Les aventures de Tintin est une série de bandes dessinées crées par le désormais célébrissime scénariste et dessinateur belge Georges Rémi, alias Hergé. Traduite dans une cinquantaine de langue, Les aventures de Tintin sont des plus vendues et adaptées (au cinéma, au théâtre, à la télévision) des bandes dessinées du XXe siècle européen.

            Publiée pour la première en 1929 dans un petit journal pour enfants, la série décrit les voyages d’un journaliste et globe-trotter belge, nommé Tintin, accompagné de son fidèle chien Milou.

 

            Certains personnages reviennent régulièrement, tels le Capitaine Haddock et son fameux « Mille milliards de mille sabords !», les détectives Dupond et Dupont avec leur récurrent « je dirais même plus… », ainsi que le professeur Tournesol.

 

            Néanmoins Hergé fut et est encore, malgré le succès fulgurant de ces œuvres, fort critiqué. Particulièrement pour le deuxième des 24 épisodes (si l’on compte celui inachevé de Tintin et l’Alph‑Art) des Aventures de Tintin, intitulé Tintin au Congo. Il fut pré publié du 5 juin 1930 jusqu’en 1931, en supplément du journal Le Vingtième Siècle. Sa version couleur, telle que nous la connaissons actuellement, ne parut qu’en 1946.

 

            Avant d’analyser les nombreuses critiques de racisme qu’essuya l’œuvre d’Hergé, remettons son élaboration dans son contexte historique. Le « Congo belge », comme il l’était appelé à l’époque par le fait qu’il en était la colonie, représentait une véritable corne d’abondance pour la Belgique de par son sol extrêmement riche et sa taille, soit quatre-vingt fois celle du pays colonisateur. Faute de main d’œuvre, de la publicité était faite pour le Congo dans notre petit pays, et les préjugés sur les habitants de la colonie allaient bon train.

 

            Il n’empêche, plusieurs plaintes furent déposées : en 2007, la British Commission of Racial Equality juge la bande dessinée raciste, remettant la controverse liée aux stéréotypes raciaux d’actualité. La commission britannique pour l’égalité des races exige sa suppression de la vente pure et dure. Finalement, seul le libraire Borders déplaça l’album du rayon « enfants » au rayon « adultes ».

 

            Mais ce n’était que le début : en effet, un citoyen congolais, Bienvenu Mbutu Mondondo dépose également en 2007 une plainte, pour le même motif, devant le tribunal pénal de Bruxelles avant de récidiver en 2010 cette fois au civil. Clamant l’histoire raciste et xénophobe, étant inadmissible que Tintin puisse crier sur des villageois congolais forcés de travailler à la construction d’un chemin de fer et que Milou puisse en outre les traiter de paresseux,  il juge nécessaire que le livre porte, au minimum, un avertissement, si du moins on n’en interdit pas la diffusion. Par deux fois la justice belge a estimé que ni délit, ni contravention n’a été commise par l’ouvrage, ajoutant que « nous avons exclu toute intention dans le chef d’Hergé de diffuser des idées de discrimination ». La justice tranchera en 2012 définitivement sur le bien fondé de la bande dessinée, tenant compte du contexte social et historique dans lequel elle avait été rédigée, et jugeant les demandes formulées par Monsieur Mondondo, main dans la main avec l’ASBL Cran (Conseil Représentatif des Associations Noires) acceptables mais non fondées.

 

            Mais ce n’est pas fini, voilà que récemment encore, le quotidien Aftonbladet rapportait qu’un dixième environ des bibliothèques municipales de Suède limitaient voire interdisaient la location de Tintin au Congo, l’une d’entre elles le déclarant ouvertement raciste. Certains ne le prêtent qu’occasionnellement dans un but éducatif par exemple, à des enseignants, tandis que certaines librairies ont choisi de ne pas renouveler leur stock. Cela succède apparemment à une polémique déclenchée quelques mois plus tôt par le directeur artistique de la Maison de la Culture de Stockholm, qui le 24 septembre avait enlevé les albums du rayon jeunesse afin de relancer le débat.

 

            On s’interroge donc toujours sur le caractère raciste de l’ouvrage. Hergé s’est défendu de son vivant en rétorquant à ses détracteurs :

« Pour le Congo tout comme pour Tintin au pays des Soviets, il se fait que j’étais nourri des préjugés du milieu dans lequel je vivais… C’était en 1930. Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient à l’époque : « Les nègres sont de grands enfants, heureusement que nous sommes là ! », etc. Et je les ai dessinés, ces Africains, d’après ces critères-là, dans le pur esprit paternaliste qui était celui de l’époque en Belgique. »

Cette déclaration, arguant qu’il s’agit en fait d’un péché de jeunesse, fait suite aux critiques qui l’accusaient de caricaturier les congolais comme des êtres bêtes et naïfs.

 

            Lors de l’audience qui se déroulait en février 2012, le représentant de la maison d’édition Casterman et de Moulinsart, société gérant les droits de l’œuvre d’Hergé, rappelait que «C’est l’époque de la Revue nègre de Joséphine Baker, de l’exposition coloniale de Paris. Hergé est dans l’air du temps, ce n’est pas du racisme mais du paternalisme gentil».

 

            Benoît Peeters, biographe d’Hergé, soutenait ce discours d’une autre manière en soulignant dans un article du Figaro en 2009 que «l’attitude de Tintin est le reflet exact d’une période où l’Occident se donnait une mission sacrée de civilisation. Hergé n’a fait que consulter les journaux pour trouver son inspiration.»


           L’écrivain Alain Mabanckou, congolais, insiste sur le fait que la bande dessinée doit pouvoir une trace de l’esprit belge de ces années trente. Il argumente que la polémique sur cette œuvre frise la cocasserie car elle n’est lue que d’un œil « intégriste », or ce n’est pas à partir de cette œuvre que la pensée de l’Occident sur les Noirs s’est formées, mais que lorsque Tintin est arrivé au Congo, l’idéologie raciale et coloniale était déjà bien présente.


            Clément Vidibio, éditorialiste de la revue au Congo, rappelle également « les hommes bons sont le plus souvent congolais et Tintin, le généreux, lutte contre le mal incarné par un mauvais blanc ». Il serait « injuste de frustrer le Congo de ce jeune héros dont la tendresse pour notre pays n’est pas à démontrer ». En observant l’histoire du roman, on remarque en effet qu’après tout, c’est bien des blancs qui essaient de s’emparer du marché des diamants que combat Tintin, afin d’aider les Noirs et non pas l’inverse.


            Le verdict unilatéral de la justice belge a été décrié par le CRAN au nom du fait que «‘‘Tintin au Congo’’ véhicule comme chacun sait les clichés les plus racistes de l’époque coloniale» et que «des dizaines de milliers d’enfants sont intoxiqués par les représentations odieuses de ces albums.»




                        Tintin au Congo a fait, fait toujours et fera encore couler beaucoup d’encre sur ses intentions discriminatoires. Pourtant dans l’optique de sa série des Aventures de Tintin il me semble pourtant clair qu’il n’y a, dans les convictions de Georges Rémi, aucune idée intentionnelle de ségrégation raciale ou autre. Au contraire, Tintin incarne selon moi une attitude volontariste : ne déjoue-t-il pas de nombreux plans machiavéliques tout au long de ses périples, afin d’aider les gens et la société en générale ? Ne démantèle-t-il pas un réseau de trafiquants de diamants qui comptaient appauvrir le Congo belge ?


                        Les critiques portent sur la bande dessinée parce qu’elle a survécu jusqu’à notre époque. Mais dans mon opinion, c’est alors toute la doctrine coloniale de l’époque qui devrait être remise en question et en cause, et non pas seulement ce qu’il nous en reste, comme une idéologie raciste.


En vue de défendre l’ouvrage face aux diatribes auxquelles celui-ci doit faire face, certains leur opposent une connotation « paternaliste ». Mais que définit exactement le paternalisme ? Souvent confronté au libéralisme, celui-ci exprime en fait la conviction qu’il est moralement souhaitable qu’on prenne des décisions en lieu et place d’un autre, pour le bien propre de celui-ci. Mais les belges de l’époque étaient-ils à même de prendre les décisions au sujet du Congo pour le Congo ? Dans le contexte colonial des années dix-neuf cents, il n’en faisait aucun doute. Mais notre société actuelle, ancrée dans un profond libéralisme, voit d’un mauvais œil et réprouve ce genre de méthodes, ce qui mène aux plaintes déposées par M. Mondondo.


            Je pense donc qu’il est faux de prétendre que cette bande dessinée est raciste, pourtant il serait judicieux d’y apposer un signe pour prévenir les lecteurs des circonstances dans lesquelles elle a pris forme (pourquoi pas une préface ?)


 

            Premièrement parce que la mentalité de l’époque, comme expliquée plus haut, permettait ça sans qu’un quelconque problème ne survienne.


            Deuxièmement, parce qu’il est trop facile d’analyser à la loupe un morceau du récit alors que dans sa généralité il défend un idéal de justice et d’équité.


           Enfin car des groupes se sont formés au Congo, dans l’unique but de défendre Hergé et son œuvre, qui selon eux ne fait qu’ouvrir une fenêtre sur leur passé historique, un passé qui, même peu glorieux, reste celui d’un peuple et d’une nation entière. De plus, si la façon dont laquelle étaient traiter les Noirs peut prêter à sourire en Europe, elle prête également à sourire en Afrique, où on rigole de la manière dont nous les considérions.


            En conclusion, si en effet les a priori sur les Congolais étaient monnaie courante à l’époque, il serait erroné de croire qu’Hergé ait voulu transmettre un racisme ou quelconque sentiment de supériorité des Occidentaux dans son ouvrage. Ce texte mérite d’être apprécié par tout un chacun, dans un but éducatif comme de loisir, sans pour autant qu’il ne faille y déceler une trace de mauvaise volonté de la part d’un de nos plus grands héros national !