Attaqué en justice, le service de mise en relation de clients avec des chauffeurs particuliers UberPop officie toujours en France, tandis que le Conseil constitutionnel pourrait invalider la loi restreignant son activité. Derrière ces procès, un constat : l’Etat est réticent à l’innovation.


La vindicte des taxis à l’encontre des conducteurs UberPop n’est pas près de s’estomper en France. Jeudi 7 mai, à Bordeaux, des altercations verbales – mais vives – ont eu lieu dans la rue, tandis que les seconds se réunissaient dans un hôtel de quartier. Fin avril dernier, les chauffeurs de taxi ont même décidé d’attaquer l’Etat en justice pour « complicité d’organisation de travail illégal », les pouvoirs publics n’étant, selon eux, pas assez tranchants vis-à-vis du service californien de transport avec chauffeurs particuliers. Pourtant, si l’on se place du côté des dizaines de milliers d’utilisateurs d’UberPop – conducteurs ou clients –, l’Etat est vivement accusé d’en faire trop.


Une chasse aux sorcières injustifiée de la part des taxis et de l’Etat
 
Sous-entendu : les politiques ont le frein à main trop facile ; ils restent campés sur des positions passéistes et ne perçoivent pas – ou ne veulent admettre – que l’économie est aujourd’hui en plein chamboulement. UberPop, modèle d’économie collaborative par excellence, au sein de laquelle divers acteurs mettent leurs ressources en commun pour créer de la valeur, participe évidemment de cette évolution. Ce n’est nullement un hasard si les plateformes de crowdfunding fleurissent autant en France ; assez, en tout cas, pour que l’Etat s’empare du dossier et fasse voter une loi pour en simplifier la pratique. 
 
A l’heure du tout numérique et tandis que l’on prône un peu partout l’accès à la mobilité, il semble contradictoire, de la part des pouvoirs publics, de rester aussi fermement opposés à la firme californienne. UberPop se retrouve ainsi confronté à la frilosité du gouvernement, tout comme l’est son homologue Airbnb. La start-up américaine, qui propose de mettre également en relation le même type d’acteurs – des offrants et des demandeurs – dans la location d’appartements, et qui connait un essor important – même en France –, est accusée de tous les maux, à Paris notamment, où on la suspecte d’augmenter la crise du logement.
 
S’agissant d’UberPop, l’Etat, malgré l’action qu’ils menacent d’intenter à son encontre, a le soutien sans bornes des chauffeurs de taxi – à moins que ce ne soit l’inverse. Propriétaires d’un réel monopole sur la voie publique, s’estimant les dépositaires du transports de passagers, les taxidrivers, comme le montrent les altercations bordelaises, ne cessent de crier au scandale. Ces derniers accusent en effet les conducteurs UberPop d’enfreindre la loi ; il s’agit en l’espèce de la réforme Thévenoud, adoptée dans l’urgence en octobre dernier, et qui pourrait bien se voir rabotée par le Conseil constitutionnel.
 
« Le tribunal n’a pas voulu s’appuyer sur la loi Thévenoud pour interdire ce service »
 
La gronde des taxis s’est renforcée, d’ailleurs, après que la justice a rendu une décision par eux contestée : dans un procès visant, ni plus ni moins, à éradiquer UberPop du territoire national, la Cour d’appel de Paris, saisie de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), a préféré surseoir à statuer… sans prononcer de mesures enjoignant au service américain de cesser toute activité. Pour la firme californienne, deux articles de la lois seraient d’ordre inconstitutionnel : le premier concerne l’interdiction faite aux VTC d’avoir recours à la géolocalisation – ce qui permet aux utilisateurs de visualiser la disponibilité des véhicules – ; le second est en rapport avec le mode de tarification des VTC – Uber a mis au point un système en rapport avec le kilométrage ou le temps passé, tandis que la loi impose des prix forfaitaires fixés avant la course. Point positif pour UberPop : la cour de cassation, en cas de « sérieux doutes » concernant la constitutionnalité de ces deux points , pourrait choisir de transmettre les deux questions à l’avis des sages de la rue de Montpensier. Qui pourraient, eux-mêmes, suivre plusieurs décisions favorables au service de VTC déjà rendues.
 
Loin de se soumettre à une loi critiquable, et dans le fond et dans la forme, la justice est en train, petit à petit, de « légaliser » UberPop, au fil des – nombreux – procès qui lui sont intentés. En Europe, déjà, la justice suisse a récemment donné raison aux utilisateurs de l’application contre les chauffeurs de taxi. En France, ensuite, le tribunal de commerce de Lille a, le 30 avril dernier, refusé de condamner UberPop pour concurrence déloyale. Selon l’avocat de la firme, Me Calvet, « en tant que juge de l’évidence, il (le tribunal) n’a pas voulu s’appuyer sur la loi Thévenoud pour interdire ce service. En outre, le débat public actuel sur la diversification des modes de déplacements urbains révèle la divergence des positions sur ce sujet. » Tandis que le Conseil constitutionnel, s’il est saisi, devra s’interroger sur ces questions de concurrence déloyale, il est permis de penser, à l’instar des juges lillois, qu’il appellera le gouvernement à revoir sa copie concernant la loi Thévenoud.
 
Il ne ferait qu’entériner, comme l’estime Me Calvet, la divergence philosophique qu’il semble y avoir entre les pouvoirs publics et une large partie de la population, à propos de l’injustement décrié UberPop. Il n’est pas question, ici, de concurrence déloyale, mais uniquement et simplement de concurrence : en diversifiant l’offre de transports, les VTC et leurs dérivés permettent directement de diminuer les prix des courses, ce qui présente un avantage non négligeable pour le consommateur. Seulement, l’Etat, qui, par nature, est réticent aux bouleversements – encore plus lorsqu’ils sont économiques –, peine à se convertir au modèle innovant que représente l’économie collaborative d’UberPop. Dans cette frilosité réside peut-être l’aspect le plus important du problème.