J’ai reçu de « mon » 2e bureau (en fait de l’agence de com’ et RP de ce nom, celle de Jean-François Leroy, fondateur du Festival Visa pour l’image de Perpignan) un appel à soutenir le correspondant de guerre et photojournaliste João Silva. Ce dernier a sauté sur une mine au sud de l’Afghanistan et il a dû être amputé des deux jambes. Son site propose à la vente des tirages de ses photos…

À moins d’avoir un bureau dans une ONG ou d’être l’un de ces admirateurs des « chiens de guerre » fantasmés par les films d’action, ce ne sont pas, à de très rares exceptions près, des photos qu’on aimerait encadrer pour les accrocher aux murs de sa demeure ou de son lieu de vie. João Silva, leur auteur, né à Lisbonne, de nationalité sud-africaine, a fini sa carrière de photojournaliste et correspondant de guerre, pour principalement The New York Times, en octobre dernier.

Il avait déjà été blessé au visage par un éclat de munition, cette fois, une mine l’a voué à un fauteuil roulant. Je ne sais trop ce qu’il en est des assurances contractées par les grands titres américains, ce que le système de protection sociale aux États-Unis peut garantir dans un tel cas (la réforme voulue initialement par B. Obama a été réduite par les groupes de pression des assurances privées), mais je crois que Jean-François Leroy est tout à fait fondé à faire répercuter l’appel qu’il m’a transmis.

« Des amis de Joao ont créé un site internet pour vendre ses tirages et réunir des fonds http://joaosilva.photoshelter.com/
Comme vous pouvez vous en douter, Joao a besoin de notre aide.
N’hésitez donc pas à faire circuler cette information autour de vous
. ».

Récemment, enfin, Le Monde s’est intéressé au sort de quatre soldats français gravement mutilés en Afghanistan. De longue date, la presse britannique a multiplié les articles et reportages sur ce sujet, qui va devenir crucial en France (les troupes britanniques devraient se retirer d’Afghanistan à partir de 2011, la présidence française n’a pas manifesté d’intention similaire et la représentation nationale parlementaire reste fort muette sur ces questions). Hervé Ghesquière et Stéphane Taponnier, les deux journalistes de France 3, otages en Afghanistan, voient s’approcher leur 365e jour de détention.

Être journaliste « en immersion » ou plutôt « incorporé », encadré par les armées, ne garantit en rien d’être épargné par une mine (parfois, même, au contraire), mais c’est en tout cas la quasi-assurance de ne pas être exposé à faire des photos ou tourner des séquences de combattants mutilés. On en compte généralement cinq pour chaque soldat « coalisé » tué, soit donc une centaine de mutilés, la plupart gravement, dans les rangs français depuis le début de l’intervention française en Afghanistan. Cela tient à deux choses : une meilleure protection individuelle, une plus grande rapidité d’intervention médico-chirurgicale plus sophistiquée, conduisent à ce qu’il y ait moins de morts en opération, mais bien davantage de survivants gravement atteints que par le passé.

Par le passé, du temps du conflit vietnamien par exemple, João Silva aurait sans doute agonisé sur place avant de décéder. Il y avait, à l’époque, des correspondants de guerre, au psychisme peut-être perturbé par de trop nombreux conflits, qui prenaient parfois des risques aussi inconsidérés que vains. De l’un d’eux, dont j’ai oublié le nom, l’un de ses confrères (qui devint chef de la photo à l’AFP), me disait : « il a pris un éclat d’obus  fatal pour une photo dont personne n’aurait voulu tellement elle était anodine ; il avait fini par perdre conscience du danger, par trop s’exposer… ». Depuis la mort d’un reporter allemand, tué au Chili par la balle d’un militaire qui a traversé son objectif, la très illusoire protection de se retrouver derrière un appareil ou une caméra a été totalement dissipée et les envoyés spéciaux multiplient les précautions. João Silva ne s’est pas exposé inconsidérément, sans doute moins encore que les civils afghans qui sautent sur des mines, se retrouvent exposés à des tirs imprévisibles. C’est une quasi-certitude. Peut-être, mais ce n’est qu’une hypothèse, il a – en l’envisageant ou non sur le moment – sauvé la vie de sa coéquipière du New York Times, Carlotta Gal, qui le suivait de peu. Je ne sais rien en revanche de ses convictions sur ce conflit et là n’est pas la question. Qu’on pense qu’il soit utile à la « nation » afghane (ou à l’une ou l’autre de ses composantes) ou non n’entre pas en ligne de compte. Restent des hommes et des femmes (militaires, journalistes, membres d’équipes médicales…) qui survivent à de très graves blessures. Elles et ils sont parmi nous. João Silva reste une figure éminente de l’univers du photojournalisme, d’autres, plus anonymes, surtout plus isolé(e)s, ne bénéficient souvent que d’un soutien qui s’estompe au fil du temps et les isole encore davantage. Je prends « prétexte » de cet appel en sa faveur pour les évoquer ; elles et ils méritent autant d’attention de notre part. Qu’ajouter ? Peut-être simplement qu’une visite du site de João Silva vaut manifeste de cette attention à l’égard de toutes et tous.

Le photoshelter (abri) de João Silva.