Ce qui suit, que beaucoup vont trouver iconoclaste à souhait, risque fort de virer à l’explosion polémique. J’en ai lucidement conscience, mais puisque ce rêve m’habite en effet, pourquoi m’auto-censurerais-je ?

Puissent donc ces lignes être placées sous la bienveillante sauvegarde des médiateurs du site et sous leur attentive surveillance, à charge pour eux de réagir si les dérapages redoutés devaient se produire.

Photo de Khalil Boujmil

Quelque chose vient de naître entre Sidi Bouzid et La Goulette, qui s’appelle révolution ou fièvre démocratique ; comme tout nouveau-né, cette « chose » est à la fois fragile et immensément prometteuse de futur. Elle se nourrit des espoirs des uns et des craintes des autres ; mais dans tous les cas, elle bouscule les idées reçues et les habitudes frileuses.

Comme la vie elle-même, maladie sexuellement transmissible dont le pronostic est mortel, systématiquement, cette fièvre exotique est tenue pour furieusement contagieuse et pandémique peut-être. Pourvu que Roselyne Bachelot, malheureusement inspirée par le tragique précédent de sa consœur Michèle Alliot-Marie, n’aille pas proposer le savoir-faire de la France en matière de vaccination !…

Déjà, poussée par les vents dominants, l’épidémie s’étend aux rives du Nil où on reconnaît le même tableau clinique : après une très longue période de léthargie, proche du coma pendant de très longues années, le patient vit trois ou quatre semaines d’intense fébrilité avant l’apaisement au terme de soubresauts plus ou moins violents et plus ou moins longs.

On estime qu’il faudra a minima six mois pour que le jasmin termine sa floraison (il en a fallu bien davantage aux œillets…) ; on peut d’ores et déjà pronostiquer des convulsions plus longues et plus douloureuses encore pour le papyrus qui s’annonce tout à la fois plus fragile et plus délicat.

Pendant ce temps, les pronostics vont bon train quant au trajet à venir du phénomène, dont l’un des symptômes semble être l’immolation : rebroussera-t-il chemin, sur les ailes d’Al-Djazira, longeant les côtes méditerranéennes pour venir visiter la république si peu démocratique et de moins en moins populaire avant de pousser jusqu’à Al-Jumhūriyyah al-Islāmiyyah al-Mūrītāniyyah. A Boukhadra, Mohcin Bouterfif (27 ans, comme Mohamed Bouazizi et chômeur comme lui) a devancé le geste perpétré à Nouakchott par Yacoub Ould Dahoud (43 ans, homme d’affaires). Persistera-t-il à éviter le royaume chérifien, miraculeusement épargné pour l’instant ?

A l’inverse, le mouvement poursuivra-t-il son périple cap au Sud-Est vers Aden et Sanaa où Fouad Sabri (28 ans, employé) a rejoint Awadh Saleh al-Samahi (45 ans, père de famille) par son geste suicidaire ? Si tel était le cas, il serait sur le bon parcours pour toucher Téhéran, puis Damas, avant de gagner, via Riyad et Islamabad, Séoul et de là, contaminer la Chine tout entière.

Kaboul n’a pas été mentionné en raison du sortilège tellement particulier qui l’accable au point de ne lui laisser le choix qu’entre la peste talibane (pourtant jadis armée par les Occidentaux pour faire la chasse aux Soviétiques) et le choléra du fantoche Karzaï, puisque décidément Ahmed Massoud n’y a pour l’éternité pas droit de cité.

Arrivée dans l’Empire du milieu, la contagion serait à portée de fusil (si l’on ose dire pour parler d’une déferlante pacifique) de Moscou et à une pichenette de Budapest.

Mais ce ne sont là que des hypothèses, sans pour autant négliger cette autre, tout autant crédible que les mouvements pourraient ne pas être linéaires et successifs, mais concentriques et simultanés, à l’image des ondes engendrées par le pavé lancé dans la mare. Où donc se niche le rêve annoncé par le titre ?

Eh bien, il est tout simple : il suffit de jeter un œil sur une mappemonde pour se rendre compte que si Jérusalem n’est qu’à une portée de missile de Téhéran, l’inverse est vrai également, en vertu du principe du retour inverse de la lumière. Le rêve est donc que la contagion, après avoir si nécessaire fait un détour par Amman, tourne un peu au-dessus du mont Nébo, puis fasse quelques pas sur les eaux du Lac de Tibériade avant d’établir ses quartiers à l’ombre de la porte de Nicanor ; le terrain lui serait favorable, avec un état léthargique installé là depuis la nuit des temps (1947 !…).

Il me plait d’imaginer les jeunes, fils de Sem, arpentant côte à côte et main dans la main l’esplanade des Mosquées ou celle du Temple (l’un et l’autre se dit, ou se disent…).

L’image est finalement non moins invraisemblable que celle du cortège qui s’est emparé des rues de Bruxelles le 23 janvier. Jérusalem pourrait même lui emprunter à bon droit le slogan d’outre-Quiévrain : « Shame ». Honte à ceux qui semblent se complaire dans cette fange depuis la nuit des temps (1947 !…), honte à ceux qui (Hamas et Hesbollah, Likoud et Herut confondus), osant se réclamer de « vertus » d’extrême-droite, insultent en ces lieux de manière insoutenable les mânes des victimes de la Shoah.

Honte enfin de ne pas s’apercevoir qu’ils ne sont que les pantins dont d’autres tirent les ficelles, trop heureux que les haines soigneusement entretenues évitent que cette région, ayant regroupé son potentiel, devienne un redoutable concurrent commercial.

Et puis, pourquoi le rêve s’arrêterait-il là ? Pourquoi n’entreprendrait-il pas d’armer un néo Exodus pour un retour vers cette vieille Europe où, à force de parler aux autres de démocratie, nous avons oublié que nous l’avons depuis belle lurette sacrifiée à l’oligarchie et/ou à la ploutocratie, deux notions qu’on aurait grand tort de croire mutuellement exclusives et qui toutes deux se nourrissent aux mamelles du népotisme.

Oui, je le confesse sans honte, I have a dream : « La Tunisie ne fait pas que se réveiller, elle réveille le monde entier » ; ou pour le dire d’une façon plus triviale (mais plus imagée aussi) extraite, elle, du Cœur des hommes : « La vraie question c’est : qu’est-ce qu’on ferait si on était moins cons ? »