Croit-on vraiment qu'un seul gouvernement français, qu'il soit de droite ou étiquetté de « gauche » prendra le risque de refuser l'entrée du territoire français à une épouse d'émir en burqua ou ayant le visage voilé par un triple voile ? Les affaires sont d'abord et ensuite et toujours les affaires…

Tout d'abord, je signale que j'ai trouvé cette cocasse image sur le site Daily Cherez, catégorie « religion ». Elle illustrait la nouvelle diffusée par une certaine Khadra al-Mubarak, qui organise un concours de beauté intérieure pour mahométanes. Pendant dix semaines (pas dix jours, dix semaines), les postulantes au titre de meilleure « belle intérieure » seront soumises à des séances de question sur leur moralité, sur le sens de la phrase du Coran comme quoi le paradis serait aux pieds des mères (d'où, sans doute, la photo de la maman…).
Dans la religion catholique, on aime bien les retraites d'une petite semaine. Cela permet, en alternant sermons tonitruants et méditation et prières silencieuses, de bousculer les consciences pour rendre les « âmes » maléables.

Là, il s'agit paraît-il de contrebalancer la « décadence » des autres concours de beauté qui « ne prennent en compte que le corps et l'apparence des femmes », commente Khadra al-Mubarak. Les concurrentes n'auront pas forcément à être physiquement laides ou devoir présenter un physique ingrat, rien ne les obligeant à se départir d'une burqa ou des triples voiles ou des masques de cuir portés du côté de Mascate…

Je me souviens de Taez, au Yémen alors septentrional, où, parvenues au pied du mont Saber, les femmes amenant le quat frais des montagnes, dents dorées et seins pratiquement à l'air (du fait de l'échancrure de leur robe longue) se mélangeaient aux mahométanes dissimulées par le triple voile (un couvrant le front, l'autre le bas du visage, le troisième, moins épais, couvrant le tout et le regard), uniquement identifiables par leurs talons. Ce qui présente évidemment l'avantage d'être peu identifiées par des maris ou frères ou cousins si l'on se rend chez un amant, mais n'est pas si pratique autrement. Dans la Timaha, les femmes peintes au khidab portent un simple fichu et apparemment, les mœurs sont moins strictes qu'on ne l'imagine ou l'admet. Il existe bien des manières de rivaliser d'élégance, et ce n'est pas le propre des univers mono ou polythéistes que de mettre ou non en valeur les avantages physiques des femmes, lesquels varient selon les cultures et les contrées bien plus que d'une sphère dite religieuse à l'autre…

Mais revenons-en à la France et à ce pseudo-débat de la caste parlementaire. Il y a effectivement débat hors de cette sphère si particulière.

Ainsi, à la suite de contributions laïques diverses, un courant féministe, représenté notamment par la docteure (en médecine) Michèle Dayras, présidente de SOS Sexisme, s'insurge. « Oui, il faut interdire les Belphegor et assimilées sur notre territoire, tant pis pour la pseudo-liberté individuelle de ces femmes-là, car ma liberté – si chèrement acquise – qui est menacée et que je veux sauver ! ».

Je ne dirais pas de la présidente de SOS Sexisme qu'elle est naïve car je veux croire qu'elle sait parfaitement de quoi il en retourne. Il s'agit bien de menacer les libertés, dans le droit fil de la politique actuelle, mais il est hors de question d'interdire l'entrée sur le territoire à des femmes portant un masque de cuir, une burqa, un tchador, le hidjab, le niqab ou ce que les mahométans voudront.

Tout comme ces mêmes mahométans ne voudraient surtout pas, au Yémen, se priver de quat frais, nous n'allons – pas plus qu'en Tunisie – interdire l'accès du territoire national à de telles femmes.

BIen sûr, tout comme en Tunisie, on pourrait leur interdire de paraître en public. Dans son manifeste « Non à l'islam politique en France », la dre Michèle Dayras relève fort pertinamment que la Tunisie interdit, comme autrefois la Turquie, des signes religieux trop fortement marqués.

La Tunisie s'est effectivement dotée d'une législation prohibant le port du voile. En tous lieux publics. Sauf, bien sûr, dans les aéroports quand viennent les épouses des financiers saoudiens ou émiratis du clan Ben Ali et des autres clans. La plupart des hôtels cinq étoiles qui font vivre la Tunisie sont à capitaux saoudiens ou émiratis. La Tunisie leur fournit aussi, à ces capitalistes, des Tunisiennes dévoilées, mais n'imaginerait jamais interdire à leurs épouses de venir à l'occasion accompagner leurs maris.

Imaginez-vous un seul instant que Nicolas Sarközy interdirait l'entrée du territoire français aux épouses des Saoudiens ou des Pakistanais acheteurs de matériels militaires ? Imaginez-vous Nicolas Sarközy faire arrêter par la police les acheteuses en burqa qui fréquentent les grands magasins de ses amis personnels ? Tout comme chez Harrod, on voit désormais fréquemment ces acheteuses arrivées en limousines, qui déambulent dans les couloirs du Printemps, des Galeries La Fayette, du Bon marché, et qu'on ne saurait bloquer aux entrées des magasins Hermès, Vuitton, Dior et autres.

Il est sûr que si on forçait aussi les Tariq Ramadan et tout ces imams et ayatollahs à porter aussi les burqas, ce ne serait que justice. « Empaquetez des hommes dans des burqas par 35 degrés à l'ombre… », suggère la docteure Dayras qui n'ignore rien des conséquences d'une forte canicule sur les organismes affaiblis. Les 45° à l'ombre sont parfois atteints en divers pays ou régions et l'argument vaut ce qu'il vaut pour les Targuis. Mais l'idée est fort plaisante.

De même que les cardinaux trouvent très bien de reculer indéfiniment le moment de leur départ en retraite, choyés qu'ils sont par des religieuses africaines ou asiatiques qui leur sont une main d'œuvre au meilleur prix (et tant pis si, pour faire subsister un peu leurs familles, elles se prostituent sur les avenues extérieures de la Ville Sainte), on trouvera toujours des moyens pour affirmer la domination masculine sur les plus pauvres.

Mais pour les plus riches, ce sera comme usuel, deux poids, deux mesures.

Si tant était que la loi interdisant la burqa soit votée en France, le décret d'application ne passerait jamais. Imaginez-vous un seul instant que les émirs ou les chefs d'État africains polygames se voient contraints de se présenter en France accompagnés d'une seule épouse ?

Mais, au moment d'obtenir le départ à la retraite à 67 ans, ce rideau de fumée, cette indécente danse des voiles, est bien pratique. Pour arrondir les ventres des mêmes, on fera danser ceux des cigales qui sont placées en situation de ne pouvoir se constituer le moindre capital, les moindres économies. Et à défaut de donner du pain, on fournit des jeux, des phrases, des matières à conversations.

Dans le même temps, la hauteur des talons des escarpins grimpe et grimpe. Il s'agit de manifester qu'on appartient à la classe oisive, tout comme les Italiennes juchées sur des chopinas devaient se déplacer en s'appuyant sur une ou deux servantes, grossièrement chaussées de souliers ou d'il importait si peu quoi. Ces mêmes escarpins hors de prix du commun sont portés de même, dans l'intimité du logis, par les épouses les plus attrayantes des richissimes mahométans : le but est le même. Humilier au fond, en faisant semblant de mettre en valeur. Dire que l'on pare, mais ne pas accepter la moindre contradiction. Il est pratiquement impossible à toute femme, surtout s'il s'agit d'Africaines à la physionomie particulière, de progresser rapidement sur de tels talons. Soyez belles et taisez-vous, tel est le message. Il vaut autant pour les femmes chrétiennes, judaïques ou autres des milieux très aisés que pour les autres. Et pendant que les femmes assurent le spectacle, les affaires continuent et les armes se vendent, les drogues transitent beaucoup plus librement qu'on ne l'imagine, les esclaves s'exportent d'eux-mêmes ou on les convoie par dizaines ou centaines. Mais on peut compter sur l'actuelle majorité présidentielle française pour animer les plateaux de télévision avec des histoires de voiles, de mœurs, de n'importe quoi.

De son côté, la Ligue de l'Enseignement publie un manifeste intitulé « Liberté, égalité, fraternité contre burqas ». Il débute ainsi : « Dans un contexte de crise économique et sociale toujours plus grave, la question du port de signes religieux, non plus à l'école cette fois, mais dans les lieux publics, refait son apparition. Nous ne nous laisserons pas distraire des vrais enjeux. ». La suite est assez convenue. La conclusion l'est moins. « La seule solution est celle qui allie la fermeté sur les principes et la constance dans le travail d'intégration à la société (…) voie certes longue et difficile, mais la seule efficace. ».

Dans cette histoire, qui n'en est pas une vraie, mais un faux-semblant, il est très difficile d'arrêter une opinion sans faire des victimes. Il est fort possible qu'un « interdit frontal, inefficace, voire contre-productif car enfermant encore plus les femmes dans leur soumission, » comme le souligne la Ligue, soit agité tel un voile devant les taureaux de l'opinion. Penser qu'il puisse être opposable à tout le monde – et en particulier aux principaux détenteurs des capitaux – est parfaitement illusoire. Imaginerait-on un seul instant, si la Tunisie était l'un des principaux fournisseurs de pétrole, une Clinton portant un voile, un Obama critiquant Ben Ali à Tunis ? Ce pseudo débat de circonstance doit être pris pour ce qu'il est : un enfumage supplémentaire. C'est plutôt tant les voiles que l'âge du départ à la retraite qu'il conviendrait de raccourcir. Mais imposer ce raccourcissement pourrait avoir des effets pervers s'il était contraint. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne mettra pas au chômage des généraux pour faire en sorte que d'autres puissent travailler beaucoup, beaucoup plus longtemps. Pour le reste, tout peut attendre

D'ailleurs, une loi anti-burqa attendra au-delà 2012. Après les rotomontades présidentielles à Versailles (« Nous ne pouvons pas accepter, dans notre pays, des femmes prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale, privées de toute identité. Ce n’est pas l’idée que la République française se fait de la dignité des femmes. »), Éric Besson a fermé le ban. C'est en toute concertation avec Nicolas Sarközy, sans doute, que le ministre de l'Immigration a déclaré ensuite à Karl Zéro sur BFM qu'il ne proposerait pas de projet de loi. Gesticuler, oui. Légiférer là-dessus, non. Et son sait pourquoi. De plus, vu le nombre d'inscrit·e·s sur les listes électorales supposé·e·s sensibles aux argumentations des imams, ayatollahs, &c., on ne touchera pas davantage aux burqas qu'aux robes des divers clergés intégristes ou non, chrétiens ou autres, qui peuvent s'afficher en public et même recevoir les honneurs des gardes républicains. Deux poids, deux mesures, oui, mais cela dépend de ce à quoi on s'en prend. Imaginez un peu Lourdes ou Lisieux sans le folklore des tenues congrégationnelles. Le manque à gagner commercial risquerait de se transformer en manque électoral à se perpétuer. Et de cela, il n'a jamais été, et il ne sera jamais réellement question.