Intrigué par le déferlement de peur (panique, parfois) d’une éventuelle « islamisation » de la Tunisie dont les colonnes de Come4News donnent le spectacle depuis le début de cette année 2011, la curiosité m’est venue d’explorer le site pour tenter d’en identifier la source.

Autant révéler d’entrée de jeu le résultat de cette recherche : c’est un échec intégral ; mais pour autant, elle n’est pas dénuée d’intérêt.

 


En effet, depuis 2007 (pour ne pas remonter aux calendes grecques…), on dénombre 107 articles ou dessins se rapportant à la Tunisie publiés, sous la plume de 26 auteurs différents. N’en déduisez pas pour autant une valeur moyenne qui n’aurait aucun sens, car la production oscille entre un minimum de 1 (bien entendu) et un maximum de 31 et même 38 articles, selon les auteurs !

Chronologiquement, on recense 1 article en 2007, 27 en 2008, 29 en 2009, 26 en 2010 et, sans surprise, 24 depuis le début de l’année courante. Au cours du premier trimestre 2008, on relève 4 articles, dont le contenu s’avère sans complaisance pour le régime, comme le laissent présager leurs titres : « Affaire de Soliman, le double échec de Ben Ali », « Les professeurs du secondaire en TUNISIE observeront une grève de deux jours les 16 et 17… [janvier 2008] », « Quand les droits de l’homme sont vulgarisés par le pouvoir [avec probablement un contresens sur le mot « vulgarisés »] » et « Un arrêt de la CEDH [Cour Européenne des Droits de l’Homme] dénonce la pratique de la torture en Tunisie en vertu de la loi sur la lutte… ».

Ils paraissent sous la signature de [email protected], le plus souvent alias TUNISIA Watch, ce qui laisse comprendre qu’ils sont reproduits d’une manière plus ou moins automatique sur Come4News à partir du site éponyme. Une évidence à laquelle  le pouvoir de Carthage ne se rendra pas ; et c’est probablement en raison de cette double référence aux droits de l’homme qu’il déclarera C4N persona non gratta, ainsi qu’en témoignent deux articles en date du 16 mars qui protestent contre la censure infligée par la Tunisie.

Le même pseudo auteur récidivera à 34 reprises jusqu’au 25 mars 2009, date à laquelle il cesse définitivement de publier, sur des sujets résolument engagés (l’un d’eux dénonce très crument « une dictature post-moderne »), mais on y chercherait pourtant en vain la moindre trace d’un quelconque « prêche » islamiste.

A contrario, l’article du 29 mai 2007 s’intitule « Retour du port du voile en Tunisie » ; selon son auteur, « la propagation du port du voile, qui s’est fait remarquer à Tunis et dans le sud du pays, est due, selon plusieurs connaisseurs et observateurs, au retour en force des courants islamistes (malgré la chasse que les autorités ont organisé contre le mouvement "annahde") et au taux de chômage élevé enregistré parmi la jeunesse tunisienne », avant de conclure fort sagement « une démocratisation des institutions, une meilleure gestion des affaires et l’endiguement du chômage sont les réponses à tout discours obscurantiste ».

Notons que le texte intégral en est repris le 31 mai, sous une signature différente (sur C4N, l’auteur se présente comme un Marocain de Rabat, alors qu’ici Leïla dit habiter Bruxelles), sur le forum « L’Islam et les musulmans dans le monde » du site al-muslimah.com, dont les responsables déclarent « Ce site se veut attaché aux dogmes et traditions transmis par les Prophètes et perpétués par les musulmans. Les attaques et dénigrements envers Dieu, les Prophètes et Messagers, leurs Compagnons et Épouses, ainsi qu’envers les savants ne sont pas tolérés. En particulier, les chiites, ahbaches, coranistes, soufis, takfiris et groupes se complaisant dans une attitude sectaire ne sont pas bienvenus ici. Ceux qui adoptent vis-à-vis de l’islam et des musulmans une attitude provocatrice ou paternaliste non plus ».

Il s’avère enfin reprendre très largement un texte publié le 29 novembre 2006 sur le forum Maroc du site Atlasvista, intitulé « Pourquoi dévoiler les voilées en Tunisie? », sous un pseudonyme très similaire à celui utilisé sur C4N. Signalons que ce sont les trois seules références en français que renvoie une requête faite sur Google sur le critère « annahde » ; les autres sont rédigées en allemand et en russe.

Sur C4N, le seul autre article sur le même thème est publié le 29 avril 2008 par « noreply » : « En Tunisie, lentement mais sûrement, le voile recouvre les têtes », citant comme source Libération. Tout en citant l’argument officiel (« en 2006, sous la pression des modernistes, inquiétés par la montée du hijab, le président Ben Ali l’avait publiquement fustigé en dénonçant sa provenance «d’inspiration sectaire importée de l’extérieur» »), l’auteur laisse la porte ouverte à d’autres interprétations : « Influence des chaînes satellitaires, regain du religieux ou acte de résistance au régime autoritaire de Ben Ali, le retour au voile pour Swasen, c’est avant tout «une question d’identité» ».

Pour sa part, la challenger de « noreply » (en termes de nombre d’articles) n’en touche pas mot : la seule fois où elle s’approche du terrain religieux, c’est le 2 mai 2010, pour s’inquiéter des conséquences sur le tourisme de la coïncidence du mois de Ramadan avec la période estivale. Et lorsqu’elle reprend la plume le 12 janvier 2011, 48 heures avant la débandade du tyran, c’est pour se faire une sorte de harakiri, exposant la solution « Je sais bien que pour que vous veniez sur mes articles je devrais vous parler de sang et de larmes ! » avant de livrer le problème : « Que les personnes qui ont amis ou famille à Djerba se rassurent, ici tout est calme ».

Et sur les 38 autres articles, pas un seul n’évoque le voile (ou les barbus) ailleurs qu’en commentaires, et toujours selon le phénomène hélas trop bien connu de la dérive maladivement impulsée par les obsessions d’un quarteron de trublions patentés qu’il est inutile de nommer pour qu’ils soient reconnus. Le phénomène atteint son paroxysme à partir du 7 janvier, lorsque l’article « TUNISIE : CENSURE MÉDIATIQUE, ou comment museler la Révolte » suscite 424 commentaires (et sans doute bien davantage dans la mesure où ils ne débutent que le 18 janvier – 11 jours plus tard, une éternité sur C4N… – par une interrogation sur la disparition d’une série de messages…) où « l’islamisme » est copieusement dénoncé, souvent en des termes qui violent la charte de courtoisie de C4N.

Le 24, « La révolution de Jasmin vue par un expatrié français » donne un témoignage autorisé car puisé à la source ; « Marahba » (bienvenue) à son auteur (ou plutôt « Welcome back »). Il décrit « stress, peur et angoisse » qu’engendrent la situation, en raison des « casses de vitrines … tirs … pillages » constatés, mais les hijabs ou les barbus brillent par leur absence, y compris dans la version détaillée publiée sur le site de Alceis.

Au final, un constat sans équivoque : c’est d’ailleurs que des colonnes de C4N que s’est alimentée la rumeur d’une éventuelle « islamisation » de la Tunisie, thème largement exploité tout au long du règne du dictateur et complaisamment repris ailleurs, y compris par notre propre (sic) gouvernement.

Alors d’où émane-t-elle ? Peut-être une piste est-elle à chercher dans le fort opportun article « Islamisme et autres vocables » qui analyse : « Alors arrive une engeance terrible : les Islamistes. En Français de souche, des terroristes. Comme c’est pratique, le Turc, le Taliban, l’Algérien, l’Iranien le Saoudien Ben Laden, tous dans le même panier ».

En tous cas, puissent les bergers de bonne foi qui crient au loup y méditer cette saine mise en garde : « Que ce dernier mot [intégrisme] soit réservé à nos exécrations est largement suffisant. Les autres distinctions pourraient nous rendre plus lucides de sorte que les racistes de toutes obédiences ne nous entraînent pas dans des dérives que nous serions obligés de regretter ».

Sur le fond maintenant, la situation continue d’évoluer d’heure en heure, rappelant le titre de deux albums publiés par Sempé en 1968 : au premier qui affichait « Rien n’est simple » répondait le second sous le titre « Tout se complique » !

La contribution décisive de Rachid Amar dans la fuite de Ben Ali semble désormais établie, en trois épisodes : refus de tirer sur la foule, menace au contraire de s’en prendre à la police, ultimatum du créneau de trois heures avant fermeture de l’espace aérien. Cela autorise-t-il que certains commentateurs réduisent le mouvement de Jasmin à une banale révolution de palais ?

Deux éléments font penser le contraire :

  • en général (c’est le cas de le dire), les fomentateurs d’un coup d’état militaire n’ont qu’une hâte : se propulser dans les fauteuils du pouvoir à peine sont-ils devenus vacants.
    Ce fut le cas, même de manière intérimaire, lors de la révolution des Œillets ; à Carthage en revanche, la seule fois où le chef de l’armée s’est fait représenter au palais, c’était pour y neutraliser la garde (milice) présidentielle,
  • le même ne s’est jamais mis en avant, hormis pour appeler au calme la foule venue à pied depuis le centre du pays manifester sous les fenêtres du gouvernement pour réclamer l’éradication des reliefs de l’ancien régime.

Le premier ministre aura-t-il entendu cette requête ? L’aura-t-il écoutée ? La composition de son second gouvernement depuis le 14 janvier dont on attend la nomination aujourd’hui donnera la réponse, tout comme le fait de savoir si l’on se dirige, ou non, vers l’élection d’une Assemblée constituante.

En tout état de cause, il serait surprenant que la rue (ou le bled) lui accordent une troisième chance.