Trois films se partagent des records d’entrée

Trois films se partagent des records d’entrée, il s’agit de :

1 – La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli           790619 entrées

2 – Polisse de Maïwenn           2 306 069 entrées

3 – Intouchable de Eric Toledano et Oliver Makache      14 550 487 entrées

 

Aujourd’hui la valeur d’une œuvre cinématographique est réduite au nombre d’entrées. Or ces trois films ne sont que la reconduction des poncifs, des idées reçues, des stéréotypes les plus éculés. Comment expliquer l’engouement de moutons de Panurge des spectateurs ? Est-ce une baisse culturelle massive ? Est-ce l’idéologie d’apparat de notre gouvernement ? Est-ce une réponse aux difficultés accrues des citoyens ?

1 – LA GUERRE EST DÉCLARÉE

Comment croire à une histoire d’amour aussi falsifiée que celle de ce film ? Même la référence à Roméo et Juliette ne corrobore en rien un soi-disant coup de foudre dont la nullité n’a d’égale que la vacuité de la boîte de nuit qui en instaurerait les prémices par le biais d’un cachet qui se voudrait quoi ? Métaphore du philtre ?

Le commentaire fait en voix off, le ton même du commentaire prend sa source dans celui du Ruban blanc, admirable film de Michaël Haneke. Le commentaire n’en est pas plus convainquant qui, dans sa fausse impartialité, induirait un effet de vérité. Le jeu des acteurs est particulièrement  nul. Les réactions à la nouvelle de la tumeur cérébrale de leur enfant, ces réactions sont tellement surjouées, tellement hystérisées, tellement modélisées sur les projections dramatiques des spectateurs qu’elles tombent à plat.

Le discours médical très sophistiqué dont Juliette demande la précision point par point non pour elle, puisqu’elle le connaît déjà mais implicitement pour l’information du spectateur naïf, ce discours médical qui se voudrait un rapport au réel de la maladie n’accentue que le fantasme et, dans son aspect téléguidé, voisine la leçon ou le sermon.

Le film a substitué à un phénomène compassionnel une sorte de réaction maniaque. Le jeu des acteurs devient un comportement de potaches. Aux attitudes surjouées de l’annonce correspondent les gamineries ultérieures. On fait joujou sur tout et rien : sur l’homosexualité, sur la xénophobie, sur la famille, etc. Le propos du film à se prétendre léger n’en est que plus plombé.

Comment un film aussi mal construit, aussi mal filmé, aussi mal découpé, aussi mal joué, a-t-il pu focaliser des spectateurs ? La menace de mort qui touche un enfant semble un déclencheur puissant dans lequel le conflit entre Éros et Thanatos est réactivé ; l’enjeu de cette lutte est le triomphe de la vie, ce qui a lieu dans ce film ; ainsi le film met en place les propres modalités affectives régressives du spectateur et le sauvetage de sa propre enfance.

 

2 — POLISSE

« Le quotidien des policiers de la BPM (Brigade de Protection des Mineurs) ce sont les gardes à vue de pédophiles, les arrestations de pickpockets mineurs mais aussi la pause déjeuner où l’on se raconte ses problèmes de couple ; ce sont les auditions de parents maltraitants, les dépositions des enfants, les dérives de la sexualité chez les adolescents ».

On ne peut pas prétendre que le film soit mal construit, mal découpé, mal filmé, au contraire, c’est parce qu’il est bien fait qu’il est redoutable. Comment peut-on accepter cette immixtion à vomir dans l’intimité des prévenus ? En fait le spectateur est convoqué à une mise en scène sexuelle dans une version pervertie par l’interrogatoire, à savoir qu’il ne peut y avoir que pédophilie, prostitution et Cie, avec un découpage sexuel qui va de l’attouchement par ascendant, en passant par masturbation, fellation, sodomie, viol. Le film table donc sur une jouissance illicite prise dans le réseau de la sanction ; la police est présente pour garantir que le spectateur peut jouir dans la légalité et qu’il puisse nier être partie prenante des faits puisqu’il est dans la salle.

Le film patauge dans le soupçon, ce qui est exactement le contexte idéologique dans lequel nous baignons. Lors de l’interrogatoire d’un prévenu que dire de cette question posée ex abrupto : « Ressentez-vous du plaisir en lavant l’entrejambes de votre fille ? » Que peut répondre un prévenu en entendant une telle bourde ? Ce qui était du domaine psychologique est passé dans le domaine policier. Par domaine psychologique, on entend le fait du secret professionnel et de la parole libre du consultant. Le fait que le personnage de Fred montre dans une séquence le modèle qu’il donne à sa fille sur la façon de se laver n’est en rien un principe moral qui pourrait s’uniformiser en prescription sous le prétexte qu’il serait de l’ordre du normal et que les autres comportements n’en seraient que des versions perverses.

On sait depuis R.A. Spitz, psychiatre et psychanalyste, auteur de La Naissance à la parole que l’on observe chez des enfants très jeunes des dépressions dites anaclitiques, causées par des carences affectives, qui peuvent conduire au marasme et à la mort. Des enfants qui ne sont pas caressés, qui n’ont pas de contacts, développent  des maladies de peau qui ne disparaissent que lors de la marche qui leur permet d’aller vers les contacts. Spitz a montré comment les nourrissons africains se développaient mieux parce qu’ils étaient à même la peau et la chaleur maternelles. Actuellement, des éducateurs témoignent qu’ils ne touchent plus les enfants, qu’ils ne les torchent plus si l’on peut dire, que dans les colonies de vacances, les moniteurs craignent les situations duelles, que des parents, surtout des pères n’osent plus serrer leurs enfants dans les bras, que lors des divorces certains conjoints n’hésitent pas à entretenir les soupçons au sujet d’éventuels attouchements et, dans le but d’obtenir gain de cause, demandent parfois des témoignage à des médecins ou à des psychologues peu scrupuleux, voire déposent plainte et déclenchent un arsenal de persécutions policières qui peuvent briser des vies ; Fabrice Burgot est le modèle abject de ces juges d’instruction qui, pétri de certitude et de bêtise, ont créé des drames irrémédiables .

De toutes façons, les enfants ne peuvent se constituer que par rapport à leurs relations aux adultes, les pulsions fondamentales sont à la fois hétérosexuelles et homosexuelles, liées aux objets parentaux, voire aux substituts. On vit un contexte où l’on cherche à culpabiliser même ce qui fait le fondement de toute formation de la sexualité humaine. Voilà le scandale ! Qu’il y ait des dérives, certainement, mais le procès de ces dérives risque d’entraîner une uniformisation des comportements comme un retrait des manifestations affectueuses et des soins corporels.

Le film interfère aussi sur les situations de groupe de la brigade et s’insinue dans l’intimité des couples qui se sont formés. Il semble que règne la violence relationnelle à tous les niveaux. La violence intergroupale, renvoie à la violence dans les couples comme à la violence auprès des prévenus. L’analyse des couples de la brigade tourne autour des contenus affectifs, les situations sexuelles en sont bannies, renvoyées  au non-dit. Il s’agissait de mettre surtout en relief les dérives sexuelles, du moins celles qui étaient désignées dans le contexte filmiques en tant qu’aberrantes. Non pas que la réalisatrice fût à ce point dénuée d’observation au point de nier toute implication du sexuel dans la brigade, ne serait-ce que les effets du voyeurisme, mais elles met en scène les affaires de couple comme un tissu de contradictions qui impliquerait surtout l’absentéisme des policiers dans leur vie commune. De là une dichotomie entre le sexuel et l’affectif qui semble la résultante idéologique de la société occidentale en ce qu’elle créé un clivage plus qu’obtus dans sa représentation du corps et de l’âme.

Le rapport à la sexualité intervient par le biais de la grossesse qu’elle soit désirée, impossible, ou la résultante d’un viol. A ce sujet, insupportable apparaît cette séquence de l’avortement d’une adolescente et la vision d’un bébé mort, accompagnée d’un dialogue banalisé de policiers, des femmes en l’occurrence. Insupportable aussi cette séquence où une jeune fille avoue des fellations successives pour ravoir le téléphone portable qu’on lui a pris. Le rire et les moqueries des policiers présents lors de cet interrogatoire saturent la scène d’une humiliation que la jeune fille subit de plein fouet. Aucune question n’effleure les fronts bornés de ces tenants de l’ordre, à savoir que cet aveu innocent de la jeune fille induit le fait que la fellation n’est pas considérée par elle comme un acte sexuel, d’où son étonnement. Car ce qui détermine cette brigade ce sont les modèles implicites de son action, des modèles à ce point fixistes et bornés, stéréotypés et ultramoralisateurs, qu’ils sont en contradictions profondes avec le vécu. Il en est de même de cet adolescente de 14 ans qui s’écrie : « Réveillez-vous, à 14 ans, on baise, on suce… ». A savoir que ce qui est affirmé malgré la loi, c’est l’émergence de la sexualité en action de façon qui semble précoce. Mais depuis Les Trois essais sur la sexualité de Freud, on sait qu’il existe une sexualité infantile. Or ce film maintient l’imagerie idéalisée d’une enfance aseptisée en montrant son contraire, qu’elle désigne et définit comme repoussoir, ou ce que l’on veut démontrer comme enfance à protéger de la perversion des adultes.

Ce mythe de l’enfance à part, désexualisé, déréalisée, de l’enfant virginal n’est que la métaphore de l’enfant Jésus, de l’enfant pur et parfait. C’est ainsi que les adultes s’accrochent à ce paradis perdu de l’enfance innocente que certains transgressent. Le mythe rousseauiste du bon sauvage corrompu par la société n’est pas loin.

Malgré tout, une des séquences finales apporte un paradoxe dans la diégèse du film. Un préadolescent, Solal, a été attouché par son professeur d’éducation physique. Lors de l’interrogatoire que cet enfant subit par un policier de la brigade, une femme, cette dernière lui dit : « Ton professeur est puni pour ce qu’il a fait de mal. Il a une maladie qui s’appelle pédophilie.

— S’il est malade pourquoi ne va-t-il pas à l’hôpital ? »

Quelle réponse donner à une telle évidence ? Et lorsque l’enfant parle de sa tristesse et qu’elle en demande la raison. « Je l’aimais » dit cet enfant. Là intervient un paradoxe qui exprime à la fois la position d’un enfant et le décalage par rapport à la loi. Cette réponse subvertit le système d’interrogatoire et de protection de l’enfance et expliquerait le suicide final. Dans la mesure où la loi de protection de l’enfance serait contestée par l’affirmation de l’amour, dans la mesure où celle qui interroge et qui sanctionne est placée face à une réponse qui lui rive son clou, face au réel impossible, le dispositif policier se détruit avec le personnage. D’ailleurs les deux images contradictoires coexistent, celle de l’agent s’écrasant sur la terre et celle de cet enfant, Solal, rebondissant vers le ciel.

 

3 – INTOUCHABLE

Encore un film français qui pianote sur les touches des bons sentiments. André Gide disait à ce sujet : c’est avec de bons sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature, et de mauvais films s’entend.

En effet à quoi assiste-t-on ? Alors que l’écart entre les plus riches —Arnaud Lagardère, Carlos Ghosn, Lilliane Bettencourt, etc— se creusent et que ces richissimes affichent une image de marque qui ne sert qu’à dorer leur vacuité, le film met en scène un handicapé nanti et sa relation avec un homme aussi pauvre que Job. On admire l’effet de réconciliation entre richesse et misère, entre deux individus aux antipodes de l’échelle sociale.

Omar Si interprète un pauvre noir, qui sort de prison, vit en banlieue, touche le chômage, a été rapatrié en France pour combler le manque d’enfant d’un oncle et d’une tante. La situation d’Idriss est pire que celle de Rémy de Sans Famille. Lorsqu’un réalisateur campe un grand ensemble de banlieue, pourquoi faut-il qu‘il montre une ribambelle d’enfants s’agitant dans un espace des plus étroits, une mère veuve harassée de travailler pour nourrir ses enfants, des adolescents en trains de fumer des joints et de boire de la bière ? Il y a dans cette évocation un phénomène purement conventionnel qui conforte le spectateur dans cette représentation de la misère. De là l’imagerie des maghrébins égorgeant leur mouton dans la baignoire. Cette vision est d’autant falsifiée qu’elle est un paradigme de stéréotype.

Quand on connaît la situation des handicapés en France dont la majorité vit difficilement d’une allocation adulte insuffisante, tenus qu’ils sont par des services de tutelle qui méconnaissent le plus souvent les besoins de ces oubliés de l’état, dont ces services déterminent par ailleurs les désirs, c’est à dire les manques criants, on reste confondu de la vision luxueuse, indécente, épurée, et particulièrement fausse du handicap.

La mise en scène de cet homme de couleur, interprété par Omar Si, tient de la légende. Les facéties hétérosexuelles, les attitudes séductrices envers l’éternel féminin, les infantilismes abondent. Les rapports de maître à valet s’inversent pour la plus grande jouissance du spectateur, Idriss devenant celui qui dirige, prévoit, contredit, incite. La légende s’intensifie lorsqu’il peint et que cette œuvre, véritable canular pictural, est évaluée comme véritablement artistique. La légende est encore appuyée lorsqu’il décompte un alexandrin dans le discours d’une jeune responsable du pôle emploi. On nous présente une sorte de miracle humain. La fréquentation d’un univers richissime et le rapport à un handicapé réconcilierait la pauvre avec l’aristocratie, le manque culturel avec la culture, la banlieue avec la XVIème, l’immoralité avec les principes, etc. Quel tour de passe-passe !

La destruction des effets de langage est patente. La lettre poétique dictée par le handicapé à une femme inconnue, Éléonore, est conspuée par Idriss, les mots sont inutiles comme le langage amoureux, seule compte la décision à prendre pour la rencontre vivante et immédiate. Cette attitude de la recherche de la présence serait bienfaisante n’était qu’elle se substitue à l’expulsion du langage. Partant de là, on comprend que le président de la république, lui qui a dénigré La Princesse de Clèves, reçoive les deux acteurs à l’Élysée.

Le film table sur l’activation permanente, la supériorité du corps sur l’esprit, de l’action sur la pensée, de l’image sur le concept, c’est là que se profile l’ostracisme de l’homme noir qui ne serait que corps et muscles et du handicapé qui ne serait qu’esprit, ce double déni et de l’esprit et du corps signe l’aspect réducteur du film. Quant à la référence qui viendrait d’une situation réelle, elle ne sert qu’à étayer les fantasmes évidents de cette histoire.

Le film tient surtout grâce à la performance d’Omar Si qui envahit l’écran comme un enfant occuperait un parc en jouant avec une jubilation communicative, une énergie inlassable, une séduction intempestive.

2 réflexions sur « Trois films se partagent des records d’entrée »

  1. Excellente critique, effectivement.

    Pour en finir avec les « Intouchables », il faut vraiment lire ce livre biographique « Le Second souffle », paru en 2001 dont s’inspire fort intelligemment le film, sans mievrerie. Et il n’y a pas que de « pauvres handicapés » . Si la France est tres en retard sur le traitement et l’image du handicap par rapport à ses voisins, le fait de savoir que n’importe qui peut devenir handicapé moteur ou mental (suite à une aladie ou un accident ) permet de faire avancer la cause et l’image de tous les handicapés dans la société.

    Et de reflechir sur des petits details comme le droit à une vie affective ou sexuelle, ou le blocage des acces aux handicapés. Pour cela et l’humour, la joie de vivre qui se degage du film, je le note 5 etoiles.

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