Le Président Mauritanien : Nous nous sommes trompés sur la réalité de ce problème du Sahara

Un an avant son accession à la magistrature suprême, Sidi Ould Cheikh Abdallahi recevait Bertrand Fessard de Foucault (alias Ould Kaïge) qu’il connaissait depuis le régime de feu Moktar Ould Daddah. Sidi accepte de répondre à toutes les questions de son ami. Il parle de ses relations avec Mokhtar, de la guerre du Sahara, des Kadihines, des grandes décisions économiques, du coup d’Etat de 1978, de l’AMD, de Maaouya Ould Taya, du problème négro-mauritanien, du 03 août 2005 et de sa candidature. Dans cette première partie, Sidi revient sur la personnalité du président Moktar, le problème du Sahara et la nationalisation de la Miferma

Ould Kaïge : Comment expliquez-vous qu’en si peu de temps, la Mauritanie soit passée d’un tel succès du régime de Moktar Ould Daddah et du Parti du peuple au coup militaire, les renversant ?

Sidi Ould Cheikh Abdallahi : Je suis très heureux de vous recevoir. Ce que je vais vous dire, c’est ce que j’ai senti à l’époque.Ces sept ans que j’ai passés au gouvernement avec Moktar Ould Daddah, m’ont amené en fin de compte à considérer que c’était un homme exceptionnel.

Je ne fais donc pas partie de ceux qui sont enclins à rechercher, à dépister ses erreurs parce que la manière dont je l’ai connu est telle que j’ai la conviction qu’à chaque fois, ses décisions ont été prises sans autre considération que l’intérêt national du pays. La seule chose qui peut être dite ou qui peut présenter un certain intérêt, c’est de se poser la question de savoir pourquoi, en un moment donné, si on estime aujourd’hui qu’il y a pu y avoir une erreur, pourquoi cette erreur a été commise. Est-ce qu’elle est due à un manque d’information ? Est-ce qu’elle est due à un environnement ? Mais en tout cas, cela n’atteint pas l’homme, et cela n’atteint pas la constance de sa volonté de faire le maximum qu’il pouvait faire pour ce pays, qu’il aimait d’une manière exceptionnelle. Parce qu’il l’aimait de façon presque indifférenciée. Il ne se sentait pas d’une région, il ne se sentait même pas – si je puis m’exprimer ainsi – d’une ethnie. Il ne se sentait pas d’un village, il avait cette Mauritanie indifférente, qu’il aimait, comme çà.

Alors, c’est le Sahara ?

Nous étions tous convaincus dès le départ – bien sûr, les plus âgés avant les autres – que le Sahara était mauritanien. Que c’était les mêmes populations, et par conséquent nous n’avons jamais pensé qu’il s’agissait d’un problème de différence de société, qu’il ne pouvait s’agir que d’un problème de colonialisme, d’administration, de situations particulières. Bien que je n’ai jamais eu à l’idée, à ce moment-là, ni par la suite, que l’on puisse faire quelque chose de bon en voulant imposer aux gens ce qu’ils ne veulent pas – je n’ai jamais pensé, jusqu’au coup d’Etat, que ce problème se posait. Je pensais qu’il y avait des populations mauritaniennes – un peu comme toutes ces populations sahraouies qui étaient plus ou moins au courant des choses, et qu’un certain nombre de gens, plus politiques, qui étaient soit des Sahraouis, soit d’autres comme les Algériens, pouvaient tenter d’utiliser à des fins d’ordre politique. Je n’ai pas vécu toute cette période comme une période dans laquelle nous voulions imposer à des gens notre volonté de les amener à être avec nous. Et je me suis rendu compte – je vous le dis très franchement – .après le coup d’Etat, que, pendant toute cette période, et malgré le fait que j’étais responsable, je n’étais pas bien informé. Beaucoup de gens ont commencé à parler : non, ce n’était pas comme çà ! Il ne fallait pas faire comme çà, ce n’était pas une bonne politique. Je ne pouvais pas me douter du fait que nous avions une opinion assez large qui pensait comme çà.

Nous nous sommes trompés sur la réalité de ce problème, tel qu’il était vécu par les gens dans les années 1970. Cette évolution qui s’est faite, le Polisario avec tout cela, je pense que nous n’en avons pas pris très correctement la mesure. Nous avons toujours vu là des complications que les Algériens voulaient nous faire. Et il nous a manqué peut-être une réflexion sereine, et peut-être le fait de chercher réellement à savoir de quoi il s’agissait. Les conséquences de cet état de choses ont été d’autant plus graves et importantes que l’on était très loin d’imaginer qu’elles puissent exister, lorsque nous nous sommes engagés dans ce problème. Vous êtes désarçonné plus facilement lorsque vous avez des choses que vous ne voyez pas et qui apparaissent. Ce que le président Moktar nous avait communiqué, c’est la force de sa conviction, de son bon droit, c’est la force de sa conviction que c’est çà qui était l’intérêt des Sahraouis de rejoindre la Mauritanie. Et lorsque ces problèmes se sont posés, d’intérêts des nations, de rapports de forces, de rapports conflictuels, nous nous sommes trouvés dans une situation très simple : c’est que nous étions un pays très faible par rapport à des voisins qui étaient beaucoup plus forts. Devant un univers international qui ne pouvait pas accéder profondément à ce que nous, nous pensions de ce problème et comment nous le sentions. Même nos amis français, malgré les relations particulières qu’ils avaient avec nous, à la fin ne voyaient pas très bien où nous allions et ils souhaitaient trouver une solution. Mais il n’y avait pas suffisamment de quoi peser pour considérer que le fait que le Sahara ne soit pas rattaché à la Mauritanie, constituerait une erreur historique.

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