La presse internationale fait état depuis plusieurs semaines des difficultés rencontrées par le président américain, dont l’état de grâce s’est désormais achevé, à créer un consensus autour d’une réforme de l’assurance-maladie. Le projet initial porté par les démocrates les plus progressistes consiste à étendre la couverture médicale en faveur des 47 millions d’Américains qui n’en ont pas, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer une assurance privée, soit qu’ils s’en soient fait éjecter, et qu’ils ne sont pas éligible aux maigres programmes fédéraux qui existent déjà. L’idée d’un pôle public d’assurance-santé et d’une réglementation plus poussée des pratiques de ce secteur heurte de front les intérêts des assureurs privés, qui ont déclenché la puissance de feu de leurs lobbies, dans les médias comme auprès des élus politiques. Du côté des partis, justement, la levée de boucliers contre la réforme Obama provient non seulement des Républicains, qui se déchaînent, mais aussi de certains démocrates plus conservateurs. Cette violente opposition (Obama a été comparé à Hitler !) témoigne de quelque chose de profond : « Les Etats-Unis d’Amérique sont sans doute le seul pays au monde où les gens sont prêts à prendre les armes parce que quelqu’un a osé dire : Même santé pour tous », s’amuse l’écrivain Bernard Cohen. En effet, la moindre « prétention à apporter une certaine logique à système de santé chaotique est perçue comme une tentative d’instauration du socialisme marxiste » !  (1)

Si la réforme n’est pas encore enterrée, il semble que les démocrates progressistes auront du mal à obtenir une majorité à la Chambre comme au Sénat, qui seule permettrait au projet de « passer » sous sa forme la plus ambitieuse. Pourtant, il s’agit là d’un combat essentiel, qui résume la priorité que les pouvoirs publics devraient accorder à l’intérêt général, contre les intérêts privés qui se drapent dans une rhétorique néolibérale très classique. Expliquons-nous : une des plus grandes conquêtes de la social-démocratie, après la crise de 1929 et la Seconde guerre mondiale, a été la généralisation de couvertures sociales protégeant les individus de la maladie, des accidents de la vie et du vieillissement. Au cœur de cette volonté de protection se trouve la conviction que celle-ci passe par la solidarité : « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Autrement dit, les bien-portants paient pour les malades selon leurs facultés, étant entendu que personne n’est à l’abri de rien. Le système est juste car les sommes que chacun reverse dans un système collectif et public sont dérisoires par rapport à celles impliquées par des soins importants. Cette solidarité est universelle : personne n’est exclu du système, même le plus démuni. Cela répond à un souci d’éthique mais aussi d’efficacité, comme nous allons le voir un peu plus loin. Or, la vague néolibérale du tout-marché a évidemment cherché à emporter ce genre de système, dont une partie au moins relève d’un monopole public. La comparaison des systèmes publics et privés enseigne pourtant que la plus grande efficacité est atteinte par les premiers.

La comparaison France-Etats/Unis est à ce titre, très éclairante. Ceux qui déplorent que le niveau des prélèvements obligatoires est élevé en France se pâment devant celui des Etats-Unis. C’est oublier que si les dépenses de santé publiques sont comptées dans les prélèvements obligatoires en France, les dépenses de santé privées ne le sont pas dans ceux des Etats-Unis. Or, si l’on additionne les dépenses de santé « public+privé », on s’aperçoit qu’elles sont proportionnellement plus élevées aux USA que dans notre pays. Et cela pour un résultat plus mauvais ! Aux USA, le coût des soins a explosé, tout comme les tarifs des assurances privées (dont une grosse partie est consacrée au lobbying !). Conséquence : 15% de la population n’est pas couverte, tandis que la majorité des faillites personnelles sont dues aux dépenses de santé (2). En 2000, une étude de l’OMS mesurant l’efficience des dépenses de santé positionnait les USA en 72ème position, derrière la Grèce ou l’Albanie, tandis que la France se hissait dans les cinq premiers (3). D’autres classements internationaux plus récents jugeant de la qualité des systèmes de santé place le français en 1ère position, mais  l’américain en 37ème, alors que « par tête d’habitant, c’est le pays qui dépense le plus, près de deux fois plus que la France » (4).

Ce genre de considérations incite à réfléchir à deux fois avant d’opter pour une privatisation des dépenses de santé, une pente vers laquelle semble incliner la majorité au pouvoir en France. La socialisation, dans des domaines bien précis, n’est pas forcément un gros mot…

(1): Libération du 24 août 2009, pages « Rebonds ».
(2): Charlie Hebdo du 12 août 2009, « Le casse-tête du Dr Obama » par Sylvie Coma.
(3): Les Econoclastes [2004], Petit bréviaire des idées reçues en économies, La Découverte, p. 150. (4): Marianne du 22 août 2009, « Les anti-Obama lâchent les chiens » par Guy Sitbon.