Plus l’enquête sur l’affaire Tapie progresse, plus les policiers, juges, parlementaires, fondent leur conviction : sur ordre, ou injonction de ne rien voir, rien faire, si ce n’est dire ce qu’on attendait d’elle, Christine Lagarde s’est bel et bien fait « la chose » de Nicolas Sarkozy tandis que les deux autres arbitres se faisaient celles du troisième, Pierre Estoup. Le léger ennui de tout cela est que tout ce beau monde a été plutôt grassement rémunéré pour des figurants (Lagarde), ou même des rôles de « silhouette » (Jean-Denis Bredin, Pierre Mazeaud).
Alors, remboursez, et n’allez pas pointer tel un Depardieu encaissant des indemnités d’intermittent du spectacle. Contre Estoup, un ultime témoin, révèle BFMTV, fait état d’une ancienne collusion entre l’avocat de Tapie et le futur arbitre, alors qu’il était encore juge.
Il importe très peu de savoir si Christine Lagarde a vraiment écrit à Nicolas Sarkozy « utilise-moi le temps qui te convient (…) avec mon immense admiration ». Cette lettre de courtisane, elle avait assurément l’attention de la faire parvenir à son protecteur. C’est dans cet état d’esprit qu’elle faisait semblant d’assumer son rôle de ministre en trompe-l’œil. Eh bien, pour une figurante, elle a été formidablement rétribuée.
Jean-Denis Bredin a perçu 398 000 euros, Pierre Mazeaud sans doute autant ou plus, pour laisser des collaboratrices ou collaborateurs mettre en forme les directives du troisième arbitre, Pierre Estoup, et les signer sans peut-être même les relire.
Adaptation outrancière des faits ? Que non… Inutile d’entrer dans les détails de ce que les rapports d’enquête, les auditions révèlent et que divulgue Le Monde. Il suffit de s’y rapporter pour conclure à l’escroquerie caractérisée du quatuor Lagarde, Estoup, Mazeau, Bredin et de quelques autres prébendés, tel Stéphane Richard, que dame Lagarde pointe du doigt pour se défausser de son inaction, de sa complaisance, de son attitude de soumise aux bons plaisirs de l’ex-président de la République. Or, pour ce qui n’est même pas des quatrièmes rôles, mais des emplois de figurants ou silhouettes, mêmes les producteurs les plus généreux ne payent guère davantage que 80 euros. Remboursez donc la différence !
Reste à comprendre pourquoi le sieur Sarkozy et son proche entourage ont voulu à ce point dépouiller le contribuable pour faire un gigantesque bouquet d’euros au sieur Tapie.
Est-ce la capacité de nuisance de ce dernier ? A-t-il menacé de rentrer dans le jeu électoral, et de mettre sa faconde à priver de quelques points de pourcentage tant un Sarkozy qu’un autre, suffisamment pour fausser le jeu préfiguré par des politologues, statisticiens électoraux, sondeurs et conseillers divers ? A-t-il, en contrepartie, monnayé autre chose ? D’immédiat ou de différé, sous formes de services divers, de silence ou de déclarations ?
Il ne sera sans doute jamais répondu à ces questions, sauf fuites provenant d’autres personnages ayant eu à connaître du script, du scénario, de quelques plans, de bribes du montage.
Copains et coquins, Pierre Estoup, ancien magistrat, et Maurice Lantourne (sur lequel on peut s’attendre à ce que le Conseil de l’Ordre se prononce), avocat de Tapie, étaient de connivence, de mèche tels des valets de Molière. Inutile, encore une fois, de s’attarder sur les péripéties, les indices concordants, les preuves : tout est devenu public de ce côté, chacun peut se faire son opinion, à quelques nuances près, les appréciations seront concordantes.
Oui, dans ce cas, le langage, les écrits ne sont que des outils, et les candidates et candidats à l’épreuve de philosophie du baccalauréat auraient pu s’appuyer sur ces flagrants exemples.
Tout le monde, arbitres, bénéficiaire et son avocat, commanditaire, se sont à diverses reprises rencontrés ou se sont, directement ou par l’intermédiaire de l’un ou de l’autre, concertés pour une farce écrite d’avance. Machiniste du décor, Estoup. Habilleuse, Lagarde. Maquilleuses et perruquiers à tous les étages, toutes les étapes, bien d’autres.
Figurantes et figurants de l’État avaient été sans doute laissés plus ou moins libres de participer à la distribution, au casting. Que l’assistant metteur en scène ait été Guéant ne fait plus guère de doute. On peut le formuler d’autre manière, cela ne change rien au fond, au fil, à la trame, et côtés cour et jardin communiquaient par les coulisses. La Tribune titre sur des « révélations accablantes ». Sud-Ouest : « Un petit arbitrage en famille ». Charente Libre : « dossier accablant ». Dernières nouvelles d’Alsace : « l’étau se resserre ». Le Journal du Centre : « débandade organisée ». Le Bien public : « l’omerta se lève ».
Tapie, au sujet d’une ou de rencontres entre Estoup et Guéant, à l’Élysée ou ailleurs, pronostique que « si c’est vrai, ils sont morts… pas moi, mais eux. ». Que l’agonie commence ! Il faudrait un Bertrand Tavernier pour filmer la suite, ce nouvel épisode en forme de Coup de torchon. Pour eux, les mois de juin seront meurtriers.
Torchon, et pour Lagarde, on a compris, serpillère. Dans son édition en kiosques demain, Le Canard enchaîné sera sans doute plus galant, mais pardonnez la trivialité, une dame-pipi est bien plus utile au pays qu’une Lagarde. Surtout, revient moins cher : le pourboire du FMI est aussi rétribué par le contribuable français (et tant d’autres).
Bruno Dondero, juriste, dans Le Point, détaille l’amende pénale maximale qui pourrait frapper un Bredin, soit 375 000 euros. C’est 23 000 de moins que ce qu’il a perçu. Mais le contribuable, partie civile, peut obtenir en sus des dommages et intérêts dont un juge décidera du montant.
Il relève : « d’autres qualifications pénales pourraient être étudiées, comme celle du recel ».
C’est d’autant plus atterrant, à la limite de l’innommable, qu’Éric Leser, de Slate, décortique le mythe du préjudice dont s’est targué Tapie. Le contribuable a été mis à contribution pour que le Crédit lyonnais devienne LCL. Divers établissements financiers prêtent à Tapie de quoi acquérir Adidas puis le Crédit Lyonnais récupère partie de son encours ; résumé « c’est comme si le Crédit lyonnais s’était racheté Adidas à lui-même ». Jamais Tapie n’a eu le moindre débours. Tapie n’a rien fait pour Adidas, sinon se rétribuer, comme pratiquement toujours.
Au final, le sauvetage du futur LCL revient au contribuable à 15 milliards d’euros.
« Bernard Tapie a réussi à se faire passer pour une victime ». En bernant l’avocat d’affaires Sarkozy, son demi-frère financier international ? Allons donc… Ce serait donc un niais, un ballot, une baudruche qui aurait réussi à se faire élire à la tête du pays ? Sarkozy n’aurait pu déterminer que le préjudice invoqué avait été « créé de toute pièce », comme le martèle Éric Leser ? Lagarde, avocate d’affaires, n’aurait rien vu venir ? On a donc bien placé une serpillère aux Finances, mais en sus, elle s’effilochait déjà. Elle se dit à présent le bec enfariné, grugée, feint la surprise.
Du temps d’Adidas, Tapie a pu mener grand train, se payant sur la bête. Sa prime de départ différée s’élève donc en sus à plus de 400 millions d’euros, comme l’estime l’UDI Charles de Courson.
Toute la presse française, majoritairement économique et financière, qui a soutenu Stéphane Richard, paraît-il indispensable à la tête d’Orange, doit tirer les conséquences de son soutien et à présent en faire un simple exécutant de Lagarde. Partant, pourquoi les mêmes n’en tirent pas des conclusions identiques à celles de la presse étrangère ?
Comme le remémore 7Dias, le statut de testiga asistada (témoin assistée) peut entraîner des poursuites ultérieures. Peut-on imaginer que Stéphane Richard ait apposé une signature sans l’aval de Lagarde qui elle-même a démontré sa « servilité » comme le souligne la presse italienne ?
« Utilise-moi le temps qui te convient » est désormais traduit dans presque toutes les langues…
Les Échos, prudents, ont préféré laisser un sous-chef de service, Joël Cossardeaux, opérer une semi volte-face, et publier que les nouveaux éléments « ne plaident guère en faveur de Stéphane Richard. ». Renaud Revel, redchef de L’Express, signale confraternellement qu’Orange est l’un des plus gros acheteurs de pub et « le principal bailleur de fonds de bien des journaux et de chaînes (…) ou de radios de ce pays. ». Mais les médias sont parfois des danseuses, et Bernard Arnault a peut-être des accointances avec Lagarde, lesquelles valent peut-être bien le risque d’une brouille passagère avec un annonceur. Et puis, il sera toujours temps de se raviser…
Voilà donc Philippe Marini, sénateur-maire (de l’hippodrome de…) en Oise et Compiègne, qui s’avise à présent que la manière dont l’arbitrage Tapie a fonctionné est profondément choquante. C’est à présent qu’il s’en offusque. Guaino ne veut pas croire avoir pu « travailler avec des escrocs organisés en bande » ou avoir vu « l’État, la France, dirigée par des escrocs ». Aveugle autant que Lagarde était incompétente ?
Un nouveau témoin, signale BFMTV, intervient à présent. Il s’agit de Didier Cornardeau, contacté par Tapie via le truchement d’Estoup : Estoup dit qu’il a « le bras long », et le menace implicitement s’il ne va pas dans le sens de Tapie… Didier Cornardeau se tient à la disposition de la justice, il a été l’objet d’une tentative de corruption diligentée par Lantourne, de mèche avec Estoup, avocat et juge en collusion en faveur de Tapie. Guaino n’en savait bien sûr rien, Lagarde était l’avocate de service, lui la caution se disant gaullienne. Dès 2004, Estoup était un relais de Tapie.
Rappelons que, en dépit de toutes évidences, Tapie jurait-crachait, dans un premier temps, ne pas savoir qui était Estoup. Réentendez-le dire, la main sur le portefeuille, « entendez-moi bien, si on découvre la moindre entourloupe (…) j’annule l’arbitrage. ». Le moindre fait à présent figure de pire.
En mars 2010, Sarkozy terminait un courrier à Tapie par « ton ami ». En février 2008, avant même l’issue de l’arbitrage, Tapie était certain de toucher bientôt une somme « énorme » selon un témoin. Entre mi-2007 et 2009, Tapie a rencontré, à l’Élysée, soit Sarkozy, soit Guéant, soit Pérol (François Pérol, catapulté à la tête de Natixis et de la BPCE), pas moins de 22 fois. Le Monde résume : si Sarkozy, ex-président, est intouchable, Nicolas, ancien ministre de l’Économie ou de l’Intérieur, ne l’est pas (ou plutôt, plus…).
Hervé Gattegno, du Point, avant d’avoir pris connaissance du témoignage de Didier Cornadeau, a estimé que, pour le moment, il n’y avait que « quelques débuts de preuve ». Du point de vue très formel du code de procédure pénale, on peut le voir ainsi. Que Sarkozy soit intervenu, c’était son droit régalien, auquel la justice est inopposable. Le raisonnement est certes juste, mais du point de vue de la moralité publique, les bornes sont franchies.
Beaucoup de membres de la haute fonction publique avaient pris sur eux de prendre le risque d’alerter Lagarde. Ainsi de Bruno Bézard, de l’Agence des participations de l’État, pour qui l’arbitrage constituait « une forme de concession inconditionnelle et sans contrepartie faite à la partie adverse », soit un cadeau à Tapie. Selon Stéphane Richard, il transmet les directives de Lagarde, selon Lagarde, il outrepasse son rôle. Oui, mais qui le stoppe, ou le laisse faire, en pleine connaissance de cause ? Elle ne joue pas son rôle de ministre, mais de séide, de groupie de Sarkozy.
De manière très mesurée, La Croix relève les éléments à charge contre Sarkozy, sur LCI, Jean Peyrelevade répète qu’il ne connaît pas « les raisons de cette conspiration », du bidouillage.
Woerth, Raffarin, Longuet, d’autres, dénoncent la mise en cause de Sarkozy. Eh, s’il n’y avait été pour rien, si tout s’était décidé en-dehors de lui, Lagarde serait en garde à vue.
Mais dans le raisonnement des ténors de l’UMP (Fillon se tait, Juppé aussi… il faut le noter), il y a une formidable faille. Rappelez-vous l’affaire Cahuzac. Le soutenir (il furent nombreux, de l’UMP à l’UDI…), cela revenait à dire que Gonelle, UMP, chevalier de la Légion d’honneur, était un menteur, un affabulateur, ou un esprit dérangé. Comme nous l’avons maintes fois évoqué sur Come4News, aucun, mais alors aucun d’eux ne s’y est risqué.
« Messieurs » Worth, Raffarin, Longuet et autres, vous ne serez crédibles que lorsque, nominativement, vous dénoncerez Bruno Bézard, Jean Peyrelevade, quand vous adresserez des droits de réponse à La Croix. Après tout, que disent-ils de plus ou de moins qu’un Michel Gonelle, répétant que Cahuzac avait un compte en Suisse ? Qu’attendez-vous ? Qu’attendez-vous pour saisir les instances des divers ordres dont ces personnalités ont été décorées ? Qu’attendez-vous pour faire en sorte que Jean Peyrelevade ne soit plus membre du club Le Siècle ? Et François Bayrou, alors ? Et Charles de Courson ? Dites, proclamez, hurlez le fond de votre pensée, que nous prenions date !
Dites, comme Gérard Longuet l’énonce à propos du gouvernement, que ces personnalités renouent « avec l’ère de Vichinsky », donnent l’exemple de « pratiques staliniennes », soyez cohérents avec votre discours.
La réalité est campée toute crue par La Tribune de Genève : « des voix laissent entendre, y compris dans l’opposition de droite, que Christine Lagarde a essayé de protéger Nicolas Sarkozy », depuis le début de l’enquête sur l’arbitrage Tapie. Puisque vous estimez qu’il s’agit d’un fieffé mensonge, protestez véhémentement. Allez réfuter ce qu’écrit la presse internationale. Vite ! Votre silence risque de passer pour un aveu, une collusion.
Ne laissez pas la presse étrangère conclure : « L’étau se resserrerait donc autour de Claude Guéant et par voie de conséquence se rapprocherait de plus en plus de l’ancien président (…) Sarkozy en personne, car peu nombreux sont ceux qui doutent que le secrétaire général de l’Élysée ait pris cette initiative sans en référer à l’ancien chef d’État français. ». C’est une dépêche Newsnet, agence qui alimente tous les journaux suisses, et au-delà, qui conclue ainsi. Réagissez !
Ce n’est quand même pas le gouvernement français qui dicte à The Independent : « Could Bernard Tapie bring down his friend Nicolas Sarkozy? ». Lequel évoque aussi l’affaire Bettencourt et l’affaire « Gaddafi » (Kadhafi). Qualifie l’affaire d’arbitrage de « pre-cooked by Sarkozy Elisee Palace ». Précuisinée, concoctée, comme un plat à servir chaud à Tapie, dans les cuisines de Sarkozy.
« Sarkozy’s political goose will be cooked » : les carottes politiques de Sarkozy seraient cuites… Comment pouvez-vous laissez écrire cela ? Ou que Tapie représentait pour Sarkozy un miroir ?
Conclusion provisoire : Le Canard enchaîné daté de demain, 19 juin, sort avec en « oreille » droite au-dessus de son bandeau, le titre « Sarkozy-Tapie : l’histoire d’une amitié intéressée de trente ans ». Des amis de trente ans… cela remémore confusément quelque chose, non ?
C’est bien regrettable que ce soit des donneurs de leçons qui se retrouvent dans ce genre de situation. Surtout quand on sait que Monsieur Sarkozy pendant son « mandaret »s’est mué en un moralisateur hors-pair. C’est donc le lieu pour les africains de comprendre que tous ces « sermonneurs » ne sont en réalité que de pauvres hypocrites à la solde des intérêts de certains groupuscules.
Le [i]Canard enchaîné[/i], la semaine dernière, concluait :
« [i]Au total, sur les quelques 300 millions qui vont rester à Tapie, les deux tiers – environ 200 millions – proviennent des maladresses, négligences et oublis de ses créanciers publics. Et auraient donc normalement dû réintégrer les caisses de l’ État.
Une telle accumulation de bévues force l’admiration. Et conduit à s’interroger: s’agit-il seulement de l’oeuvre du hasard ? Toujours dans un sens favorable à Tapie[/i]. ».
Bref, les consignes ont-elles uniquement porté sur l’affaire de l’arbitrage ou le scandale est-il encore plus vaste ?