La seule valeur travail que reconnaît Nicolas Sarkozy, c’est celle de l’argent qui travaillerait « tout seul ». Mais, pour l’expliciter, il faudrait un Mélenchon que ni l’électorat populaire de Sarkozy, ni celui de Hollande, n’est plus capable de vraiment comprendre. D’ailleurs, cette campagne n’est nullement politique : hormis côté Mélenchon et Front de Gauche principalement, c’est une succession de petites phrases, d’idées jetées en l’air, nullement de réflexions.

De la réflexion, il y en a, en coulisses, entre Hollande et Jacques Attali, par exemple, entre Sarkozy et Christian Noyer, gouverneur de la banque de France, autre exemple.

Mais on a tellement traité l’électorat en imbécile qu’il est devenu quasiment abruti. L’électorat dit populaire de Sarkozy ne croit plus à ses promesses mais considère encore que, sans lui, ce sera pire…

Pour le reste, il peut dire n’importe quoi, qu’importe. Pour le même électorat, chez Hollande, il est pressenti que cela sera moins pire, moins épouvantable.
Donc, idem. Les jeux sont faits.

Chez Bayrou, Cheminade, Joly, Mélenchon, &c., c’est légèrement différent.
Il est tenté d’accompagner l’électorat dans ses choix par quelques exposés et des raisonnements politiques, une implication dans la démarche, et non la seule fervente adhésion au candidat.

Peu importe, le pire est sûr. Personne ne pourra faire progresser de sitôt le pouvoir d’achat et le bien-être (ce qui n’est pas la même chose) du plus grand nombre. Absolument personne. Mais les mécanismes projetés peuvent conduire à une toute autre répartition des nécessaires efforts… Même un scénario à l’Argentine implique qu’une amélioration sensible du jour au lendemain est un leurre. Sur la durée, c’est autre chose…

Rémunérations, pouvoir d’achat, bien-être

Les faits sont têtus et l’Insee établit de nouveau (on le savait déjà) que la corrélation bas coût du travail et performance, compétitivité, ou chômage, est loin d’être une donnée univoque. Sarkozy ne l’ignore pas, mais que lui importe, il balance des slogans.

Le voilà qui veut supprimer la prime pour l’emploi instaurée par Lionel Jospin pour instaurer une exonération totale des cotisations de sécurité sociale pour la tranche en deçà de 1,2 Smic. Comment compenser ? Par d’autres ponctions, ailleurs. Pour quel résultat ? D’une part, rien n’oblige les employeurs de remonter d’autant les salaires réels ; les nominaux, certes. C’est un peu comme les exonérations (la niche) fiscales des journalistes, depuis réduite : elle a permis de peser sur le montant des salaires. Là, il suffit d’embaucher des gens à 1,19 % du Smic pour un travail beaucoup plus qualifié, en faisant valoir que, en valeur absolue, ce n’est pas si mal.

Ce qu’est censé comprendre un terminale ES (éco-social), c’est que salaire et pouvoir d’achat ne sont pas liés de la même manière pour tous. Si l’augmentation de revenu est forte, oui, le pouvoir d’achat progresse… pour les plus fortement augmentés, soit toujours pour l’échelon intermédiaire et les hauts-salaires. Si ce n’est le cas, la progression est très vite annulée par la hausse des prix. Sans blocage des prix, vous pouvez doubler le Smic, cela ne fera pas progresser le pouvoir d’achat.

Lequel « pouvoir de consommer » n’assure pas le bien-être si les conditions de travail, de transport, d’accès aux soins, si la qualité des services, ne vont pas de pair.

Autre idée de Sarkozy, obliger les titulaires du RSA à 28 heures de travail par mois. C’est ce qui est fait au Royaume-Uni, avec les effets pervers que cela suppose (voir « Le S(h)arko chômage, crème anglaise »), et qui sont de plus en plus dénoncés. Mais qu’importe, sur le papier, cela flatte une partie de l’opinion. Les artisans et prestataires de services sarkozystes applaudissent, sans voir ce que cela implique pour leurs chiffres d’affaires. Ni ce qui se répercutera sur leur imposition locale : ce qu’ils percevaient en prestations qu’ils ne fourniront plus leur sera facturé par ce biais. Car il faudra bien encadrer toute cette nouvelle main d’œuvre, lui fournir des locaux, des fiches de paye (légère, la paye, mais coûteuse à gérer), &c. Sarkozy « Oh oui ! Oh si, encore ! », reprennent-ils en chœur.

Cette mesure signifie aussi ce que tout le monde sait : il ne peut y avoir de véritable travail pour tout le monde, et un volant de chômage d’un cinquième est estimé raisonnable par le Medef et le ministère du Travail (bien sûr, pas question d’afficher 20 % de chômeurs ; donc, on maquille).

Pour le reste, soit la modération des très hauts salaires, les retraites chapeaux et les parachutes dorés, ce qu’il sort de son chapeau n’est pas très neuf et il avait au moins deux ans pour l’appliquer. On sait donc ce qu’il en sera : dérégulation et moindre coût du travail pour les employeurs, oui, assurément, tandis que le reliquat des mesures restera lettre morte ou aisément contournable par les mieux rétribués pour les efforts des autres.

Pomper les mêmes

La réalité du sarkozysme, c’est en cette mi-février qu’on la constate. La rémunération du Livret A devait passer à 2,75 % au 1 er février. Christian Noyer a décidé, certainement pas seul, qu’on en resterait à 2,25. Cadeau, d’abord, aux banques et à l’assurance privée dont les produits de base (pas ceux réservés aux plus riches) n’assurent, au mieux, qu’un rapport de 2,6 % après prélèvements. Double cadeau pour les banques qui ne sont nullement obligées, jusqu’en… mai 2022, de reverser les trois-quarts de la collecte à la Caisse des dépôts. La Banque postale joue le jeu (100 %, moins des frais de gestion, reversés), tout comme les Caisses d’épargne (80 %). Les autres améliorent leurs fonds propres ou prêtent à des taux bien supérieurs ce qu’elles obtiennent à bas prix, sous le niveau de l’inflation.

De plus, la destination annoncée de la collecte est, totalement ou presque, détournée, déviée, vers un soutien à la capitalisation des grandes entreprises ou des grands établissements financiers, via la Bourse, vers du rachat de dettes souveraines dans la zone euro (16 %, estime La Tribune), vers des affectations qui n’ont rien à voir avec le logement social.

Les bénéficiaires du système sont les PPP, les partenariats public-privé, et la finance.

Là, il ne s’agit pas de promesses, mais du concret, de l’actuel, de l’immédiat.

Mais l’électorat sarkozyste pense que c’est indolore, que leur épargne stagnante ne représente pas un manque, non pas à gagner, mais à moins perdre du fait de l’inflation, du renchérissement des prix, du coût des services (transports, notamment, frais postaux, &c.). Dormez, braves gens.

Se plier ou endurer

Sarkozy peut bien avoir une « nouvelle » idée, voire deux, trois, quatre par jour. Et de plus radicales et réformatrices encore.

Il fait de plus en plus penser à un imam qui lèverait l’interdiction sur la viande de porc, à condition qu’elle soit sacrifiée halal, et que lui et ses amis étendent les revenus de leur dime. Mais plus cela change, finalement, rien ne change, ou toujours dans la même direction.

Je ne crois guère que, si Mélenchon était élu, il hausserait tout de suite le Smic à 1 700 euros (brut), mais ce serait au moins envisageable si la grille des salaires était effectivement réduite de un à 20, comme le propose le programme du Front de Gauche (sans parler d’autres mesures). Il y aurait bien sûr des effets pervers (des salariés déclarés à mi-temps dans les TPE, effectuant quasiment un temps plein, en espérant progresser lentement ; des petits patrons, qui ne se rémunèrent plus à ce niveau, vont saler leurs factures). Mais sa démarche est au moins pédagogique : quand on répartit, il faut qu’une partie perde ce que l’autre gagne. On n’en sort pas.

Que dit François Bayrou de la réforme voulue par Sarkozy (suppression de la prime Jospin, allègement des charges pour les bas salaires) ? Cela consisterait « à prendre aux pauvres pour donner aux pauvres. Ce qu’on va redistribuer – soit disant, dit-on – c’est ce qu’on aura pris déjà à des aides et des allocations. ». Dommage qu’il ne l’explicite pas davantage.

Bayrou serait, selon l’Ifop, le candidat préféré : 65 % de bonnes opinions. Mais le vote « utile » fait que… Il est populaire selon quoi ? Sa bonne tête. Et un programme « sympa », sur le mode des autres programmes, avec beaucoup de « yaka » (produire en France), « faukon » (innover, par exemple).

C’est évacuer un peu vite la question de la création de plus-value dans un contexte où, souligne Mélenchon, naguère, la rentabilité industrielle à 5 % de l’an était estimée confortable alors que la financière actuelle doit au moins atteindre les deux chiffres (10 et plus) pour satisfaire.

Mélenchon a un mérite : réintroduire la notion de classe, du « classe contre classe ». Il ne s’agit plus de faire dégorger les riches : même la Chine y renonce. Mais de ne plus entretenir l’illusion du trickle down (seaux de profits au sommet, gouttes à la base). Bayrou et Hollande veulent la corriger, Sarkozy, quoi qu’il puisse dire, la maintenir. Mélenchon tend à la dissiper.

En quelques mois, il peut se faire entendre, en une décennie écouter et comprendre. La suite l’aidera : ce n’est pas avant 2023 que la France pourra de nouveau rentrer dans les bonnes grâces des marchés. Soit on s’y pliera, soit pas. Soit ce sera insupportable, soit encore endurable.

Avec un Sarkozy qui n’a protégé, et ne protègera, que les très riches, cinq ans seront très, très longs.

Voulez-vous un exemple très, très concret ? Comparez, à Paris, depuis la baisse de la TVA à 5,5 % dans la restauration, l’évolution de la carte du Fouquet’s et des plats du jour dans les rues fréquentées des quartiers les plus populaires : c’est inversé. L’une grimpe, le prix des autres, au mieux, stagne, voire régresse légèrement, en fonction de la loi de l’offre et de la demande. Fouquet’s, menus « à partir de 78 € » (sur le site de la « brasserie populaire », en fait 85 constatés). Bas du Xe ar., plat du jour tombé à 8,50 € ou maintenu à 9,50 ou 10,50 ; dans les deux cas, pas vraiment d’embauche (au singulier pour les uns, car aucune ; peut-être au pluriel pour l’autre) supplémentaire. Et chez Flunch, c’est 5,20 euros. Cela, au moins, vous pouvez le vérifier par vous-mêmes. Et depuis que le menu du Fouquet’s a été « revalorisé », vos revenus, à vous, ils en sont où ? Et votre pouvoir d’achat, et votre bien-être ?

Ah, quand même, rajoutons cette dernière de Sarkozy : « en sauvant les banques, nous n’avons pas sauvé les banquiers, mais l’épargne des Français… ». Desquels ? Vraiment trop drôle, mais ils applaudissaient, les sarkozystes, alors qu’il y a de quoi hurler de rire, se taper sur les cuisses, et se pisser dessus. D’autant qu’on n’a pas fini, nous, les épargnants, de sauver Dexia et d’autres banques. « Réguler la finance, c’est ce que nous faisons depuis cinq ans ! », a-t-il ajouté. Mais non, mais non, depuis son passage au ministère du Budget, voyons ! Soit depuis 1995. Cela fait donc 17 ans, comme tout le monde a pu s’en apercevoir… Ah oui, « il faut du courage pour dire la vérité ».