Telethon et Sarkothon : l’un trébuchant, l’autre toujours aussi sonnant

Si j’ai bien suivi l’actualité, un Téléthon formule traditionnelle mobilisera l’auditorat les 3 et 4 décembre selon une méthode bien rodée, mais sans doute pas assez rénovée au gré de France Télévisions. Il serait question de changement avant même 2012. Suggestion du docteur G (pour Geluck, Philippe) pour l’an prochain : varier bien davantage les bénéficiaires des sommes recueillies, en faire profiter les budgets militaires. Pour le Sarkothon permanent, en revanche, plus cela change, plus c’est la même chose… pour les contribuables donateurs et les bénéficiaires habituels. Eh oui, le Sarkothon est toujours aussi sonnant : la chair pour les uns, la peau pour les autres…

Question d’Arnaud O., de Chooz, localité des Ardennes encore pour quelques temps en Champagne-Ardenne qui va se retrouver en Champagne si le patronat régional refait à cette circonscription le coup de Châlons-sur-Marne (ou des Côtes-du-Nord) : « pourquoi ne pas organiser un Avionthon ?» (ou un Dassauthon, ou un Rafalethon) pour diversifier les bénéficiaires des dons des publics du Théléthon.

Réponse du docteur G., Philippe Geluck, consignée dans son livre illustré de 2002 chez Castermann, Cher docteur G. : « quelques alcooliques rubiconds en uniforme kaki » ne sauraient efficacement motiver les accros du PAF (paysage audiovisuel français). De plus, « dans le budget d’un État, il y a les priorités et l’accessoire (…) Parmi l’accessoire, citons pêle-mêle les transports en commun, l’éducation nationale, la protection de l’environnement et la recherche scientifique. ».

 

C’est vite dit. Certes, les transports en commun sont une priorité quand il s’agit d’avantager quelques grands groupes du BTP. Pour les usagers, ceux de la RATP par exemple, c’est accessoire. Ils voient constamment les stations rénovées pour faire plus joli, jamais pour les doter de nouveaux escalators pour les usagers handicapés, les femmes enceintes et les vieux, pour ne citer qu’eux. La priorité est de les faire marcher jusqu’à la prochaine bouche de métro et son unique guichet rénové, lequel, parfois, si l’on n’est pas muni d’une carte bancaire, ne permet plus d’acheter un ticket.

Pour l’éducation, généralement, on trouve des fonds… quand il s’agit de construire de nouveaux locaux, ou de fonder une fac Pasqua (à la Défense, université privée), de doter de nouvelles salles et d’ordinateurs, d’un campus avec résidences de luxe pour étudiants, une école de commerce gérée par une Chambre de commerce et d’Industrie.

Pour la recherche scientifique, c’est une priorité quand il s’agit de faire acquérir aux hôpitaux publics, au tarif plein pot chargé de la quasi-totalité de l’amortissement, un nouvel équipement très haut de gamme, genre scanner. Les produits dérivés, largement amortis par ces premières ventes, seront vendus avec force ristournes par la suite aux cliniques privées, et on pourra s’arranger pour que le modèle initial du service public ne soit plus tout à fait en état de fonctionner ou sous-employé faute de spécialistes disponibles. Allez donc à côté, à la clinique privée, l’attente est moins longue, et c’est du pareil au même (en sus, la couche façon sellier Hermès est mieux rembourrée). Et puis, pour les recherches, inutile de financer le Cnrs, il y a des fondations privées qui méritent beaucoup mieux, n’est-ce pas ? Des Fondations Bettencourt, par exemple…

 

N’empêche. Arnaud O., au moment où le Royaume-Uni rechigne un peu à partager avec la France ses missions de dissuasion nucléaire, votre idée est à creuser. Elle n’est pas du tout « nono ». J’avais déjà abordé la question. Si la Grande-Bretagne est totalement détruite par une frappe nucléaire, que fera le pacha sous-marinier français nucléaire ? Il riposte ou tente de regagner un port français puis de gagner Montoire-sur-le-Loir (où Pétain fit ami-ami avec Hitler) via des canaux et rivières ? Faut-il vraiment répartir les rôles de la dissuasion nucléaire entre la France et le Royaume-Uni, en s’y résignant, faute de moyens ? De même, avec une armée de métier, comment ne pas avoir recours à des mercenaires du secteur privé pour assurer certaines missions de soutien ou des opérations un peu hasardeuses ? Et quand l’État ne peut ouvertement s’affranchir de la surveillance des journalistes en raison de lois obsolètes (tiens, au fait, après Anne Fulga, ou le journaliste travaillant sur le dossier de l’amiante, et après Le Monde, L’Express, Le Point, Mediapart, c’est à Marianne que des barbouzes auraient sévi…), il faut bien trouver des officines pour assurer la tranquillité et l’information de son chef, non ?

 

J’ai lu un étrange article sur Come4News : « Le Canard enchaîné se sert des journalistes pour salir un peu plus Nicolas Sarkozy ». Perso, je doute : n’est-il pas davantage qu’immaculé, le président français, car carrément transparent, comme la République qu’il a instaurée ? Le salir, soit, mais « un peu plus » ? Il était déjà sale, et l’on ne nous aurait rien dit ? Mais la priorité, c’est de l’aider ! Par vos dons ! Pour rétribuer, par exemple, des officines sous-traitantes de la Direction centrale du Renseignement intérieur (DCRI), pour contribuer à payer les écoutes, les consultations de « fadettes » (factures détaillées des communications des journalistes, de leurs informateurs), vite, un Sarkozython !

 

Diversifier les bénéficiaires du Téléthon ne serait effectivement pas une mauvaise idée. Et puisque les chaînes télévisées se livrent déjà, pour la plupart, à un Sarkozython diffus qui n’avoue pas son nom, pourquoi ne pas aller plus loin ? Deux journées consacrées à recueillir des contributions pour Nicolas Sarkozy, pourquoi pas ? Un peu plus, un peu moins, l’opinion y est accoutumée par avance. Les amis du président dans le « chô bizness » y viendraient faire la promo de leurs films, de leurs albums, spectacles et tournées. Gratuitement, si possible (ou simplement défrayés de leurs frais de transports, séjour, libations…). En sus, au lieu de voir des anonymes se livrer à des courses landaises ou autres exploits du genre Intervilles, on aurait droit à Copé, Bertrand, Morano, Larcher, Lefebvre, courant devant des vachettes, descendant des toboggans, sautant à l’élastique. Une bonne manière de remarquer celles et ceux qui mouillent leur chemise Lanvin ou leur chemisier Prada en vue d’un prochain remaniement gouvernemental. Et puis, pensez à la publicité : voir concourir Rachida, Carla, Nadine, Roselyne, et quelques autres, munies d’une cuillère en argent Baby Dior pour faire franchir la ligne d’arrivée à un œuf Fabergé, ce serait un peu plus bon chic, bon genre, que les épreuves du Téléthon, non ? Une suggestion : instaurer l’épreuve du plus gros mangeur de caviar beluga, avec Nadine de Rothschild pour arbitre, l’équipe Lagardère père, fils, gendres, brus, et associés (les Woerth, par exemple), contre les équipes Bolloré, Bouygues, Dassault, Arnault, et l’équipe Bettencourt enfin réconciliée – quoique, Florence Woerth étant chez Hermès, que convoite Bernard Arnault, de LVMH, on pourrait redouter des conflits d’intérêts, de possibles traitrises –, cela aurait une autre « gueule », sur l’hippodrome de Compiègne ou le golf de Chantilly, que l’« empiffrage » de boudins blancs en leur berceau de Rethel (en Champagne, bientôt, oui, mais, quand même !).

 

Un Téléthon est arrivé à son terme, un nouveau Sarkozython est appelé à régner. Araignée ? Quel drôle de nom pour un thon ! Ah, voilà bien la France, les Françaises et les Français, toujours à trouver la petite bête, à râler ! Qu’en pensez-vous, docteur Geluck ? Dans la vie, docteur, il faut faire des choix, et on n’est pas obligé de ne regarder que Sarkozy, Nicolas, et Nicolas Sarkozy à la télé, n’est-il pas ? Sa réponse, prémonitoire (son livre est de 2002), n’a pas tardé : « Vous avez parfaitement raison (Ndlr. merci, docteur), et c’est pour cela qu’il y a aussi Koh-Lanta ou Le Loft. Vous voyez qu’on n’oublie pas non plus les imbéciles… ». Geluck, qui envisageait (dans son Oh toi le Belge, ta gueule !, chez Castermann aussi) de faire nommer Sarkozy ambassadeur à Bayonne, « pour le faire Bayonnais », est-il bien neutre en ce domaine ? Nommé en France chevalier des Arts et des Lettres sous Chirac, ne serait-il pas pro-Pièces jaunes et jaloux du Téléthon ? Il est intervenu très mollement dans le débat sur la réforme des retraites avec cette lapalissade : « Les vieux ont cet avantage qu’ils sont certains d’avoir été jeunes ; par contre, aucun jeune n’est certain de devenir un jour vieux. ». On l’a certes remarqué lors de manifestations de joie, mais pour le reste… il se retranche derrière le secret médical. Remarquez, on l’a vu fréquemment papoter, mais jamais lors d’un Papalthon, c’est déjà cela. Sur la question du Téléthon, il ne s’est, à ma connaissance, jamais exprimé, si ce n’est pour faire dire à un participant handicapé que ses chanteurs préférés étaient ceux des Têtes raides et Grand corps malade. C’est déjà… chat, comme on pourrait le faire dire sans risque de réplique séismique à cet émule de Siné.

 

Remarquez, la mutation du Téléthon en Sarkozython n’est peut-être pas qu’une fumeuse hypothèse, mais il semble que Roselyne Bachelot ne voudrait pas renoncer à l’un au profit de l’autre. Elle vient de déclarer : « Moi, je veux rester à la santé, en aucun cas comme je le lis ici ou là je prépare mes cartons pour aller à la Culture. Non. J’ai très envie de rester dans ce ministère et je l’ai dit au président de la République. ». Car une ministre de la Santé au Téléthon, cela va de soi, tandis qu’une ministre de la Culture, il faut ramer parfois pour se faire inviter. Au Sarkozython, elle risque, en dépit de sa capacité de flottaison, d’être noyée dans la masse ministérielle ; et puis, la course en sac, même Vuitton, cela ne met pas en valeur les escarpins.

 

La plupart des chats aiment bien les thons, et les prendre pour tels. Ainsi du grippeminaud directeur général du Pôle Emploi, qui vient d’affirmer sans rire, en patte-pelu faisant la chattemite, que les inscriptions au chômage ne progressaient plus. D’où la mesure de dégraisser la pâtée du dit Pôle en le privant de près de quatre pour cent de ses effectifs (1 500 CDD, 300 emplois permanents), et celle de réduire les crédits affectés à l’emploi (pas vraiment ceux des officines privées sous-traitantes du Pôle Emploi, évidemment). Mais le Chômethon pour les chômistes n’est pas encore à l’ordre du jour des chaînes de télévision. Bernard Tapie s’y était autrefois essayé, clamant qu’il allait créer des emplois, des écoles de vendeurs, &c., il y a renoncé et son émission a capoté sans avoir fait chavirer les chiffres du chômage.

Cela étant, pour Sarkozy, je verrais plutôt une sorte de Ti’ Parti-thon ! (en créole : cass’ toi vite, pôv tête à blaff ; en franglais : raout tuna infusion, mais cela n’a que peu à voir), si possible avant 2012. Il y en a eu plusieurs déjà, sous un autre nom, il serait question d’en refaire une huitième répétition, avant la générale, demain, samedi, pour le « chat-pitré », comme le suggérerait Siné. Il paraît qu’en prévision, des policiers, pour s’infiltrer sans être reconnus, auraient confectionné des masques à l’effigie du chat de Geluck, et mieux ainsi brouiller les cartes du mistigri syndical. Mais l’idée d’un tel masque aurait été aussi été adoptée (voir la photo) par des manifestants. Le décompte des matous chats teigneux, par les préfectures et les syndicats, ne va pas en être facilité. Auparavant, on reconnaissait le chat botté policier à ses chaussettes à clous. Là, ce sera moins facile de le repérer. Beau charivari en perspective… Cela risque de chabler (barder, non point en breton, mais, aussi, en wallon).

 

Le Téléthon pourrait en tout cas, en dépit des diverses déclarations, rester en l’état. Tout comme, au moins pour deux ans, le « de qui se moque-t-on ? ». Le Comité Valmy, prolongateur du Comité national de la Résistance peut bien rappeler que l’insurrection est légitime, et rappelée par la Déclaration de 1948, estimer que Nicolas Sarkozy doit se démettre ou dissoudre l’Assemblée nationale, le pouvoir n’en a cure. Les économistes, de plus en plus nombreux, peuvent bien établir que la réforme des retraites conduit à une « aberration économique », laquelle, en renforçant les inégalités des revenus, fera fléchir la demande et donc la croissance, mais non pas celle des déficits publics (voir Mediapart), il n’est plus question d’y apporter des correctifs, ne serait-ce qu’en réduisant les niches fiscales les plus avantageuses pour les plus gros possédants. Charité bien ordonnée commence par soi-même, et le Sarkothon ordinaire se poursuit, sans qu’il soit question de faire appel à la charité du public puisque celle du contribuable le moins protégé perdure en concertation avec la seule majorité présidentielle. Pourquoi donc changer la formule du Sarkothon permanent ?

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !