‘Qui va piano, va sano et lontano" dit un proverbe italien.

Ce n’est pas le cas des incendies récents dans le 20e arrondissement de Paris.

 

Celui qui a ravagé le 24 octobre la Baraka, un immeuble habité depuis un an par des migrants roumains, en majorité roms, a été fulgurant. Ion Salagean, un des habitants, n’y a pas survécu. Son corps n’a été trouvé que 24 heures après, au milieu des décombres: l’immeuble de deux étages était réduit en un tas de débris de quelques décimètres. Un témoin a déclaré à la police avoir aperçu des personnes cagoulées sur le toit, qui auraient jeté des cocktails Molotov. Une enquête a été ordonnée par le parquet.

S’agissant de l’incendie du siège de Charlie Hebdo, excuses-nous, pauvres tsiganes, de n’en connaître les dégâts que par les nouvelles diffusées dans la presse. Étant donné la masse de celles-ci cependant, on peut croire être suffisamment informés. Les ordinateurs ont fondu, le mobilier a brûlé, et il faudra tout refaire. Ce sera difficile, mais on peut légitimement compter sur l’énergie infaillible de l’équipe de Charlie, telle que nous l’avons connue lors de ses nombreuses passages à la télé ces jours-ci, pour un nouveau départ, de plus belle, de la publication.

Ion Salagean est parti pour toujours. Charlie Hebdo va repartir dès la semaine prochaine, sans interruption donc.

Les amis de Ion ont été, pour certains au moins, hébergés en urgence dans des hôtels par l’association Emmaüs Coup de main, mandatée par la ville. Au-delà de cette "prise en charge", l’association leur propose de retourner en Roumanie. Ce que beaucoup ont accepté, malgré le fait que depuis un an ils avaient réussi à s’ancrer dans la vie du quartier, scolariser leurs enfants, avoir une assurance maladie ou des démarches en cours, appris un peu de français etc. Quelqu’un pour les soutenir? Oui, le collectif Baraka, constitué autour de La voix des Rroms, de Télé Liberté et du collectif contre la xénophobie depuis la réquisition citoyenne des lieux en novembre 2010, puis élargi à d’autres associations et individus, tous exclus par la mairie du 20e arrondissement une fois qu’elle ait mandaté Emmaüs Coup de main pour faire disparaître ceux qui avaient survécu à l’incendie fulgurant. Aucun égard non plus pour la centaine des anonymes qui nous avaient rejoint devant la mairie du 20e arrondissement le 26 octobre pour exprimer leur solidarité concrète.

L’équipe de Charlie Hebdo est accueillie par le journal Libération pour que la publication ne s’arrête pas le temps d’avoir à nouveau des locaux. Ceci sans conditions ni, en échange d’autre chose, ni avec des propositions de ligne éditoriale p. ex. Une solidarité qu’on salue d’autant plus fortement que Charlie Hebdo, rendu vulnérable par la destruction de ses locaux, aurait pu céder à des propositions-pressions, un peu comme les Rroms de la Baraka, bien que les deux situations ne sont pas automatiquement comparables. Et elles ne le sont pas parce que, dans cet élan de soutiens venant de partout, Charlie Hebdo risquait peu de perdre son âme. De la gauche jusqu’à l’extrême droite, en passant par le gouvernement, des associations etc., tout le monde a soutenu, au point qu’ un dessinateur du journal a exprimé sa gêne d’avoir été soutenu par Marine Le Pen. Il y a des moments où nous, les Rroms, on peut se dire qu’on a de la chance, et là, c’en est un.

M. Guéant s’était précipité sur les lieux du crime pour demander à tous les Français d’être solidaires de Charlie Hebdo, qu’ils l’aiment ou pas. Parce que la liberté de la presse est importante et qu’il fait la défendre contre l’impérialisme islamiste. Wouaw! M. le ministre dit clairement qu’il ne veut pas préjuger sur les responsabilités dans cet attentat, qu’il appartient à la justice de les clarifier, après avoir quand même répondu à un journaliste que les "intégristes chrétiens, comme vous les appelez, manifestent, expriment leur opinion, mais ne brûlent pas".

La liberté de la presse, il faut la préserver, contre tout, car elle est "sacrée", comme dit M. Guéant. A entendre cela, on se demande quand même qui s’est acharné contre Stéphane Guillon pour son humour pas convenable pour tous. Puis, le mot "sacré" n’a-t-il pas quelque chose de religieux? Le prophète Mohamed n’a-t-il donc pas quelque chose de "sacré" pour les Musulmans? Loin de nous l’idée de cautionner ou de justifier cette attaque par le feu, mais il existe une chose appelée "empathie" et qu’on devrait avoir, surtout lorsqu’on a une prise sur l’opinion publique, ce qu’est le cas de tout média. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Charlie Hebdo en a manqué en caricaturant le prophète de quelques millions de lecteurs potentiels. Le journal a déconné, c’est ce qu’il y a de sûr. Ce qui reste à savoir, après l’enquête, c’est si un ou des musulmans affectés n’ont pas répondu à cette connerie par une autre connerie. 

 

Quoi qu’il en soit sur ce  point à clarifier dans l’avenir, il y a une véritable instrumentalisation de l’affaire par M. Guéant. Ne cherche-t-il pas plutôt à attiser l’islamophobie ambiante plutôt qu’à défendre la liberté de la presse et de la pensée? Parce qu’à y voir d’un peu plus près, juridiquement le droit à la vie est d’une importance supérieure à la liberté de penser. C’est logique, dans la mesure où on ne peut penser que si on nous laisse vivre. Nous ne préjugeons pas nous non plus sur les causes de l’incendie de la Baraka, et espérons que l’enquête les précisera, mais la piste criminelle n’est pas exclue. Alors, comment se fait-il que M. Guéant n’a exprimé aucune solidarité, ni même de regret, pour Ion Salagean, et qu’il demande une solidarité nationale avec Charlie Hebdo ? Aurait-il été différent si des Rroms de la Baraka ou des voisins avaient dit avoir vu des gens jeter des cocktails Molotov en criant "Allah’u Akbar" ? Même pas sûr… la victime s’appelait Ion, et ce n’est pas exactement pareil que "Jean"…