Non, le scandale de la viande de cheval n’a pas vidé les étriers médiatiques en Europe. Au contraire, il s’étend avec le retrait de préparations carnées (surtout ne plus jamais employer « culinaire ») d’Iglo, très sérieux concurrent de Findus et Picard. Que, comme le proclame la presse britannique, une majesté d’Europe ait pu boulotter du canasson à son insu, assaisonné au phenylbutazone, « grâce » à la Sodexo, révèle surtout que la Spanghero n’était sans doute pas seulement l’un des cas présumés « isolés ».

Alors M. Michel Landel, président de la Sodexo qui fournit des repas à des cantines permanentes ou temporaires (événements sportifs, tel Ascot, où se restaurait la famille royale d’Angleterre, les Jeux olympiques, &c.), d’où provenaient donc les déchets de viandes chevalines qui se retrouvaient dans vos préparations au bœuf ? Eh bien, on ne le saura pas, Michel Landel, pour l’instant, se tait.

Pour Iglo (et sa filiale Birds Eye), qui a retiré du chili con carne dans quatre pays européens, la source, un transformateur belge, est identifiée : Frigilunch. D’autres industriels de l’alimentation, tels Makro ou la Burger Manufacturing Co ont aussi continué à retirer des produits de magasins, restaurants, cantines, &c.

La donne change pourtant. Tout comme Nestlé (Buitoni), qui n’a pas dit encore quelle était la plus forte concentration de viande de cheval (« supérieure à un pour cent ») dans ses produits, tout le monde évoque à présent des teneurs « extrêmement faibles ». De deux pour cent, chez Iglo Foods, mais « dans un seul échantillon ».
Là encore, Frigilunch est bien désignée, mais pas ses fournisseurs, les abattoirs d’origine, &c.

En France, la Spanghero reste interdite de négoce. Soit, mais des contrôles, alors que se déroule le salon de l’Agriculture à Paris, sont-ils menés chez d’autres négociants ? Pourquoi donc en Angleterre, Allemagne, Belgique, de nouveaux cas presque chaque jour, et pas en France ? Pourquoi en trouve-t-on dans des cantines scolaires écossaises et plus dans des françaises ?
Pourquoi donc les autorités irlandaises découvrent-elles un nouveau suspect, B&F Meats de Carric-on-Suir, près de Tipperary, alors que c’est « goodbye Spanghero Square » en France ? Chez B&F Meats, le lot du mélange n’aurait eu que la Tchéquie pour destination.

Il est quand même bizarre qu’aux États-Unis un tiers du poisson commercialisé provient d’espèces étiquetées faussement et qu’en Europe, pour la viande, il ne s’agisse que de cas « isolés », circonscrits, alors qu’ils se multiplient.

D’où l’interrogation de l’éditorialiste de l’édition irlandaise de The Independent. L’Irlande est pourtant le premier pays d’où la première alarme a tout déclenché. Pourtant, le quotidien parle encore de « sommet de l’iceberg » et carrément « d’omerta ». « Des acteurs majeurs de l’industrie de la viande en Irlande étaient au moins au parfum de cette activité illégale (…) d’autres étaient parfaitement au courant ». Ce qui vaut pour l’Irlande ne vaudrait-il pas pour la France ?

Où en est-on de l’affaire Colvi, qui remonte à fin 2006, et impliquait déjà Lur Berri, Arcadie Sud-Ouest, d’autres firmes ? Elle reste à l’instruction, mais Barthélémy Aguerre, qui se retirerait de Lur Berri semble avoir compris qu’il devra faire figure de destrier émissaire. Maire de Luxe Sumberraute à 21 ans, Aguerre intègre Lur Berri deux ans plus tard, et à 57 ans, conseiller général, suppléant d’un député, il a rayonné ou rayonne encore sur divers pays avec des associés produisant soit de la viande, soit des légumes, soit d’autres produits alimentaires. Pas un mauvais cheval politique : il a couru sous cinq casaques, les deux dernières étant l’UMP et l’UDI.
« J’ai la conscience tranquille. J’ai été grugé, mes collaborateurs aussi. Je les soutiens : on a été trompés par des gens bien plus malins que nous », martèle-t-il. Depuis combien de temps ?
Par la seule Draap chypriote qui faisait dans les ventes d’armes ou de viandes indifféremment ?
L’avocat de la société chargée par Spanghero de la gestion de crise, nous a fait retirer de Come4News un article fondé sur une enquête de The Observer (édition dominicale du Guardian). Draap Trading, propriété d’un fonds siégeant dans un paradis fiscal, a été visée par l’Organised Crime and Corruption Reporting Project. En raison des liens de Draap Trading avec Ilex Ventures.
La question reste donc depuis combien de temps Barthélémy Aguerre et ses collaborateurs ont-ils été dupés par « bien plus malins » qu’eux, et à quel point étaient-ils eux-mêmes malins. Demander le retrait du présent article n’évacuera pas ces deux questions. Les moins malins l’étaient-ils à demi, ou dans de bien moindres proportions ? Lesquelles ? Le grain de sel pesait-il un milligramme ou des milliers de tonnes ?

Aguerre restera-t-il le seul à porter la toque d’âne dans le coin de la salle de classe ? Souhaitons que, via la Comigel, il ne fournissait pas Sodexo : la peccadille tiendrait du crime de lèse-majesté, puisque les membres de la famille royale anglaise ne sont  pas tout à fait des consommateurs comme les autres.
L’autorité sanitaire britannique, la FSA, considère que le Royaume-Uni a bouffé du canasson sans le savoir depuis des années. En sus, l’autorité française, selon Sky News, admet à présent que la viande de trois carcasses de chevaux aurait été persillée à la « bute », ce médicament antidouleur pour chevaux. Or, à quels chevaux est-il vraiment administré ? Sans doute pas ou peu à ceux de trait, d’agrément, ou élevés pour leur viande, mais surtout à des trotteurs et galopeurs qui, s’ils viennent à être blessés ou approcher de leur fin de vie sont censés ne pas se retrouver dans la chaîne alimentaire. 

En Belgique, quatre affaires sont à l’instruction. En France, il n’y en aurait qu’une, celle de la choletaise Colvi ? Ou aurait-on attendu que François Hollande inaugure le salon parisien de l’Agriculture pour activer d’autres enquêtes ? En comparant tailles et production, il y a comme un hiatus.

En Grande-Bretagne la Sodexo livrait des entreprises, administrations (éducation, hôpitaux, forces armées), des restaurants permanents (de salles de banquets) ou temporaires (événements sportifs et autres). En tout 2 300 établissements outre-Manche. Buckingham Palace a laissé le MoD (Défense) indiquer que les troupes combattantes en Afghanistan n’étaient pas alimentées par la Sodexo. Compass, un concurrent de Sodexo, qui gère Eurest, avait été précédemment touché.

Les vieilles vaches hennissantes fournissant la matière première des minerais congelés pouvaient provenir de n’importe où, en Europe et même d’ailleurs. On peut imaginer que la Draap  ne se fournissait pas qu’en Roumanie : sans doute aussi en Turquie, pays riverain de Chypre.

L’affaire remonte au 15 janvier, et après s’être amplifiée, elle se fractionne. Pourtant, en Italie, il n’y a pas que Buitoni a être touchée : la Primia de San Giovanni in Perssiceto, près de Bologne, berceau de la sauce à la tomate, est aussi concernée. La viande provenait de la province de Brescia. On peut donc acheter cent pour cent italien et être dupé.

À présent, « Intermarché, Findus et Carrefour s’engagent à n’utiliser que de la viande bovine française dans leurs plats préparés », a déclaré Stéphane Le Foll. Fort bien. Si les prix n’augmentent pas, il faudra bien compenser d’une manière ou d’une autre (soit en diminuant la teneur en viande, soit en se rattrapant sur d’autres ingrédients).

Au moins cela aura-t-il pour effet de raccourcir les trajets et transits. L’Irlande fournissait une entreprise de Valence, sur la côte méditerranéenne, laquelle fournissait les Canaries, au large du Sénégal, dans l’Atlantique. 

La Roumanie qui, voici quelques jours, évoquait la possibilité de demander des dommages et intérêts, se retrouve à son tour de nouveau dans la ronde du grand manège européen. Ses autorités sanitaires ont inspecté un abattoir près d’Alba Iulia (centre-ouest du pays, en Transylvanie). La viande chevaline de la firme Ady Salve, d’Ilfov près de Blaj, finissait en bovine à Bucarest et Sibiu, à trois semaines de la date d’expiration de sa commercialisation. Il s’agissait d’un entrepôt frigorifique se fournissant aux abattoirs de la capitale et de Botosani. La viande retournait ensuite un peu partout et sept restaurants rapides de Bucarest l’ont notamment écoulée.

Mais dans des restaurants de Chrinogeni, dans le département de Constanza (près de la Bulgarie), c’était des viandes de mules ou d’ânes (măgar) qui passaient pour de la carne de vită.

En France, des amendes sont prévues (inférieures à ce que peut rapporter la fraude), en Roumanie, c’est d’un à sept ans de prison, rapporte BlajInfo (.ro). Heureux comme maquignon en France !

L’Italie qui se croyait indemne, découvre à présent l’ampleur du problème. Il ne s’agit plus seulement de Buitoni ou de la firme proche de Bologne : Vini e Sapori (.net) titre « 16,5 milioni di Kg di carne equina nei macelli italiani » (en majorité de la viande de cheval, est-il précisé, puisque les mules et les ânes entrent dans ce total).

En Espagne, c’est à présent un restaurant irlandais de Cartagène, près d’Alicante (les régions de Valence et d’Alicante sont fortement peuplées de retraités d’Europe du nord) qui s’est retrouvé inspecté. La viande provenait de la région d’Alicante ou du moins était vendue localement à divers restaurants. Les autorités sanitaires du Valenciano ont fait saisir un peu moins d’1,1 tonnes de viandes dans deux sociétés de la région d’Alicante. 

Espagne, Canaries, Autriche, &c.

L’Agencia Española de Seguridad Alimentaria se lance à son tour dans une campagne d’inspections qui ne seront plus inopinées puisque tous les acteurs du secteur des produits carnés sont à présent avertis.
Aux Canaries, la société Greatco est désormais nommée : la viande de cheval est consommée dans l’archipel par les natifs, mais de très nombreux résidents permanents sont de nationalités britannique ou irlandaise. Food 4, de La Nucia, avait aussi été avertie dès lundi dernier par son fournisseur irlandais, Rangelande Food Ltd., relate le quotidien Informacion. Comme ses pairs à travers l’Europe, Jason Craig, de Food 4, s’est déclaré être « la première victime » du trafic. Nos clients aussi, ajoute-t-il.

Des contrôles vont débuter lundi dans la région de l’Estrémadure, voisine du Portugal.

En Autriche, voici qu’un producteur de saucisses, Joseph Feitag, vient de reconnaître qu’il les améliorait avec du cheval depuis plus d’un an : « elles étaient bien meilleures ». Admettons. Mais plus chères à produire ? Son avocat assure que ce serait le cas.

Des bénéficiaires

En Finlande, les produits mal étiquetés seront donnés à des organisations charitables après quelques contrôles sur des échantillons. En Allemagne, le ministre du Développement, Dirk Niebel, propose la même chose à présent. C’est peut-être un peu plus coûteux que l’incinération, mais certainement plus écologique.

Pour le moment, outre le boucher du coin, le grand bénéficiaire du scandale est le groupe Eurofins, spécialiste de la bioanalyse, qui dispose de 170 laboratoires. C’est lui qui avait été sollicité par les autorités irlandaises. Mais l’américaine Bio-Rad, représentée en France, et qui fournit des laboratoires, détectant des bactéries dans les viandes, selon des protocoles permettant « de s’assurer de l’absence de contamination par un ADN exogène », devrait aussi bénéficier de l’affaire. Elle avait aussi été sollicitée par de nombreux pays lors du scandale de la vache folle.
Les méthodes Bio-Rad sont généralement certifiées par la FDA ou Afnor. Bio-Rad est implantée à Marnes-la-Coquette et Mitry-Mory. Lors de la crise de la vache folle, la Communauté européenne avait « souligné la sensibilité nettement supérieure » de ses tests par rapport au concurrent Prionics, pourtant privilégié par le ministre de l’époque. Effectivement, le test étant d’une sensibilité trente fois supérieure, il y avait risque de voir trop de troupeaux abattus.

Les autres bénéficiaires à venir seront sans doute les imprimeurs… L’étiquetage mentionnant la provenance française devrait favoriser l’impression de nouveaux conditionnements. Mais quand on sait que l’essentiel de la production française de viande bovine provient de l’abattage des vaches de réforme, lira-t-on « vache de réforme laitière française » sur les étiquettes ?

Traçabilité et origine

Comme le mentionnait un acteur du secteur en 2001 devant une commission parlementaire, « la traçabilité n’est pas en soi un élément de sécurité alimentaire. L’élément de traçabilité est l’outil qui permet de régler les problèmes ou de trouver leur origine très rapidement. ».

Il poursuivait en signalant que les éléments d’étiquetage, mentionnant l’origine, « relèvent davantage du marketing et de la communication que d’une information sécuritaire sur la qualité de la viande. ». Le rapport 3138 de l’Assemblée nationale est toujours consultable en ligne. Il remonte à mai 2001, et on peut se demander si le constat d’alors avait été vraiment suivi d’effets.
L’un des rapporteurs concluait qu’en matière de sécurité alimentaire : « nous réalisons des prouesses techniques, mais nous sommes en train de nous lester d’un handicap durable en termes de compétitivité par rapport à d’autres pays. ». C’est sûr, en s’adressant à Chypre, c’était compétitif.