Pompiers et militaires des départements d’Outre-mer étaient à l’honneur pour le défilé de ce 14 juillet 2011. Un choix dû aux circonstances, qui ne soulève pas trop de questions. Pourtant il en subsiste, et de taille, notamment sur les opérations extérieures (Opex), en Afghanistan, en Libye, mais aussi, plus largement, en Afrique (Tchad, Djibouti), et leurs réelles motivations.

En l’absence du président Bachar el-Assad, resté à Damas, et du dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi, retenu à Tripoli, Nicolas Sarkozy a donc présidé le défilé de la fête nationale française sur les Champs Élysées. Hormis des délégations de pompiers de la principauté de Monaco et de la capitale chilienne, les participations étrangères ont été cette année fort discrètes. Les pompiers étaient – avec les militaires d’origines ultramarines – particulièrement à l’honneur en raison du bicentenaire de la création du corps militaire des Pompiers de Paris. Sauraient-ils, peut-être mieux que le président français, éteindre l’incendie libyen et ranimer l’euro, la monnaie européenne, que le représentant des milieux financiers et industriels n’a pu, dans un cas comme dans l’autre, efficacement traiter. Pour saugrenue quelle soit, la question mérite d’être posée. Capacité financière et capacité militaire sont étroitement liées. Les Opex (op. ext.) représentent un surcoût d’un milliard d’euros, dont 630 millions sont budgétés… quelque peu sur le tard grâce à divers artifices.

« Une fête nationale cruellement endeuillée, » a rappelé le chef de l’État et des Armées, exprimant « l’attachement et l’admiration » de la Nation à l’égard des unités combattantes. D’Afghanistan lui est venue la nouvelle du décès d’un soixante-dixième soldat français des suites d’un attentat : c’est, selon Philippe Chapleau, journaliste spécialisé Défense à Ouest-France, un membre des forces spéciales, un commando marine, victime d’« un attentat-suicide contre une mosquée où se tenait une cérémonie en mémoire d’Ahmed Wali Karzaï, frère du président afghan, assassiné mardi. » ?

Restent les questions pendantes : pourquoi s’être engagé en Afghanistan et en Libye alors que les réalités de ces pays incitaient à une extrême prudence quant aux conditions et conséquences de l’engagement ?

12 500 militaires français restaient engagés sur les « théâtres » d’opérations extérieures fin juin dernier. Un millier devrait être prochainement retiré du Tchad (opération Épervier), autant d’Afghanistan selon des échéances – et des modalités – désormais incertaines. Le plus fort contingent resterait le libanais sous mandat de l’Onu (environ 1 300 militaires pour la Finul).

Selon le député PS Henri Emmanuelli, il n’y aurait qu’une dizaine de personnes, au sein du bureau national du Parti socialiste, a s’interroger réellement sur les opérations extérieures les plus sensibles (Afghanistan, Libye et Côte d’Ivoire).

Ancien sous-marinier, le tout nouvel amiral Bernard Rogel prend la tête de l’état-major de la Marine tandis qu’un ancien cavalier spahi est nommé chef d’état-major de l’arme de Terre. Ils seront sans doute moins prolixes que leurs homologues britanniques qui ne cessent de s’exprimer sur la pression que subissent les troupes et les matériels et la nécessité de « revoir les priorités ».

Ces priorités, en ce qui se rapporte à la Libye, semblent avoir varié au gré des circonstances. À présent, Luis Martinez, directeur du Ceram (Centre de recherche sur l’Afrique et la Méditerranée), indique à l’hebdomadaireLa Vie « depuis le début, Nicolas Sarkozy n’a jamais eu l’intention de voir les insurgés prendre le pouvoir à Tripoli… ». Nicolas Sarkozy a pourtant multiplié les déclarations donnant l’impression de souhaiter le contraire. Les actes, soit les frappes sur des bâtiments qualifiés de « centres de commandement » où avaient été localisés Mouammar Kadhafi et son épouse, et les livraisons d’armes pas si légères (véhicules blindés, missiles Milan…) aux forces du djebel Nefoussa semblaient pourtant témoigner d’objectifs fort différents.

Quoi que puisse penser le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), il n’y a plus de véritable divorce ni de réelles tensions entre la Nation et ses armées et déplorer le « manque de reconnaissance de la Nation, et des médias et de la société civile, à l’égard des camarades morts ou blessés dans l’accomplissement de leur mission » est sans doute exagéré. Certes, la fin de la conscription a joué dans les deux sens et quelques rares désertions de militaires las de se voir confinés à des tâches ingrates de casernement brouillent très peu la perception qu’ont les Françaises et les Français des rôles des forces armées. Ce ne sont pas les éventuelles erreurs de commandement (une opération de reconnaissance et une autre mission de déminage hasardeuses en Afghanistan pour les faits les plus récents) qui fragilisent fortement cette confiance.

En revanche, force est de constater que le rapport d’information de l’Assemblée nationale de mars 200 sur le contrôle parlementaire des opérations extérieures est quasiment resté lettre morte. Les engagements extérieurs restent perçus comme un « fait du prince » dont les motivations, en matière de politique étrangère ou de soutien à la pénétration de groupes industriels sur des marchés, restent trop obscures, entachées parfois de soupçons quant à leur réelle utilité. La réforme constitutionnelle de juillet 2008 a certes instauré la consultation du Parlement si une intervention se prolonge au-delà de quatre mois. Mais on ne peut pas dire que le récent débat sur la Libye ait fortement intéressé : son résultat semblait trop prévisible, les objectifs paraissant trop formellement exposés, en trompe-l’œil.

De plus, les atermoiements de la doctrine restent obscurs. Fin 2008, Hervé Morin, alors ministre de la Défense, exposait à mots couverts que les opérations au Tchad (247 millions d’euros), pourraient compenser un retrait de forces déployées dans d’autres pays africains. La menace libyenne est écartée pour le moment, les tensions que pouvaient susciter la présence de nombreux réfugiés soudanais au Tchad semblent à présent réduites (dans l’immédiat en tout cas), mais en janvier 2009, Josselin de Rohan se prononçait « pour un renforcement en hommes et en matériels de la force Épervier qui joue un rôle majeur dans la stabilisation de la région et de l’arc de crise dans son ensemble. ».

Mahamat Nouri, général rebelle tchadien, a commenté avec satisfaction les décisions récentes de retrait annoncées par Alain Juppé : « C’est une très bonne chose. Il faut que la France lâche Déby » (l’actuel président tchadien). Que peuvent donc en penser les Françaises et les Français ? Le général Nouri est actuellement à Doha, au Qatar, pays qui est le seul véritable allié arabe de la coalition franco-britannique opérant en Libye.

Le fait que le président Idriss Déby Itno ait insisté pour que la France règle un loyer au Tchad pour y maintenir ses trois bases n’est sans doute pas tout à fait étranger à ce retrait. Le soupçon pesant sur son rôle de soutien discret au régime libyen peut aussi avoir influé.

Le président français dispose-t-il encore d’une boussole pour déterminer ce qu’il conviendrait de faire ? Au Tchad, en 2008, il réclamait toute la vérité sur la disparition d’un principal opposant, Oumar Mahamat Saleh, en insistant : « je ne céderai pas sur ce point. ». On attend toujours. En Libye, jusqu’à la fin 2010, il entretenait les meilleures relations avec le clan Kadhafi. Il a donné ensuite l’impression de faire une affaire personnelle de la chute de Mouammar Kadhafi.

À présent, il semble vouloir négocier directement avec Tripoli sans même consulter David Cameron, le Premier ministre britannique. Con Coughlin, le rédacteur en chef du service « étranger » du quotidien The Telegraph n’est pas le seul à le pointer. Il est fort possible que la Grande-Bretagne, échaudée par son expérience en Irlande du Nord qui a obligé à déployer jusqu’à 50 000 policiers et soldats pour éviter une guerre civile dans un pays de seulement un million d’habitants, finisse par considérer que les suites prévisibles de l’engagement en Libye (soit la nécessité d’une force d’interposition) seraient hors de portée des moyens disponibles. Ce que l’on constate en Afghanistan c’est que, notamment du fait du nombre des « bavures » des divers corps expéditionnaires, nombre d’Afghans doutent de l’identité des mieux offrants. C’est ce qui pourrait se produire dans une Libye où les diverses factions pourraient entretenir des loyautés mouvantes.

Sur un tout autre terrain, La France repousse à septembre la tenue d’une conférence – initialement prévue avant le début de l’été – de pays donateurs soutenant l’Autorité palestinienne. Le fumeux projet d’une Union pour la Méditerranée, qui devait associer la Syrie de Bachar el-Assad, semble mis en sommeil, notamment du fait des bouleversements en Égypte et en Tunisie, et de l’avenir incertain du régime syrien. À présent, après avoir mis au ban des nations Mouammar Kadhafi, Nicolas Sarkozy déclare à l’intention de Bachar el-Assad que « chaque dictateur qui fait couler le sang aura à en rendre compte devant le tribunal pénal international. ». C’était l’un des invités d’honneur du défilé du 14 juillet 2008. « Pure mégalomanie de show-biz, » avait commenté Dupont-Aignan tandis que le Parti socialiste s’abstenait de critiques trop véhémentes.

Il était certes judicieux de mettre en valeur les pompiers lors de ce 14 juillet marqué par le doute prévalant de l’opinion sur les visées réelles de Nicolas Sarkozy. Contrairement aux autres soldats, ceux du feu se font rarement tuer « pour rien », comme le dit, pour Rue89, la mère d’un militaire de carrière, Giselle Sanchez. Elle a créé l’association Militaires et Citoyens, associée avec l’Adefdromil (Association de défense des droits des militaires). Espérons qu’elle aura droit à l’écoute d’une future ou d’un futur président davantage encore qu’un Bernard-Henri Lévy peut avoir celui de l’actuel…