L’affaire dite de Tarnac, avec pour protagoniste Julien Coupat, a déjà fait l’objet de divers livres, dont celui de Marcel Gay, que j’avais signalé à parution. L’affaire Gilles Jacquier, du nom de ce journaliste de télévision tué à Homs (Syrie), donnera certainement l’occasion à un journaliste d’écrire un essai, voire à un romancier de camper ce tragique événement. Souhaitons, à titre posthume, à Gilles Jacquier de ne pas se retrouver, comme Daniel Pearl, entre les mains d’un Bernard-Henri Lévy. Petite tentative de « politique fiction » avec l’ébauche d’un premier chapitre…

« Tout comme Julien Coupat, Gilles Jacquier été transformé, dès le lendemain de sa mort, en un personnage de fiction… Alors que Julien Coupat était forcément coupable, mais qu’il a fallu une longue enquête pour l’établir, et de longues contre-enquêtes pour le dédouaner des “attentats” dont il aurait été “indubitablement” l’auteur, Gilles Jacquier, en quelques jours, s’est retrouvé la victime “obligée” d’un traquenard, d’un épouvantable scénario retors. Il ne pouvait en être autrement, Bachar Al-Assad, s’était soudain levé, frappant ses mains, trépignant, lançant “bon sang, mais c’est bien sûr… il faut exécuter le journaliste français… Allez, que cela saute !” »

Telles pourraient être les (mauvaises) premières lignes d’un premier jet. Arrêtons la plaisanterie, de mauvais goût, puisque nous ne savons encore rien des circonstances de la mort de Gilles Jacquier, hormis ce qu’une version officieuse de sources officielles veut laisser entendre très fort.

Avec un DSK dedans

Mais revenons plutôt sur l’affaire Coupat, telle que la décrit Louise Fessard, ce jour, pour Mediapart, sous le titre : « Tarnac : l’affaire se révèle être un fiasco pour le pouvoir ». Entendez non pas celui de la seule Michèle Alliot-Marie, alors ministre, mais de l’ensemble du dispositif politico-judiciaire et policier soumis à la méthode Sarkozy. Ce n’est qu’une opinion, largement partagée toutefois, et d’une certaine manière corroborée par d’autres manipulations de services, dont l’IGS, tout récemment, pour faire « tomber » des policiers peu favorables aux directives du Château, l’Élysée.

Un essayiste caserait ici l’affaire David Sénat, le « placardisé de l’État », selon L’Express, sans doute (ou plutôt peut-être) victime d’Alexandre Jevakhoff et de MAM, dans l’affaire des fadettes visant des journalistes : bouc-émissaire, tel apparaît à présent le magistrat David Sénat. De son vivant.

Pour Gilles Jacquier, on aura donc attendu qu’il soit mort, ce qui fut rapide, car il a été pratiquement tué sur le coup par un tir qu’on veut de mortier : ce serait bien la preuve qu’il se serait agi du machiavélique complot du pouvoir syrien.

Un romancier ferait peut-être de Julien Coupat un agent dormant du pouvoir syrien à son corps défendant, car un certain président français aurait décidé de le faire passer pour tel. Ce serait lui, Coupat, qui aurait persuadé Gilles Jacquier de proclamer aux Syriens qu’il ne voulait pas se rendre à Homs, moyen le plus sûr pour se retrouver aux premières loges : « si, si, vous verrez, vous ne serez pas déçu, on va vous faire du spectacle si vous venez… ». Plus tard, bien plus tard, Coupat revenu du bagne, tel un Monte-Cristo, se verrait réhabilité.

Bref, on peut tout imaginer. D’ailleurs, dans certaines sphères, on imagine tout, c’est même à cela que l’on les reconnaît.

Tenter de l’établir trop tôt pourrait conduire, dans un premier temps, à des poursuites en diffamation, à de lourdes condamnations. Le scénario (le fil rouge, conçu comme tel, car à présent, « on » écrit en vue de faire adapter en film ou en docu-fiction télévisuel, c’est plus rentable), mettrait en scène une Rouletabille, intrépide, autrefois l’objet de la concupiscente convoitise d’un candidat aux plus hautes fonctions. Toute ressemblance avec des faits ayant pu ou non exister, voire un certain DSK, serait forcément fortuite.

Pompage et siphonage

Mediapart ne me tiendra pas rigueur d’illustrer avec un passage de l’article sur Coupat réservé aux abonnés. Les faits sont pour la plupart déjà largement connus et l’article de Louise Fessard a surtout le mérite d’un copieux récapitulatif (un round-up) assez éclairant sur les mœurs d’une certaine classe politique qui fait parfois rimer Woerthgate avec Watergate et fadettes.

Pour Coupat, selon Me Jérémie Assous, avocat, « si procès il y a, ce sera celui de l’antiterrorisme », service qui s’est illustré comme certain magistrat le châpotant, dans l’affaire de Karachi, en se montrant un peu complaisant, selon les plaignants, envers la raison d’État.

Finalement, il y a largement matière, pour des Balzac ou des Zola, Stendhal actuels, de s’inspirer du réel, d’observer les mœurs, us, tours et surtout détours du pouvoir, afin de pimenter tout cela à la sauce Borgia du jour. L’Internet à cela de bien, c’est qu’il vous suggère les rapprochements les plus évidents. Ainsi, un « compartiment » (une frame) vous indique, sur Mediapart, que l’affaire Coupat évoque les titres suivants… « Grasse : deux policiers de la Bac jugés pour homicide involontaire » ; « Affaire de l’IGS : la défense plus que bancale du préfet Gaudin » ; « la bavure de Clermont-Ferrand, un cas d’école » (de police). Plus trop besoin de se pencher dans de poussiéreuses archives départementales pour retrouver l’ambiance du boulevard du Crime : chaque jour apporte de quoi faire de Vidocq, celui de Victor Hugo, un Machiavel.

« Mais où va-t-il chercher tout cela ? ». La lectrice ne se pose même plus la question, elle a sa dose quotidienne dans la presse : la réalité surpasse la fiction. C’en est au point que, pour se laver la tête, le lecteur serait tenté de se plonger dans la collection Harlequin, dans un univers de volupté, de superficialité, fortement convenu, rassurant, apaisant.

Les mouches

Les mouches ne sont plus celles de Sartre, ou de William Golding, mais des indicateurs zélés, comme au bon vieux temps du guet, de l’abbé Dubois, puis de Fouché. Autrefois, naguère, au siècle dernier, la France était menacée, de l’intérieur (lors de la guerre d’Algérie), de l’extérieur (par divers attentats). C’est à présent la lèse-majesté des sondeurs qui justifie tout. Rien ne doit ternir l’image du monarque qui, malheureusement, se crotte lui-même les basques. Bien sûr, ses idées sont géniales, mais il est si mal entouré : les exécutants gâchent tout, se font pincer, prendre la main dans le sac. Il voudrait tout pouvoir faire, il en fait trop, et est malheureusement obligé de déléguer.

Il ne reste plus qu’à nous désigner le Coupat de la finance interlope et cosmopolite qui a manigancé la perte du triple A de la « mère des armes, des arts et des lois. ». Si possible en lui adjoignant un Iago de l’intérieur, par exemple un Hollandais naturalisé en faisant usage de documents falsifiés pour infiltrer le pays et réussir le concours de l’Ena. Au moins, l’histoire retiendra que, le temps d’un quinquennat (si ce n’est davantage), nous aurons eu, pour l’imagination et les rebondissements, Dumas père et fils à la fois, à la tête de l’État. Mais pour les nègres littéraires, il faudra trouver encore mieux. Le César de la guerre des sondages gaulois ne se contenterait pas de si peu…