Le premier ministre turc, Binali Yildirim, dont le rôle se résume à celui de premier porte-parole du président Erdogan, a détaillé le bilan du coup d’État. Les purges se sont poursuivies dans toute la fonction publique, la police et la gendarmerie, et le nombre des arrestations et des limogeages s’accroît sans cesse… 

Ce lundi 18 juillet, trois jours après la fin du coup d’État militaire avorté à Istanbul et Ankara, le Premier ministre turc a révélé le nombre des détentions et révocations. En tout début d’après-midi, croyait pouvoir décompter Hürriyet (voir le détail sur BlastingNews), près de 15 000 militaires, magistrats, hauts fonctionnaires, gendarmes et policiers étaient soit en détention, et pour certains déjà jugés hâtivement, soit suspendus, révoqués ou assignés à résidence.

Ce chiffre semble inférieur à la réalité puisque le Premier ministre turc fait état de chiffres supérieurs. Le coup d’État, côté forces loyalistes ou civils, aurait fait 208 morts (dont 60 policiers et trois soldats) et près de 1 500 blessés. Contrairement à ce qu’il avait été d’abord estimé, ce ne sont plus quelque 6 000 personnes qui ont été très rapidement arrêtées, mais plus de 7 500 (dont une centaine de policiers, plus de 6 000 militaires, 755 magistrats, et 650 autres fonctionnaires). Mais la purge touche aussi beaucoup plus largement la magistrature, la police, la gendarmerie, et la haute fonction publique (avec l’équivalent de préfets ou sous-préfets). Très officiellement, ce 18 juillet, 2 745 fonctionnaires de la justice sont démis de leurs fonctions, 8 777 policiers ou fonctionnaires de l’Intérieur, et 1 500 du Trésor public ou du ministère des Finances.

Comme l’a exprimé Bruxelles, la liste des opposants présumés disposés à collaborer avec les putschistes avait été sans aucun doute préparée de longue date. La thèse officielle serait que Fethullah Gülen, un prédicateur réfugié aux États-Unis, aurait, avec ses partisans, fomenté le coup d’État. La Turquie insiste chaque jour pour obtenir son extradition, a tenté de s’appuyer sur les Nations Unies pour faire adopter une motion (l’Égypte s’y est formellement opposée). En fait, l’une des hypothèses est qu’il aurait été soufflé à l’oreille d’officiers supérieurs donnés mis d’office à la retraite en fin de mois que la prison ou l’assignation à résidence les attendaient. Ce qui aurait précité la tentative de prise de pouvoir…

Sur Le Plus (site filiale du Nouvel Obs’), un étudiant turc indique que les muezzins ont très rapidement demandé à la population de descendre dans la rue et aux partisans de l’AKP le pouvant de s’armer. Le coup d’État a été en grande partie improvisé, avec des unités composées en très grande partie de conscrits auxquels il aurait été annoncé des exercices militaires. Ce qui n’a pas empêché les militants de l’AKP de les lyncher et de les abattre dès que les conscrits aient compris et se soient spontanément rendus. En fait, en payant, il est tout à fait aisé désormais en Turquie d’échapper à l’appel sous les drapeaux et hormis les jeunes bourgeois désirant faire carrière militaire, seuls les plus pauvres endossent l’uniforme.

Le président appelle à la poursuite de la mobilisation populaire armée. Et l’étudiant turc conclut « nous sommes les prochains. La prochaine fois que vous entendrez parler de la Turquie, ce sera pour des décapitation de gauchistes, de Kurdes, d’alévis, d’homosexuels, de femmes ou étudiants… Chacun d’entre nous est menacé. ».

Les alévis sont des musulmans d’obédience chiite mais pour la plupart de pratique beaucoup plus modérée que leurs coreligionnaires d’Iran ou des pays sunnites intégristes. C’est bien un sunnisme radical que le président, en passe de devenir un despote absolu, veut prôner…  C’est l’alliance du sabre féal ou de force inféodé et du goupillon le mieux stipendié.

À présent, la police perquisitionne dans les hôtels pour retrouver des suspects qui auraient pu échapper à la gigantesque rafle.

La présidence invite les parlementaires de l’AKP et de l’opposition à rétablir la peine de mort… qui pourrait s’appliquer à qui s’abstiendrait ou voterait contre. La presse est pratiquement muselée en Turquie. Certes un éditorialiste d’Hürriyet a commenté l’hypothèse que le coup ait été fomenté par le président, mais l’a évidemment réfutée. Mais un autre, se disant pourtant réticent à l’égard du style de gouvernement d’Erdogan, marqué par une absolue arrogance et une forte agressivité, a salué l’attitude des médias qui ont relayé l’appel des mosquées. Il conclut cependant « espérons qu’Erdogan réalise l’importance d’une presse libre ».

Il est à noter que parmi les officiers supérieurs qui devaient être mis à la retraite d’office fin juillet figurent des généraux et colonels chargés des opérations en zone tampon face à la Syrie. On sait que, pendant un certain temps, l’AKP et son président islamiste ont favorisé toutes sortes de trafics avec l’État islamiste. Les attentats non-revendiqués par Daesch en Turquie valent peut-être avertissement pour que les choses reprennent comme avant et ces militaires auraient pu considérer qu’un tel infléchissement mettait leur pays en danger. Mais il serait hasardeux d’y voir un déclencheur : avant d’agir, ils se seraient sans doute mieux préparés, et auraient tenté de nouer des contacts internationaux.

Pour mieux mener la purge, le Premier ministre a suspendu tout congé, hors hebdomadaire, dans la fonction publique (3 millions de fonctionnaires) jusqu’à nouvel ordre…

La Turquie est victime d’un fort ralentissement économique et le secteur du tourisme souffre. C’est pourquoi, tout comme le roi du Maroc, Erdogan tente de se concilier les bonnes grâces de la Russie après l’avoir fortement critiquée. Il rencontrera Poutine en août, évoquera sans doute l’organisation de charters touristiques, des fournitures de denrées et biens soumis aux sanctions de l’Union européenne. Mais la Turquie islamiste mène aussi une politique active auprès de pays musulmans comme la Bosnie et d’autres pays à populations turcophones de l’ex-Urss (voire encore actuellement, de Crimée…). La Russie pourrait assouplir ses relations mais avec prudence, de ce fait.

Ce nouveau positionnement influera aussi sur les relations avec l’Union européenne. Actuellement, tant la Russie que l’UE imposent des visas aux touristes et visiteurs turcs. Il était question, à la demande de la Turquie, de mettre fin à cette obligation. Cette perspective s’éloigne.

La présidence a incité les militants de l’AKP a réclamer, par des manifestations, le rétablissement de la peine de mort. Dans la province de Malatya, des groupes scandant des slogans pro-AKP s’en prennent aux alévis dans les villes où ils sont les plus nombreux… La police est toutefois intervenue en tirant en l’air. Mais des pogroms spontanés ou suscités pourraient s’ensuivre. Car dans cette même province, deux généraux et six officiers ou gradés ont été arrêtés. Leurs remplaçants seront-ils incités à ne pas intervenir si des émeutes anti-alévis éclataient ? Pour le moment, les chrétiens, très minoritaires, ne sont pas ciblés nommément.