Ouf ! L’enterrement de Mohamed Brahmi s’est déroulé dans un calme relatif à Tunis… Mais si le cortège funéraire a pu progresser et rendre un dernier hommage au député exécuté, la suite est confuse. En cause, la dispersion de manifestantes et d’opposants au régime d’Ennahdha devant l’Assemblée nationale. Mais la plupart – en fait la grande majorité – des personnes ayant défilé derrière le cercueil n’ont pas rejoint les manifestants et surtout, le principal parti au pouvoir n’a pas fait donner massivement ses troupes de jeunes gens.
Le seul incident ayant précédé, ce samedi, les obsèques du député exécuté Mohamed Brahmi a été la découverte d’une voiture piégée à La Goulette, la proche banlieue d’Alger. Mais, après un impression cortège de plus d’une dizaine de milliers de personnes, qui scandé divers slogans contre le parti au pouvoir mais aussi islamiques (la victime était un musulman pratiquant), le siège de l’Assemblée nationale a donné lieu à des heurts.
La police tunisienne n’est pas vraiment formée et équipée pour contenir une manifestation sans faire usage de gaz lacrymogènes ou d’assauts de dispersion. D’où un climat très tendu ce soir.
La coquille sur le site de L’Express en dit long : « où plusieurs Égyptiens (sic) font un sit-in pour réclamer la dissolution de la chambre. ». C’est bien sûr la référence à l’Égypte qui anime les esprits mais aussi les comportements : évitement ou tentation de rameuter massivement « la rue » afin d’obtenir au moins la démission du Premier ministre.
Autant par conviction que par provocation, des drapeaux syriens ont été brandis. Il s’agit de dénoncer le départ de centaines de djihadistes en Syrie. D’autres candidats à la lutte armée en Syrie ont été arrêtés ces dernières semaines. On évoque plusieurs centaines d’arrestations.
Ansar al Chariaa, branche tunisienne, a diffusé un tract affirmant n’avoir aucun lien avec le commando des tueurs du député assassiné. De même, bien sûr, le gouvernement dément toute responsabilité, tout encouragement à des actes de violence. Seuls des prêcheurs s’en prennent à l’opposition, mais plutôt en cercles restreints. Évidemment, les islamistes crient au complot animé par des responsables de l’ancien régime de Ben Ali qui aurait recruté de faux djihadistes.
Malheureusement pour les islamistes au pouvoir, qui ne sont sans doute aussi unis qu’ils le prétendent, l’existence de groupes occultes en sont sein est de plus en plus dénoncée. Touhami Abdouli, ancien secrétaire d’État aux Affaires étrangères, fait état d’une cellule dirigée par un responsable de la sécurité, qui aurait camouflé la mise sur pied de camps d’entraînement pour candidats au djihad. Il a aussi laissé entendre qu’Ennahdha aurait laissé se monter la manifestation visant l’ambassade des États-Unis à Tunis, peu après l’attentat de Benghazi en Libye. Voire aurait rameuté des manifestants, sans prévoir les heurts violents qui s’en sont suivis.
Au Bardo, devant l’Assemblée nationale, des unités de police ont chargé les manifestants tandis que d’autres restaient nettement en retrait. Des agents ont déclaré être infiltrés par des éléments islamistes radicaux. Le ministère de l’Intérieur a ordonné une enquête. Il ne s’est pas prononcé sur les heurts survenus à Gafsa où un manifestant est mort et plusieurs autres ont été blessés par la police. L’opposition dénonce une collusion entre la police et les groupes pro-gouvernementaux qui ont pu s’approcher sans contrainte du Bardo.
Les imams sont aussi divisés, certains restant neutres, d’autres dénonçant les prêcheurs salafistes.
Bref, si l’opposition n’appelle pas, demain, à des manifestations, le calme peut revenir. Mais le moindre incident peut raviver les tensions.
Mustapha Ben Jaâfar, président de l’ANC, a promis, lors d’une allocution télévisée (sur Al Watanya), un train de mesures et sans donner de date fixe en octobre prochain, l’organisation accélérée des élections. L’ancien ministre des Finances Houcine Dimassi a dénoncé le coût de la grève observée hier à l’appel de l’UGTT.
Lundi, 29 juillet, se tiendra le procès d’Amina Sbouai, dite Tyler, du mouvement Femen. Une jeune manifestante a aussi dénoncé que la police l’avait laissée aux prises de gens l’agressant sexuellement au « septième » poste de police de Tunis, celui de la rue de Yougoslavie. Les ligues de protection de la nation du citoyen (LPNC), proches du pouvoir, ont été pointées du doigt.
Amina Sbouai, peu avant sa dernière comparution le 23 dernier, avait déclaré : « être emprisonnée est moins pire que de voir la Tunisie devenir le berceau d’une nouvelle dictature religieuse ». Elle fait de plus en plus figure de prisonnière politique, y compris pour celles et ceux qui, avant l’assassinat, ne l’entendaient pas ainsi.