Sénégal : intérêt personnel ou collectif ?

Hier, longue discussion avec un vieux fonctionnaire, du milieu de la hiérarchie. Intègre, il me semble, apparemment intellectuellement honnète. La discussion portait sur ce qui me parait être un des points sensibles et non résolus du système social sénégalais : la place ou plus exactement le traitement des fonctionnaires. Discussion ambigüe et explosive.

1er constat : le traitement des fonctionnaires est difficile à connaitre, on parle volontiers de sa modicité sans en préciser le montant qui, dans certain cas, n'est pas si modeste si on y inclut tout le système des primes (cf les juges qui ont obtenus une prime de logement de 500 000 cfa , 800 euros, 10 fois le smig sénégalais !).

2 ème constat : le prix des services au Sénégal est cher (extraction dentaire au Sénégal 15000 cfa, moyenne en France 33 euros, environ 20 000 cfa, malgré l'énorme disparité des revenus).

3 ème constat, banal mais nécessaire à rappeler, les fonctionnaires sont payés par l'ensemble de la population dont une très grande partie à des revenus misérables.

4 ème constat : les fonctionnaires sont censés faire vivre des dizaines de personnes et servir de redistribution sociale. La population a diverses attitudes face aux revendications salariales des fonctionnaires selon la situation dans laquelle elle se trouve. A noter que les revendications salariales des fonctionnaires obéissent à la même règle et sont plus ou moins vives selon leurs situations ou plus exactement leurs capacités de nuisance.

Certaines catégories de fonctionnaires sont muettes, d'autres extraordinairement revendicatives. Les plus combatifs, de manière habituelle, sont les enseignants.

Les réponses de la population oscillent entre : ils nous fatiguent (traduction polie) à faut leur donner ce qu'il veulent pour que nos enfants aillent à l'école.

Les enseignants pensent qu'ils ne sont pas bien payés. Faut s'attarder un peu sur cette notion de bien payé. Dans un pays où un très grande partie de la population vit avec moins de 100 000 cfa (environ 150 euros) et où nombreux sont ceux contraints de vivre avec la moitié de cette somme, quel est le revenu légitime d'un fonctionnaire ? Question un poil compliquée !

Une grande partie de la population vivant avec moins de 100 000 cfa n'a pas fait d'études, quoique cela ne soit pas toujours vrai. Les enseignants ont fait des études, quoique cela ne soit pas toujours vrai, non plus.

Les enseignants ont une tache d'intérêt national. Soit, mais que serions nous sans les paysans, les pousseurs de charettes, les vendeurs ambulants… En réalité, leurs taches sont aussi importantes et nécessaires, sur un plan national, que celle des enseignants.

Quittons ce plan d'utilité sociale et intéressons nous à celui de la satisfaction légitime des besoins. Autant il est légitime de vouloir augmenter le niveau de satisfaction des besoins de sa famille autant il est légitime de revendiquer la satisfaction minimale des besoins primaires de TOUTE la population. C'est là que le bât (c'est pas faute d'ortographe) blesse puisque les besoins primaires d'une très grande majorité de la population sénégalaise ne sont pas assurés : santé, scolarité, sécurité alimentaire…

Faut-il alors favoriser la satisfaction des revendications de fonctionnaires au détriment de l'augmentation du niveau de vie de l'ensemble de la population ? Le problème n'est pas anodin et se retrouve dans d'autres choix. Au niveau médical, nous voyons que certains plateaux techniques très sophistiqués sont installés au Sénégal, plateaux destinés à soigner des maladies coûteuses et insoignables (dialyses par exemple) alors que des dizaines de milliers de femmes souffrent de fistules anales opérables pour moins de 100 000 cfa.

 Une poignée d'individus ou l'ensemble de la population ?

La solution serait d'augmenter les ressources : l'ensemble de la population réellement assujettie à l'impôt. Si tous ceux qui ont les moyens d'en payer en payaient effectivement, le problème serait-il moins épineux ? Un peu mais pas fondamentalement.

Il est un aspect du statut des fonctionnaires toujours passé sous silence et qui me parait pourtant primordial dans un pays où règne l'insécurité individuelle : la pérennité de l'emploi. Combien vaut la sécurité de l'emploi, la certitude du salaire, Quel est le prix de l'angoisse liée à la recherche quotidienne de l'argent pour acheter le riz ? Difficile à dire, mais assurément très cher, si on réfléchit un peu.

Pour résumer ma position sur le problème je dirais que les revendications des fonctionnaires sont compréhensibles mais illégitimes. D'ailleurs, eux même, ne s'y trompent pas et ne sont jamais très diserts sur leurs réels revenus ni sur le bien-fondé de leurs revendications mais insistent volontiers, davantage sur leurs capacités de nuisance.

On pourrait aussi parler de la réelle efficacité des services fournis par les fonctionnaires mais cela ne changerait rien au problème. Même des services au top niveau ne résoudraient pas le dilemme du choix à opérer entre l'intérêt d'un petit nombre et celui de la majorité.

Inutile de vous dire que, dans la discussion entre le fonctionnaire et moi, nous n'avons pas réussis à trouver un système capable de prendre en compte l'intérêt individuel et collectif. Un tel problème peut il se résoudre par une solution d'ordre technique ? J'en doute.