Du temps de Moise, vivait un ermite assez spécial.Il priait, ce fou, jour et nuit, tout nu, debout, par tous les temps.Une aussi franche dévotion aurait dû le conduire au moins à la sérénité de l’âme.Eh bien, non il n’allait pas bien.

Cet ermite avait une barbe.Une belle barbe d’argent. Il en était assez content. Il la peignait chaque matin, chaque soir avant de dormir il la lissait sur sa poitrine.

Elle était en ce triste monde son unique satisfaction. Or Moise vint à passer, un soir, devant sa hutte basse.

O Moise, lui dit le barbu misérable, je prie, je me laboure l’âme, et vois, je ne récolte rien.Pas la moindre faveur d’En- Haut, pas la moindre lueur d’extase.Toi qui es proche de Dieu, peux tu lui demander pourquoi il en est ainsi ?

Compte sur moi, lui dit Moise .

Il s’en fut voir le Bien Aimé, lui exposa l’étrange cas de cet ermite irréprochable et pourtant interdit d’amour. 

Il s’occupe trop de sa barbe,lui répondit le Seigneur, voilà pourquoi il ne voit pas la main que je lui tends.

Moise s’en revint et redit au mot près les paroles de Dieu à l’ermite attentif.

Mille mercis, répondit l’autre, mon vieux coeur s’illumine enfin ! cette barbe apparemment sobre dissimulait mes vanités !!! Je vais m’en occuper . Poil à poil il se mit à l’oeuvre.Il se donna grande peine et grande souffrance dans une telle entreprise. La paix restait cachée derrière les nuées qui enbrumaient son âme.

Moise retourna au rendez vous de Dieu.

Seigneur, dit-il, il a entendu le sens de Vos Paroles, mais il ne va pas mieux.

Le Bien Aimé répondit :

Hélas pour lui , rien n’a changé. Hier il s’occupait de sa barbe avec un plaisir de gourmet. Aujourd’hui il la martyrise. Elle l’absorbe toujours autant . Et Moi qui l’ espère , j’attends.

Un instant sans l’Ami est un instant perdu.Quand tu seras lassé de compter les poils embarque sur l’océan divin.Puis laisse le vent te coiffer ou te décoiffer à sa guise. Mais Ne lache pas le gouvernail !