S’ il est un genre cinématographique qui est bien en reste dans la culture populaire, c’est le film de kung-fu.
La preuve, cette chronique ne concerne en rien les films de kung-fu.
Nous aborderons aujourd’hui un film relativement méconnu du grand public, bien que considéré par les cinéphiles comme un chef d’oeuvre, et ce à juste titre: "The Fly" ("La mouche", pour ceux qui ont du mal) de David Cronenberg, film de 1986.
Un film qui a marqué l’enfance de beaucoup d’entre nous (moi qui pensais être le seul!), que cela relève du simple cauchemar d’une nuit ou carrément du traumatisme insensé, galvanisé par la moindre bête volante et bourdonnante qui vient se poser sur votre bras.
C’est beau, hein?! Je vous inviterai donc à lire la suite de cette modeste chronique.
Mais commençons par le commencement, et revenons 30 ans en arrière pour nous intéresser aux origines de cette histoire que seul un scientifique alcoolique et chômeur aurait pû inventer.
C’est en 1957 que le magazine Playboy publie une nouvelle intitulée "The Fly", écrite par un certain George Langelaan, écrivain et journaliste franco-britannique qui n’était du coup ni scientifique, sûrement pas alcoolique non plus, et encore moins chômeur (pour ceux qui ne suivent pas, il était écrivain et journaliste!).
Il y raconte la triste histoire d’un chercheur qui, ayant mis au point un système de téléportation de matière par cabines interposées (une cabine désintègre la matière, l’autre la réassemble), se téléporte malencontreusement avec une mouche on ne peut plus banale (et avec des atomes de chat, mais on ne va pas s’attarder là-dessus…). Les conséquences sont fâcheuses évidemment, puisque le pauvre scientifique voit sa tête et son bras échangés avec ceux de la mouche (on verra les implications filmiques désastreuses dans le film de l’année suivante).
Au final, la femme du pauvre bougre le passera sous une presse hydraulique, à la demande de ce dernier.
La nouvelle connut un franc succès, si bien que Hollywood, toujours sur les bons coups, y vit une mine d’or potentielle et acheta les droits pour le cinéma.
L’année suivante (1958) sortait donc sur les écrans le film éponyme, avec s’il vous plaît, M. Vincent Price (la star du film d’horreur des années 50) et d’autres illustres inconnus, dont David Hedison dans le rôle du scientifique malmené, le tout dirigé par un certain Kurt Neumann.
La trame du film reprenait donc de façon calquée celle de la nouvelle (sans le chat), et nous offrait un homme-mouche d’une rare qualité, dont les yeux étaient manifestement représentés par les phares d’une voiture, et autres réjouissances.
Notre homme-mouche en plastique!
Le film eut un impact considérable et fût un franc succès, si bien qu’il engendra deux suites très dispensables: "Return of the Fly" (1959) et son homme-mouche déstabilisé par sa grosse tête se prenant des arbres en courant dans la forêt (véridique, bien qu’involontaire), et "Curse of the Fly" (1965) qui n’avait pas grand-chose à voir avec ses prédécesseur mis à part le concept de téléportation.
"Bas les pattes! Un costume tout neuf!"
C’est ainsi que 30 ans après la parution de la nouvelle, Hollywood remis les pieds dans le plat, et considéra un possible remake.
Le scénariste Charles Edward Pogue et le producteur Stuart Cornfeld s’attelèrent donc à la tâche. Pogue, reprenant l’histoire originale, introduit cependant un concept nouveau: au lieu d’intervertir les attributs de l’homme et de la mouche, pourquoi ne pas les mélanger?
Je vous épargnerai l’histoire chaotique de la production du film, mais j’ajouterai seulement que Mel Brooks se joint à la fête, et que David Cronenberg, le cinéaste de l’organique et de la mutation ("Scanners", "Videodrome", "Rabid") fût approché pour la réalisation et accepta de travailler sur le projet (Tim Burton avait été approché également) à condition de pouvoir réécrire le script, sur lequel il retint cependant le concept de mélange.
Le choix des acteurs se porta sur Jeff Goldblum (qui se fera connaître du large public avec "Jurassic Park"), Geena Davis ("Thelma et Louise") sa femme de l’époque, et John Getz ("Blood Simple") qui n’était, lui, la femme de personne.
Le film prit alors une tournure bien différente.
On y fait la connaissance de Seth Brundle (Goldblum), jeune scientifique brillant qui travaille sur "quelque chose qui va changer le monde d’aujourd’hui". Veronica Quaife (Davis), une journaliste qu’il rencontre à un meeting scientifique, accepte de l’accompagner à son labo qui lui sert d’appartement pour voir de quoi il s’agit.
Et effectivement, l’invention est révolutionnaire. Brundle, qui a le mal des transports ("Enfant, j’ai vomis sur mon tricycle"), a mis au point un système de cabines, qu’il a appelées "Telepods", dont l’une (Telepod transmetteur) désintègre la matière et l’autre (Telepod récepteur) la reconstruit. Le tout géré par un ordinateur de bord surpuissant, comme on savait les faire dans les années 80. Il a mis au point la téléportation.
Il lui offre d’écrire un livre sur le sujet, au lieu d’un simple article.
Mais son invention souffre d’un problème majeur: il ne peut transporter que la matière non-organique (il démontre la chose avec un babouin de labo qui sort en purée du Telepod récepteur).
Puis, on ne sait pas trop si l’accident du babouin y’est pour quelque chose, une romance naît entre les deux protagonistes, au grand dam de Stathis Borans (Getz), éditeur et ancien amant de Veronica.
Brundle finit par réussir son coup et transporte sans accroc le babouin encore entier. Il explique son succès par le fait qu’il a appris à l’ordinateur à être "créatif".
Alors qu’ils fêtent l’événement, Veronica remarque un courrier de Borans, qui, jaloux, a caricaturé Brundle sur une couverture de magazine.
Elle part abruptement régler ce problème. Brundle, ayant un peu trop bu et craignant qu’elle ne renoue avec son ancien amant, décide de se téléporter lui-même pour la priver d’un grand moment dans l’histoire de la science.
Et effectivement, la téléportation est un succès. Seulement, Brundle n’a pas remarqué la mouche qui se glissait dans le Telepod transmetteur avec lui…
Quand il sort du Telepod récepteur, il est… Tout à fait normal d’apparence.
Les jours suivants, pourtant, il se sent beaucoup plus énergique, plus fort, il n’a plus besoin de dormir,… Il en déduit donc que la téléportation l’a amélioré, purifié, mais Veronica s’inquiète de son tempérament nouveau: il devient aussi plus agressif et bizarre.
Son visage commence à changer aussi, comme si il subissait une étrange allergie…
Allergique au beurre de cacahuète, peut-être?
Interpelé par ces changements, Brundle consulte alors le dossier de sa téléportation. A son grand étonnement, un intrus est présent avec lui dans le Telepod transmetteur. Et, avec horreur, il constate que l’ordinateur ne s’est pas contenté de les téléporter ensemble, la mouche et lui: confus par deux corps séparés, il a prouvé sa créativité en procédant à une fusion génétique des deux êtres…
Petit à petit, Brundle change, tant physiquement que psychologiquement.
"Je propose qu’on écarte la théorie du beurre de cacahuète…"
Il ne devient pas une mouche, il devient quelque chose entre l’insecte et l’homme, quelque chose "qui n’a jamais existé". Une créature qu’il appellera "Brundlefly".
Il passe de l’incompréhension à la peur, de la peur à l’acceptance, de l’acceptance à la recherche de son humanité perdue.
Son apparence change drastiquement, en même temps que son état d’esprit.
Veronica, ne sachant plus quoi faire, demande de l’aide à Stathis qui tente de la soutenir tant bien que mal, étant donnée la situation.
Et je m’arrêterai là parce que je ne vais pas raconter tout le film, et puis ça ve finir par devenir pompeux à lire!
"The Fly" a été un grand succès commercial et critique à son époque.
Cronenberg y a dépeint une métamorphose kafakaïenne et terrifiante, où le protagoniste tente tant bien que mal de conserver son humanité, tout en étant conscient de sa condition inéluctable, et analysant les choses avec un intéret scientifique malsain.
A vrai dire, il s’agit plus ici d’une histoire d’amour sur fond d’horreur que l’inverse.
La relation entre les deux protagonistes est au centre du film, et constitue le point d’orgue de tout le récit. Cette relation est d’autant plus forte que, bien qu’elle soit témoin de l’hideuse métamorphose de son amant, et du danger potentiel qu’il pourrait représenter, Veronica reste à ses côtés, déterminée à ne pas l’abandonner à son triste sort.
Ceci dit, l’horreur est de mise également. Le gore est à l’honneur dans certaines scènes, et les maquillages appliqué à Goldblum sont tout simplement terrifiants de réalisme. L’équipe de Chris Walas (créateur des effets spéciaux et responsable par ailleurs de la très mauvais suite, "The Fly 2") a réussi le pari de faire penser au spectateur: "si ça arrivait vraiment, ça se passerait comme ça, sans aucun doute!".
Les acteurs, de leur côté, livrent une performance très convaincante.
Jeff Goldblum a trouvé le rôle de sa vie, et continue d’impressioner le spectateur tout au long du film! Même sous des tonnes de maquillage, on peut lire dans ses yeux les émotions du personnage, et son interprétation des tics et du comportement d’un insecte à échelle humaine est tout bonnement incroyable.
Geena Davis, elle, est parfaite dans le rôle de la petite amie désemparée, et la chimie entre les deux personnages fonctionne d’autant mieux que les deux acteurs étaient liés dans la vie, à cette époque.
John Getz est convaincant dans le rôle de l’ex jaloux, qui bien que cynique et antipathique au début du film, prouve sa valeur à la fin du film (mais je n’en dirai pas plus!).
Trois acteurs (oui trois!) plus un ou deux seconds rôles pour ce huit-clôs horrifique, qui dépeint la métamorphose du protagoniste au travers d’une métaphore sur le vieillissement et la maladie.
C’est pire après…
Que pourrait-on dire de plus sur ce film? Tellement de choses, en fait!
Mais je vais m’arrêter là. La meilleure chose à faire est de le voir.
En résumé, "The Fly" est un film qui mérite son statut de chef d’oeuvre. Il ne s’agit pas ici d’un vulgaire film de monstre ou d’une série B inintéressante, mais bel et bien d’une oeuvre qui s’intéresse plus encore à l’homme et ses sentiments qu’au monstre qu’il devient.
Points positifs:
-les acteurs
-les effets spéciaux et maquillages
-métamorphose aussi bien physique que psychologique
-la bande-son, qui se prête au film plutôt qu’elle ne le dessert, à la manière d’un opéra
-l’atmosphère malsaine qui plane sur le film en deuxième partie
-la fin!
Point négatif:
-une scène importante a été coupée du film et manque cruellement quand on l’a vue. Elle dépeint un nouveau stade de la métamorphose et offre au spectateur une transition qui rend moins abrupte le passage au stade suivant.
Pardonnez à nouveau mes quelques fautes de frappe et répétitions!
Ah bah personellement, je peux pardonné n’importe quoi du moment que vous continue d’écrire des articles comme ça parce que j’adore votre façon d’écrire! 😀
« The Fly »: un grand classique! Et c’est vrai qu’il mériterait d’être connu mais bizarement, dans ces cas là, je suis une extrème egoïste et n’aime pas partager! ;D
En tout cas, vous en avez super bien parlé et m’avez donné envie de le revoir… Hop, j’y cours!!!
Et t’ as les droits de toutes tes belles photos et del ‘ affiche
« La protection dont dispose l’auteur sur son oeuvre s’étend à l’exploitation de l’affiche de film »
bisous
Alors pour être tout à fait honnête, non j’ai rien payé pour avoir le droit de mettre ces photos dans mon article (je n’en ai pas les moyens, de toutes façons).
Cela dit, je pense qu’elles servent l’information que j’apporte.
Et puis je connais des milliers de sites qui n’ont pas les droits pour des milliers de photos affichées. Sites sur lesquels j’ai récupéré les photos, d’ailleurs.
Cela dit, je dois avouer que j’aimerais être tenu au courant par C4N si quelque chose coince à ce niveau.
Car je ne pense pas à mal en mettant ces photos en ligne. C’est juste un meilleur moyen de faire parler mon texte.
Bonjour.
Libre adaptation du film éponyme de 1958, The Fly est une réussite exemplaire. L’histoire correspond parfaitement à David Cronenberg, qui retrouve ici son sujet de prédilection : la dégénérescence psychique et physique de l’être, via la « pénétration » ultime de la chair.
Jeff Goldblum est l’auteur d’une performance phénoménale, portant littéralement le film à bout de bras tant son interprétation de « Seth Brundle », « Seth Brundle-mouche, et de la « Mouche » est impressionnante. Il habite littéralement son rôle, donnant vie à la déchéance d’un humain se transformant en monstre, avec une profondeur et un génie omniprésent.
Le tout, appuyé par un Chris Walas tout aussi astucieux et génial au niveau des effets spéciaux (c’était l’époque du vrai cinéma, ou le génie transpirait sur la pellicule, sans avalanche ni overdose d’image de synthèse).
Le tout, souligné par une composition musicale envoûtante d’Howard Shore, dont le final confine au chef-d’œuvre.
A voir et revoir…sans modération !
Michel
Effectivement, merci pour votre intervention.
J’ai oublié de préciser ce « détail » qu’est l’inventivité des effets spéciaux de l’époque!
Cela paraissait en effet beaucoup plus réel, et il y’avait derrière tout cela un vrai travail artistique. C’est quelque chose qui me tient à coeur et que je soutiens d’autant plus depuis l’arrivé des images de synthèse (dites « CGI ») utilisées à l’excès!
Merci à vous de le préciser.
Waow,
très bonne plume !
[s]Vous[/s] tu as un très bon style, continue comme ça !
Pour revenir au sujet, film vu, ainsi que ses suites… bonne tranche de rigolade, quelques frayeurs, causées non par l’histoire mais par le kitsch… Il faut saluer Cronenberg, réalisateur à succès, que j’ai rencontré à nouveau avec Existenz, réflexion sur le jeu vidéo, le réel et le virtuel.
Pour revenir à ton style, qui est très particulier (tu es le seul, ici, à l’avoir), j’aime beaucoup l’incrustation de tes illustrations avec les commentaires très amusants en dessous !
Point bonus : longtemps que j’avais pas entendu parler de Kafka, merci d’y avoir glissé une référence à sa « métamorphose », très bon moment de littérature, trop peu vanté en cours de français (en tout cas dans les filière scientifiques).
Point bonus supplémentaire : vraiment, j’adore !
Amicalement (?)
Gosseyn