Les partis à orientation islamiste, plus particulièrement celui d’Ennahdha qui a, finalement, obtenu son visa, constituent indéniablement une composante essentielle du paysage politique en Tunisie et avec laquelle il faudra compter lors des prochaines échéances électorales.
En l’absence d’un gros parti – et c’est tant mieux dans l’état actuel des choses – Ennahdha se présente comme étant celui le mieux structuré, le plus discipliné et, surtout, avec une capacité de mobilisation sans pareille.
C’est dire qu’avec l’avènement de la Révolution et l’ouverture logique du jeu politique à tous les courants, les divers acteurs du processus démocratique regardent avec appréhension la présence et le comportement des islamistes qui se sont gardés, jusque-là, de faire des démonstrations de force. Mais ils se sont gardés, aussi, de donner tout programme électoral avec ses visions politique, sociale, économique et culturelle.

Lors des débats organisés par certaines radios ou télévisions et dans d’autres supports médiatiques, les représentants d’Ennahdha ont adopté un langage marqué par la tolérance, la modération à un point tel que les observateurs avouent qu’ils ne les reconnaissent plus.
Cette démarche a été confirmée, de la manière la plus éclatante, sur le plateau de Nessma TV, en cette soirée du 23 mars 2011, avec pour invité le cheikh Abdelfattah Mourou, un des fondateurs de ce mouvement.
Fin Tunisois, d’origine morisque andalouse, cheikh Mourou a confirmé sa réputation de beau parleur doublé d’un habile orateur. En effet, il avait réponse à tout sans s’impliquer carrément dans un sens ou dans l’autre. Les Tunisois ont été plus que sensibles à ce vocabulaire et sa façon de parler.
Sauf que voilà, à l’issue de l’émission télévisée, on ne savait pas si M. Mourou restait avec cheikh Rached Ghannouchi ou non. On ne savait pas s’il allait fonder son propre parti ou non. On ne savait pas s’il était islamiste religieux ou un politicien pragmatique.
Bref, on n’avait aucune certitude à propos de ses convictions personnelles ou politiques. Il a été tellement déroutant que notre confrère Slaheddine Jourchi (lui aussi islamiste modéré et un des fondateurs du mouvement Ennahdha), n’a pas résisté à la tentation de lui poser la question : « je me demande si on peut vous considérer encore comme étant un islamiste » ?

Il faut dire que M. Jourchi avait raison de lui poser cette question exclamative dans la mesure où Abdelfattah Mourou épousait toutes les thèses prônées par les libéraux et les laïcs.
A part le fait de juger qu’il était prématuré de discuter de l’article I de la Constitution, à savoir que la Tunisie est un pays dont la langue est l’arabe et la religion est l’Islam, cheikh Mourou s’est révélé un défenseur acharné du Code du statut personnel (CSP) qu’il faudrait, peut-être même, faire évoluer et améliorer. Un défenseur acharné des libertés individuelles et personnelles.
Concernant le tourisme avec tout ce qu’il génère comme d’éventuels comportements, qualifiés par les « durs » comme contraires à la religion islamique, le leader d’Ennahdha, a été clair comme étant un partisan farouche de la préservation de ce secteur et de son renforcement.
Quant à ce qu’on appelle les « houdoud » de la chariâ, à savoir la coupure de la main du voleur et la lapidation des auteurs d’adultère, cheikh Mourou estime qu’il ne s’agit pas de jugement définitifs étant donné que l’Islam autorise l’Ijtihad selon les spécificités du temps et du lieu et des mentalités.
La Tunisie n’est ni un pays du Moyen-Orient, ni du Golfe. Les pays du Maghreb ont leurs spécificités, tranche t-il rappelant que la bonne interprétation de la religion exigeait de tenir compte, en priorité, du sens de la loi et de sa finalité et non de la forme de la sanction.

Cheikh Mourou a été tellement conciliant que les Soufiane Ben Hamida, Jamel Arfaoui et Elyès Gharbi n’avaient pu lui poser les questions agressives et embarrassantes qu’on attendait d’eux face à une personnalité du courant islamiste.
Mais Cheikh Mourou a été aussi très évasif sur les détails d’un éventuel programme islamiste en matière politique, économique et sociale.
Quelles solutions et quelle démarche préconise t-il pour les Tunisiens et les Tunisiennes en chômage ? On n’en sait rien. Même si dans certains cercles, on parle de la solution islamiste classique à savoir le licenciement des femmes en activité en leur octroyant une allocation-chômage et en embauchant, à leur place, les hommes sans travail.
Il faut mentionner qu’à l’issue du débat, on se demandait si Abdelfattah Mourou représentait un mouvement islamiste ou un courant libéral et rationnel.
In fine, c’est à se demander en quoi diffère un islamiste tel Mourou d’un partisan d’un mouvement libéral ou laïc.

Sauf que tous les Islamistes ne s’appellent pas Abdelfattah Mourou.
Car, entretemps, les incidents engendrés par les courants dits durs de tendance salafiste, tel le « hezb Ettahrir », qui s’est vu refuser le visa, font parler d’eux. Les violences et les agressions dont ont fait l’objet les manifestants à Sousse pour la laïcité, les prêches organisés en pleine Avenue Bourguiba et bien d’autres sont là pour faire soulever les craintes et les peurs.
D’ailleurs, nombreux sont les analystes qui estiment que le discours des islamistes est trop « beau » pour être « vrai ».
Ils sont persuadés que les partisans d’Ennahdha adoptent, délibérément, un profil bas et consensuel pour ne pas susciter les frayeurs des intellectuels libéraux et, surtout, de l’opinion publique internationale, en majorité occidentale qui défend avec acharnement la Révolution tunisienne et le nouveau printemps démocratique qui s’installe chez nous.
Même dans leurs meetings, on n’a pas vu la grande foule que certains attendaient ou redoutaient. La mouvance islamiste s’est-elle rétrécie à ce point ? Ce serait, également, trop « beau » pour être « vrai » !

Alors ? L’impression qui prévaut est que le parti d’Ennahdha adopte une tactique intelligente. Et les éventuels différends entre les deux Cheikhs, Ghannouchi et Mourou, feraient partie de cette stratégie. Abdelfattah Mourou ayant laissé entendre que la possibilité d’un tandem entre les deux hommes restait plausible et fort possible.
En tous les cas, les autres petits partis sont sûrement conscients et avertis. Car le verdict des urnes, dans un climat démocratique ne pardonne pas.