Tunisie : Une phase postdespotique plutôt que postmoderne kobziste

Un mauvais diagnostic du mal ne peut produire la guérison du patient, mais plutôt aggraver son cas. Si cela est vrai pour l’individu il l’est aussi pour la société. Plus complexe certes, mais les moyens et les connaissances disponibles aujourd’hui sont normalement en mesure d’apporter le diagnostic adéquat pour faire face aux problèmes que cheque société peut rencontrer.

A la lecture du dernier texte de Sami Ben Abdallah « Du postmodernisme au kobzisme et le désespoir mobilisateur » j’ai l’impression qu’il voulait accuser le malade du mal dont il fait semblant de chercher le remède. Le mal dans une société comme chez tout être vivant quand il affecte quelqu’un se sent dans son corps tout entier, mais cela ne signifie pas pour autant qu’à chaque fois il y a métastase et que le corps lui-même est condamné. Notre société aussi si elle va mal et quel que soit le mal dont elle peut être atteinte, ce n’est pas une raison suffisante pour accuser son corps social dans son ensemble de kobzisme ou je ne sais quel désespoir destructeur – car je ne vois pas comment un désespoir peut être qualifié de mobilisateur.

Dans une société organisée si rien ne va plus c’est qu’un organe est atteint ou une fonction n’est pas assumée convenablement. Il ne sert à rien de cacher la vérité que tout le monde la connaît déjà. La Tunisie va mal est son mal se situ bien au niveau de la tète, sommet du pouvoir. Ce n’est pas une simple migraine ni une sinusite chronique. C’est l’organe du pouvoir, le sommet de l’Etat qui est en décalage par apport à l’évolution de la société. Une dictature primaire qui cherche à se perpétuer en se dissimulant derrière un discours trompeur qui n’a plus d’emprise sur la réalité que par la peur et la terreur et la répression quotidienne.  Le kobzisme c’est de ne pas oser le dire et non en se détournant par dégout et mépris comme le font la majorité des tunisiens connaissant la bassesse des représailles dont ils peuvent faire l’objet préférant sauver leur dignité à défaut de pouvoir exercer les attributs de leur souveraineté confisquée.

En fait, le texte de Sami Ben Abdallah, s’il évite d’appeler les choses par leur noms, n’abouti pas moins à la même conclusion à la charge de la dictature dont le despotisme et la mauvaise gestion sont maintenant la menace la plus concrète sur l’avenir du pays et la cause principale du désenchantement des tunisiens. Je ne voulais pas revenir sur le fond du sujet abordé par l’auteur, mais sur cette attitude qu’ont certains auteurs, se disant démocrates, à minimiser les luttes et les sacrifices consentis chaque jour dans ce pays pour s’opposer à la dictature et contenir ses néfastes dessins. Le jour même où celui-ci écrivait son texte le pays est endeuillé par la mort d’un jeune tombé sous les balles des tortionnaires de la dictature. Que veut-on de plus quand on est dans un pays ou on peut mourir pour la simple coïncidence de se trouver dans un rassemblement pacifique de citoyens qui ne font que crier leur mécontentement? N’y a-t-il pas plutôt un défaut dans le raisonnement de certains mécontents de la situation dont souffre le pays en croyant que les autres doivent servir de chaire à canon.

Il serait aussi temps d’approfondir notre jugement sur la dictature et son système d’oppression  par le dépassement du constat de ses simples manifestations pour la juger sur ses véritables fins et ses objectifs dissimulés. Si Bourguiba, paranoïaque qu’il été, peut être considéré en malade mental comme il l’a été officiellement déclaré pour expliquer son accrochement au pouvoir peut-on dire la même chose de son successeur prétendant à un cinquième mandat après 22 ans de pouvoirs absolus ?

Les Ben Ali, les Trabelsi, les Chiboub, les Mabrouk, les Matri et les Jilani dont peut de tunisiens ont entendu parler avant et qui sont devenus les milliardaires qu’ils sont aujourd’hui, ce n’est pas par pur coïncidence qu’ils se trouvent être tous les gendres, les frères et les beaux frères du président. C’est ce que voit les tunisiens dans le pouvoir aujourd’hui, un pouvoir qui pille le pays au profit de quelque familles. Les choses sont claires et ne nécessitent pas de grands efforts pour deviner l’essence du mal qui ronge la société et les réduits au besoin tout en affichant les plus extravagants bilans de prospérité pour leur pays.

Si cette prospérité été à la portée de tout tunisien pourquoi on ne trouve pas aucun parent ou proche d’un opposant qui à pu en profiter autant ou pensez vous qu’ils étés tous plus démunis que les proches de Ben Ali quand il a pris le pouvoir pour ses proches et ses amis ? Non, ce ne sont pas les affaires qui rapportent en Tunisie, c’est le pouvoir qui rapporte le plus. Pour oser se dresser contre lui on doit prévoir tout sacrifier, ceux qui ce sont trompés se sont vite retourné pleurnicher en lui léchant les souliers pour récupérer leurs statuts et leurs biens confisqués. C’est un pays otage ou personne n’est exempté, ce n’est pas la mondialisation ni la lutte des classes comme certains pensent naïvement, plus on est riche plus on est accablé et strictement surveillé jusqu’à se compromettre pour être considéré des leurs, du bord des pilleurs.

Je dirais plutôt qu’on est en phase postdespotique que postmoderne kobziste. Tous ces discours savants ne servent au bout du compte qu’a disperser l’attention d’une réalité brute qu’on a du mal à accepter.

Yahyaoui Mokhtar – Tunis le 15 septembre 2008

  • Le bloc-Notes de Sami Ben Abdallah: Du postmodernisme au kobzisme et le désespoir mobilisateur
  • Biatrice Hibou – La Force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, 2006, 363 p..
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