A défaut de jasmin…
Tunisie : Lettre d’une journée vécue.
D’habitude, j’écris mes articles. Pour une fois je vais déroger à cette règle (et pour cela demande à C4N de bien vouloir garder son euro).
Voici le texte intégral d’une femme italienne, mariée à un Tunisien, que je connus élève, au Lycée… jusqu’à son baccalauréat en 1997. Je suis certain de son honnêteté et de sa sincérité.
Ce vécu est touchant et s’il est retenu, il donnera au lecteur la sensation personnelle d’une participante.
Et veuillez m’excuser si je crois lui devoir ce geste.
Hier matin à la Kasbah …
Ou les armes de la volonté et du cœur …
Depuis le début du sit-in j’ai eu, comme beaucoup de personnes des échos, vu des témoignages sur cette caravane de la liberté composée de centaines de Tunisiens du centre et du sud du pays campant à El Casbah de Tunis.
C’est peut-être une des premières mobilisations de cette révolution tunisienne créant un véritable désaccord entre les différents citoyens et acteurs.
Les manifestants de la place des ministères, quant à eux ont continué, résistant, multipliant les prises de paroles et faisant preuve d’une sagesse dont beaucoup de tunisois devraient s’inspirer. Ce qui les anime ? Une véritable bataille pour défendre leurs droits mais également pour défendre leurs morts.
Hier matin, en me rendant à la Kasbah, j’ai réellement été surprise par ce mouvement, par cette mobilisation humaine pacifiste mais surtout verbale. Cela vous prend aux tripes et au cœur. Je me suis souvenue de ces lointains cours d’histoire sur cette démocratie Athénienne où il y avait ces prises de paroles dans la rue… Sauf qu’ici nous sommes aux XXI siècle et ce sont les esclaves de la liberté qui s’expriment ou plutôt s’exprimaient..
Un vieillard-homme sandwich avec un poster de la photo de son petit fils de 8 mois tué par balle à Kasserine en guise de slogan, errait entre ces petits groupes de paroles : femmes, adolescents, chômeurs, père criant cette volonté de survivre à cette révolution. Je suis passée par la Médina et le décalage m’est paru d’autant plus fort, des Japonaises en train de faire leurs achats-souvenirs comme tout touriste qui se respecte, la vie contrairement à ce qu’affirmaient certains médias tunisiens continuait sans cette peur au ventre exacerbée par les rumeurs de ces soit disant voleurs ou brigands venus du centre du pays. J’ai presque couru dans les ruelles de cette Médina carte postale figée pour aller vers cette place de la liberté. C’est essoufflée que j’y suis arrivée, guidée par des chants et un mouvement de foule étrange constitué en grande partie d’observateurs de tous âges (même des collégiens) venus écouter et prendre le pouls de ceux par qui la révolution est venue.
Là-bas je ne me suis pas sentie étrangère, je n ai pas eu affaire à des regards inquisiteurs, au contraire, on m’a raconté, guidée, invitée à écouter, traduit ce que je ne comprenais pas . L’émotion est encore forte, et c’est les larmes aux yeux que j’écris. Une humanité éveillée réclamant plus de dignité, d’échange et pas seulement le départ du premier ministre . J’ai croisé des jeunes voulant que je les photographie avec leurs pancartes, un homme me disant "comment veux tu que je crois en ceux qui ont tué sous mes yeux mon frère… je n’ai plus confiance et je ne les respecte pas. Il faut respecter ceux qui nous gouvernent non ?" C’est ce qu’il faut comprendre. Il y avait aussi cet homme avec son fils de trois ans, l’âge de Leith venant d’un village près de Sidi bouzzid que je serais incapable de citer… Rien à perdre, juste encore une fois leur dignité et leur combat.
J’ai pu aller dans les coulisses en suivant un ami médecin dans cette infirmerie improvisée accueillant des petits bobos comme un homme en pleine crise d’hystérie. Cachés derrière des rideaux couvertures nous observions de haut des jeunes plus virulents prendre à partie la foule…
Les médias tunisiens ont réussi à ne garder que cette dernière image de la Kasbah et ont gagné la grande masse avec cette revendication que « la caravane de la liberté rassemble une bande de malfaiteurs, ivrognes et anarchiques » même en faisant courir le bruit que c’étaient de dangereux drogués…. Vite tous aux abris ou plutôt gazons la foule ! Quand j’ai eu, hier en soirée, cet ami médecin au téléphone replié à l’hôpital avec d’autres manifestants alors que nous étions avec les enfants dans cette La Marsa bourgeoise et complètement décalée, j’ai eu envie de vomir, de crier, de me révolter … La majorité a en effet repris la vie normale et confortable, se montre indifférente et parfois hostile aux manifestations qui bloquent l’économie de la Tunisie. Les militaires sont rentrés dans l hôpital chassant les manifestants dans une violence indigne de ce mouvement.
Restons unis, si la Tunisie est libre aujourd’hui et marche vers le chemin de la démocratie c’est grâce à cette union …. N’oublions pas cela, ne devenons pas amnésique; que nous soyons d’accord ou non avec les revendications de ces gens!
Vanessa
Merci d’avoir partagé ce témoignage.
ca reflète un peu ce qui se passe on Tunisie, merci pour l’article.