suisse. En Suisse d’ailleurs, Migros, pas encore désigné, se montre à présent plus prudent. Walter Huber, son directeur, indiquait : « personne n’est immunisé ». On avait fini par s’en douter très fort. Pourtant, Migros de fournit en viande suisse de proximité à 92 %. Imaginez les autres.

Souvenirs, souvenirs…

Voici quelques décennies, au siècle dernier, donc, lorsque j’étais garçon vacher dans l’Illinois, près de Lorraine, l’éleveur qui m’employait ne perdait pas de temps à récupérer de bons morceaux à l’abattoir : il achetait en supermarché local, des quartiers entiers. Environ 700 « bêtes à cornes » (en fait, hors reproducteurs charolais, des variétés sans cornes surtout) passaient des prés à la stabulation sur ce ranch. Quant nous avons eu vachette malade, souffrant d’un œil à moitié arraché, nous n’avons pu la sauver. Elle fut enterrée au bulldozer (ces ranches étaient fort bien équipés en matériels, silos, &c.), dans un coin à l’écart où ne paissaient pas les bestiaux.
C’était à une époque et dans un pays où la chaîne naisseurs, engraisseurs, &c., et l’élevage quasiment en batterie n’était pas prédominants.

En fait, c’était une toute autre époque. Hier, lundi, la ministre allemande de la Consommation Use Aigner révélait que la viande de cheval et de porc se retrouvait aussi dans des kebabs, à Berlin et Leipzig, à la suite de révélations du Berliner Zeitung. L’Allemagne se propose d’aller plus loin que les directives européennes. Mais aussi de relever le niveau des sanctions.

Au Pays de Galles, la télévision Cymru Wales signale que, ce mardi soir, c’est Oak Farms Foods qui retire à son tour des produits fournis par Castel Howell, un nom jusqu’à présent inconnu du reste de la presse britannique.

Sans les contrôles des autorités sanitaires en Irlande, aurait-on jamais eu vent de l’affaire judiciaire belge ? Il suffit d’audiencer subtilement pour que les affaires ne finissent jamais par être rendues publiques par la presse. Par ailleurs, la première alerte, c’était le 16 janvier dernier en Irlande. Un mois plus tard, Nestlé découvre à son tour…

La fable de Jean de La Fontaine, Les Animaux malades de la peste, revient en mémoire : « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » (ainsi que la chute : « selon que vous soyez puissants ou misérables, les jugements de cour… »).

Au Royaume-Uni, deux, trois fois par jour, de nouveaux noms apparaissent depuis quelques jours. En France, il n’est uniquement question que de Spanghero. La comparaison n’a rien d’insolite : que fait le gouvernement pour contrôler d’autres chaînons de la chaîne ? Au salon de l’Agriculture, ce sera de nouveau « embrassons-nous, Folleville » ?

En fait, il n’y a pas que le cas belge. The Sun révélait que le directeur de la FSA britannique avait alerté le gouvernement d’alors voici déjà deux ans ! En cause, le système de dévolution de la certification de la viande chevaline et les carnets sanitaires. Le ministre de l’époque a répliqué qu’il n’avait jamais été mis au courant du rapport. Mais il y a bien quelqu’un qui l’a placé sous son coude.

Comme sans doute, dans divers pays, d’autres affaires, qui en cette période propice, ressurgiront… ou plus vraisemblablement non, ou alors de manière éparse.

Communiqué des autorités belges

Sitôt diffusées les informations de Moustique, ce mercredi, la ministre de l’Agriculture belge, Sabine Laruelle, a fait savoir que les chevaux faisaient bien l’objet d’une fraude quant à leur certification, mais qu’ils ne présentaient pas de risque sanitaire. Dans ce cas, pourquoi avoir maquillé leurs certificats ?

En fait, en Belgique, indique La Libre Belgique, il y aurait trois instructions en cours pour fraude dans l’identification des chevaux. Celle de Neufchâteau, mais aussi celles de Termonde et d’Anvers, selon l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca). Et en France, dont le territoire est largement plus étendu que celui de la Belgique ?
« L’affaire évoquée par l’hebdomadaire Moustique est totalement distincte du scandale Spanghero où de la viande de cheval a été substituée pour des raisons économiques à de la viande de bœuf », assure l’Afsca. Aucun animal malade ne serait rentré dans la chaîne. Admettons. Mais des animaux traités pour des maladies et guéris ? Car dans le cas de la « blute » (traitement anti-douleur), les chevaux ne sont pas présentés malades aux abattoirs.
En 2012, il n’y aurait eu, en Belgique, que deux cas de chevaux de provenance néerlandaise ayant présenté de faibles traces médicamenteuses.

Quant à la viande de cheval mélangée à celle de bœuf en Europe, après la Scandinavie, la péninsule ibérique, la Slovénie, voici à présent la Tchéquie avec des produits Nowaco élaborés au Grand duché du Luxembourg.

On ne comprend pas trop. D’un côté, le procureur Vincent Cambier indique un lien avec l’affaire Spanghero (une « même problématique »), de l’autre L’Afsca dément : « c’est totalement distinct ». Question : l’Afsca aurait-elle mal informé la justice belge ?

Le ministre belge de l’Économie, Johan Vande Lanotte, a rassuré : seuls les produits prélevés dans les rayons ont donné des tests positifs, donc tous les produits actuellement dans les rayons belges, selon les contrôles qui se sont poursuivis sur le réassort, sont indemnes.

Mais n’y aura-t-il vraiment plus rien à voir et à circuler serein entre les rayons, en Belgique et en Europe ? Panorama (.it) rappelle opportunément que des pizzas Buitoni, confectionnées en Allemagne pour Nestlé, avaient été retirés du marché suisse l’hiver dernier : elles contenaient des particules métalliques.

En tout cas, après l’Europe, et les derniers en date mais sans doute pas ultime pays à être touchés, la République tchèque, mais aussi Gibraltar (la nouvelle vient de tomber à l’instant ce mercredi : la chaîne Morrisons procède à des retraits), c’est à présent l’Asie qui commence à être concernée : la chaîne Park’n’shop de Hong-Kong a retiré diverses préparations Findus de ses rayons. Elles provenaient de la Comigel. Qui ne se fournissait sans doute pas chez Spanghero.