Entreprise : les bureaux

Dans un épisode précédent, consacré à l’entreprise privée, vous avez découvert, que l’entreprise était atteinte d’une maladie chronique : la réunionite aiguë.

Il est une autre maladie chronique dont les moyens, grands, immenses et « gigantesquissimes » groupes sont atteints : la « déménagite » aiguë.

Le salarié lambda, qui n’a rien demandé à personne, qui était pépère-tranquille, planqué dans son bureau depuis OPQ temps est contraint d’en changer, au gré des réorganisations décidées par l’entreprise et sans son accord, bien entendu.

Avez-vous cru un millième de seconde que l’entreprise soit un lieu de démocratie ? Z’êtes bien naïfs !.

Selon les entreprises, ces changements sont organisés en campagnes de « déménagite », une à plusieurs fois par an.

Dans le grand groupe où je me rend tous les matins après un réveil douloureux, et alors qu’elle rêve de rester dans son lit à mémoire de forme acquis récemment – qu’est-ce qu’on dort bien dans ces plumards ! –, 2 campagnes de déménagement sont organisées par an avec le renfort d’un prestataire extérieur qui bénit, toute la sainte journée, l’entreprise de faire fidèlement appel à lui, depuis des années.

Il est alors de la plus haute importance d’être le plus « gradé » possible ou bien d’être dans les petits papiers des bonnes personnes si vous voulez occuper une nouvelle planque digne de ce nom.

Et le salarié lambda assiste alors avec délectation et énervement à un jeu de pouvoir et de stratégie digne de la cour de feu Louis XIV.

C’est à celui qui parviendra à obtenir le bureau le mieux situé, le plus grand, le plus beau, le mieux meublé, à coups d’arguments tous plus bidons les uns que les autres.

Je suis incapable de participer de quelque manière à quelque stratégie que ce soit et je ne cherche jamais à être dans les cht’io papiers de qui que ce soit, je me contre-fiche de l’endroit où on me pose. Du moment que je retrouve mes affaires, sans perte ni dégât, c’est-à-dire mon PC, ma chaise, ma table de bureau et mes affreux meubles grisâtres, je pourrais travailler n’importe où, y compris dans les chiottes si ce n’était les odeurs nauséabondes et l’absence de fenêtre, n’ayant globalement besoin que d’utiliser mes méninges pour exercer ma profession.

Depuis 2011 que je me suis stabilisée dans la même entreprise, après une quinzaine d’années d’errance professionnelle volontaire, j’ai déménagé 11 fois d’un étage à l’autre et d’un bureau à l’autre !

J’ai occupée seule, la majorité du temps, un bureau plus ou moins grand, y compris en second jour – pour les ignorants, les bureaux en second jours sont des bureaux sans aucune fenêtre, il est interdit dans le règlement de la boîte de faire travailler les salariés dans de tels bureaux mais comme le CHSTC ne joue plus aucun rôle depuis belle lurette et ne contrôle plus rien, l’entreprise se contrefiche que des salariés soient privés de lumière naturelle et beaucoup de salariés se retrouvent dans ce type de bureaux – claustrophobes, dépressifs chroniques, s’abstenir – et j’ai parfois été obligée de partager mon bureau avec un inconnu avec qui il a fallu composer et tout cela pour pallier la crise du logement.

Pourquoi cette « déménagite » aiguë ? De multiples raisons expliquent cette bougeotte incessante.

Je ne vous en livrerai que quelques-unes et au hasard s’il vous plaît et s’il vous en déplaît, c’est le même tarif !

1) L’entreprise, installée depuis des lustres dans un bâtiment X et si ses affaires fonctionnent bien, voit le nombre de ses salariés augmenter, y’a un moment où il faut bien recruter, mais elle ne peut repousser pour autant les murs du bâtiment. Il convient alors de procéder à un mouvement général, à repenser les bureaux afin de loger les petits nouveaux et d’entasser un max de personnes dans le minimum d’espace.

Vous me direz que l’entreprise pourrait déménager dans un bâtiment plus adapté, c’est à dire plus vaste mais vous n’avez pas encore compris que le but de l’entreprise est de dépenser le moins possible et de faire un max avec le minimum, au détriment des salariés ? Vous êtes vraiment bouchés à l’émeri !

2) Untel a le bras long comme un baobab et, insatisfait du bureau attribué lors de la campagne précédente, se plaint tant et si bien auprès de Dieu le Père qu’il finit par obtenir que 600 salariés bougent afin de satisfaire son ego. Il habitera dans un nouveau bureau convoité dans ses rêves les plus fous … je ne le répéterai jamais assez, on a les rêves qu’on peut !

3) Un directeur gémit que ses ouailles soient dispersées sur des étages différents ou pire, sur plusieurs sites plus ou moins éloignés de lui et exige que son monde soit rapatrié sur un seul et même étage et tout le reste de l’entreprise de bouger pour satisfaire cette demande

4) On transforme un étage entier, où sévit une centaine de personnes dans diverses activités professionnelles, en open-space puis on retransforme l’open-space en bureaux parce que l’open-space, c’est de la merde et que personne ne supporte de bosser en open space …

5) A moins que …. ah, ah, attention, accrochez-vous, la « déménagite » aiguë et pour les adorateurs de la théorie du complot, ne permette, à l’entreprise et mine de rien, de mesurer votre capacité organisationnelle et d’adaptation, genre « team building » déguisé. Il y a, en effet, systématiquement, Henriette, Jeanine, Archibald et Xavier-Richard qui oublient d’étiqueter ceci-cela, le ceci-cela se trouvera irrémédiablement perdu parmi d’autres cartons de ceci-cela anonymes qui ne retrouveront donc jamais leurs propriétaires.

Il existe de multiples raisons à la « déménagite » aiguë relevant de la nécessité, du caprice, de l’irrationalité, de la rationalité …

Mais comment se passe ces déménagements ?

Il faut, à chaque fois, faire ses cartons, vous n’avez tout de même pas pensé, hérétiques que vous êtes, que l’entreprise dépenserait ses sous pour que le prestataire fasse les cartons à votre place ! Pauvres de vous ! Le prestataire ne fait que déplacer cartons, meubles et cloisonner et décloisonner bureaux, couloirs, …
Il convient d’étiqueter les cartons avec les étiquettes fournies par le prestataire avec son nom et la nouvelle destination : étage, numéro de bureau, votre table de bureau, votre chaise, vos armoires, votre PC, clavier, souris … et toutes vos affaires perso ou pas perso.

Un fois le déménagement terminé, vous intégrez votre nouveau bureau dans lequel il faut tout déballer et ranger. Et vous priez Krishna, Ganesha et Durga pour que les branchements informatiques aient été correctement faits, les lignes brassées, afin de ne pas vous retrouver en rade et devoir téléphoner au support informatique qui sera archi saturé par les appels de salariés furibards que plus rien ne marche depuis le déménagement maudit ! Et puis quoi de pire que le support informatique installé à pétaouchnoque les bains de pied avec des personnes qui ne comprennent rien à ce que vous leur dîtes et qui font exprès d’employer des termes auxquels vous ne comprenez rien, incapables qu’ils sont de parler la même langue que vous, et disent, par exemple, rebooter votre PC au lieu de redémarrer, ….

Enfin et si vous avez bien tout suivi, la « déménagite » aiguë n’entraîne pas que des déplacements de personnes mais le déplacement de cloisons, de portes et j’en oublie afin de reconfigurer ce qui doit l’être.
Au final, le plus heureux de tous est incontestablement le prestataire déménageur qui s’en met plein les poches grâce à un contrat quasiment à vie et que je suppose juteux, telle une bonne pêche à la truite.

Je nourris des sentiments contradictoires vis-à-vis de cette bougeotte récurrente : amusement et agacement, lassitude et ras le bol.
J’en a assez de me retrouver dans un bureau qui, à quelques détails près, ressemble au précédent, bureau insipide à la moquette bourrée d’acariens et rarement nettoyée, à la climatisation foireuse et pour laquelle des prestataires extérieurs interviendront plusieurs fois par an dans le cadre d’un contrat tout aussi juteux mais de maintenance cette fois-ci, que mierda, il faut dire de « facility management », c’est plus classe.

Enfin, et comme l’entreprise où j’exerce est un IGH – pour les ignorants à qui il a fallu expliquer ce qu’est un bureau en second jour, un IGH = Immeuble de Grande Hauteur – je ne peux même pas décorer, ni personnaliser son bureau avec des peluches sur lesquelles je pourrais passer ses nerfs en les triturant et en leur arrachant les bras et les yeux quand on m’emmerde, des fleurs fraîches dans lesquelles je pourrais fourrer son nez et avoir l’illusion de bosser à la campagne, des plantes que j’arroserais avec amour et à qui je passerais de la musique pour leur plus grand bonheur, une machine à café dans laquelle je serais prête à investir pour boire un café digne de ce nom, celui des distributeurs et de la cafète étant un vrai tord-boyaux et des affiches psychédéliques qui me rappellerait les années 70 adorées, adulées et chéries, années où tous les espoirs étaient permis. Tout cela est interdit dans le règlement car inflammable, comme si la moquette ne l’était pas !

A bon entendeur, salut !