Seconde guerre mondiale : Huis-clos, les mains sales … la nausée ! (6)

La conclusion du cinquième volet de la série annonçait une suite, consacrée aux aspects économiques du phénomène des camps d’internement, vus sous l’angle du réservoir de main-d’œuvre potentielle que constituait leur population. Chose promise, chose due : je vous propose dans les lignes qui suivent de partager ce que j’ai pu apprendre sur la question.

Mais elle présentait également cette suite comme étant probablement le dernier article de la série, qui depuis ses origines a progressé au rythme de mes propres découvertes, donc sans aucun plan préconçu (que le lecteur accepte mes excuses pour les difficultés qu’il en éprouvera à suivre un cheminement qui se cherche, au jour le jour, dans ce qui ressemble de plus en plus à un bloc-notes livré en vrac …).

Or ces découvertes ont subi un certain nombre de développements récents que j’aurai envie de livrer en partage, toujours dans la même optique que celle exposée en introduction du troisième volet : « l’édification de nos contemporains, toutes générations confondues : les plus anciennes afin de leur communiquer les informations qu’ils ne risquèrent pas de lire dans la presse de l’époque et les plus jeunes, pour les instruire (à des fins préventives) de la sournoiserie de prémices qui passèrent inaperçus aux yeux des premiers ».

Ces « nouveautés » se situent dans deux domaines :

·         l’accès à une publication de Monsieur Yves Soulignac (« La région des Saint-Paul-d’Eyjeaux en Limousin durent la Seconde Guerre Mondiale »), qui vient compléter utilement la somme présentée par la thèse d’État de Denis Peschanski [« Les camps français d’internement (1938-1946) »] pour ce qui concerne plus particulièrement le département de la Haute-Vienne (et accessoirement ceux de la Creuse et du Puy-de-Dôme).
Je dois de l’avoir trouvée à la visite que j’ai rendue au Musée de la Résistance et de la Déportation de Limoges, une démarche que je recommande chaleureusement aux lecteurs de Come4News, chacun dans sa propre région !
Cela me vaut en particulier de devoir corriger la liste des camps présentée dans les deux premiers volets : il convient de lui adjoindre le camp de Riom-es-Montagne (qui porte à trois le total pour le Puy-de-Dôme, celui de Soudeilhes (la Corrèze en a donc hébergé deux) et enfin celui d’Evaux-les-Bains par lequel la Creuse perd sa virginité !

·         le rebond sur la question des Centres de Rétention Administrative (CRA), déjà soulevée par Dominique Dutilloy dans ses commentaires du quatrième article, auxquels je reconnais n’avoir pas consacré sur le moment l’attention qu’ils méritaient.

Mais à chaque jour suffit sa peine : voyons comment fut considérée et utilisée la main-d’œuvre des internés.

Avant d’entrer plus avant dans l’illustration des diverses facettes de la question économique, il n’est pas inutile de rappeler que les autorités françaises abordèrent la question simultanément, au gré des convictions de tel ou tel, sous deux angles pour le moins contradictoires : celui d’une logique industrielle, basée sur l’optimisation de la main-d’œuvre, et celui d’une logique idéologique, fondée sur l’exclusion.

page 228 : « …

« Le Gouvernement a décidé, dans un haut souci d’intérêt national, de tirer parti, dans toute la mesure du possible, pour l’économie générale du pays, de la masse des réfugiés, tant que leur retour massif dans leurs pays respectifs restera impossible ».

Dans une circulaire du 5 mai 1939 le ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut, annonçait aux préfets une série de mesures visant à l’exploitation de cette main-d’œuvre nouvelle.

Sarraut annonçait de même la création d’une « Direction de la main-d’œuvre étrangère » au sein du ministère de la Défense et la nomination à sa tête du général Ménard qui avait déjà la tutelle des camps.

… dès le 27 février, le préfet de l’Aude dont le département abritait deux camps, dont celui de Bram, mais également de nombreux réfugiés en liberté, faisait part de ses plus vives réticences devant la perspective de mettre tous les internés sur le marché du travail alors même que le chômage n’avait pas encore été éradiqué dans son département. Il ne pensait pas encore aux « prestations » :

« La présence de cette main-d’œuvre clandestine aura pour conséquence inévitable l’avilissement des salaires, la suppression de fait des conventions collectives et la recrudescence du chômage (…). Il nous faudra ou conserver, en les contraignant à l’inaction, une masse d’Espagnols sans ressources [barré : "qui n’auront pour vivre d’autre moyen que le vol". DP] ou les autoriser à travailler et, par voie de conséquence, accroître le chômage dont souffrent déjà les ouvriers français. »

… ».

page 384 : « Quand « Vichy » [NdR : mis entre guillemets par mes soins ; sur le tort que porte ce raccourci à la ville de Vichy, voir l’article de Dominique Dutilloy, celui d’Amidom Nidolga, et la proposition de loi de Gérard Charasse] institua les Groupements de Travailleurs Étrangers (GTE) par la loi du 27 septembre 1940, l’impératif économique était bien présent, mais il s’agissait moins de profiter d’une main-d’œuvre à bon marché que d’écarter du marché du travail une concurrence devenue insupportable, au moins dans un premier temps.

Dès l’origine, cette législation avait donc un statut hybride. Elle était un mélange de « police industrielle », dans la tradition républicaine des premières réponses à la crise, et de politique d’exclusion, si centrale dans le nouveau régime

On le comprend, la politique de la main-d’œuvre l’emporta rapidement sur la logique d’exclusion, contraintes de l’économie et de l’occupation aidant. Bientôt, la situation de l’emploi s’améliorant, il fallut aussi bien pallier l’absence de bras dans l’agriculture que répondre aux exigences allemandes ».

Au nom de la logique industrielle, il convenait d’assurer l’efficience de ce réservoir de main-d’œuvre :

page 647-648 : « Suite à ces négociations, le 25 mars 1943, le chef du 14e bureau du ministère sortait une circulaire reprenant à son compte l’idée de Lesage :

"1. Il importe actuellement de ne laisser aucune main-d’œuvre inutilisée et de s’efforcer de récupérer parmi les internés des deux sexes ceux utilisables. Le ministère de l’Intérieur recevra donc favorablement les propositions du Service social des étrangers relatives à l’utilisation après rééducation des inaptes réduits mais susceptibles de fournir par équipes encadrées un travail déterminé.

2. Le ministère de l’Intérieur insiste particulièrement sur l’intérêt qu’il y aurait à libérer du camp de Gurs les vieillards et les inaptes complets, aussitôt que le SSE pourra les absorber."

… »

La logique d’exclusion était également bien présente et se faisait entendre haut et fort :

page 386 : « Dès l’été 1941, on distingua des groupes « d’aryens » et de « non aryens ». Surtout, le 9 décembre 1941, Darlan annonçait sa décision d’assigner à résidence ou d’encadrer tous les Juifs étrangers arrivés en France après le 1er janvier 1936 :

« Pour les Juifs résidant sur l’ensemble du territoire et entrés en France depuis le 1er janvier 1936 : incorporation dans les compagnies de travail de ceux qui se trouvent sans ressources. Groupement dans des centres surveillés des Juifs disposant de moyens d’existence ».

L’opération devait être terminée le 1er mars. Les travailleurs juifs, étrangers et sans ressources devaient constituer des groupes homogènes, dits « groupes palestiniens ». On mesure la rupture qu’instituait cette mesure : il n’y avait plus possibilité mais obligation ; on faisait intervenir le critère racial dans une logique résolue d’exclusion ».

Cependant, les Espagnols, ainsi que les Allemands et les Autrichiens constituèrent la majorité des effectifs (à ceci près que l’on pouvait fort bien être à la fois Allemand – ou Autrichien – et Juif …), lesquels furent éminemment fluctuants (« Au total … sans doute pour la seule zone Sud métropolitaine … entre plus de 35 000 et près de 50 000 » :

page 387 : « L’évolution des effectifs, telle que nous l’avons reconstituée à partir d’un document officiel, enregistre également les nombreuses ponctions de l’organisation Todt et des bureaux de recrutements pour l’Allemagne ; elles expliquent la baisse des effectifs à partir du pic de février-mars 1941 ; elles se combinent aux déportations pour infléchir à nouveau la courbe à la fin du mois d’août 1942. Selon la même source, la commission Todt et les bureaux de recrutement auraient ponctionné 14 335 personnes entre juin 1941 et février 1942. Pour une part ils furent volontaires ; comme les premiers résultats furent jugés insuffisants, ils furent, pour leur majorité, désignés par les chefs de groupements».

L’utilisation première de la main-d’œuvre fut autarcique, dans les camps eux-mêmes (le serpent qui se mord la queue !), avec deux rationnels principaux dont la priorité dépendait pour une large partie des convictions du chef de camp et des dures réalités en ces temps de pénurie : le plan idéologique et le plan pratique.

Pour preuve du premier, il suffira sans doute de rappeler à ceux qui l’ont oublié (et d’apprendre à ceux qui ne l’ont jamais su) que pour l’État Français, « Travail, Famille, Patrie » avait remplacé le « Liberté, Égalité, Fraternité » républicain !

page 173 (à propos du camp de Sisteron, installé dans un fort Vauban) : « L’espace imparti à l’intérieur des remparts interdisait donc ce qui devait être la règle pour le bon fonctionnement d’un camp, à savoir le travail des internés [NdR : souligné par moi] ».

page 281 : « … la solution était toute trouvée qui allait justifier le camp. Rien ne servait en effet de lutter contre l’occupation qui n’était qu’un symptôme de crise et non sa cause profonde ; il fallait régénérer la société de l’intérieur, lui redonner force et vigueur par épuration et rassemblement ; rassemblement des éléments purs autour des valeurs du travail, de la famille, de la patrie, de l’ordre, de la piété agglomérées en un discours traditionaliste ; épuration des éléments impurs, ces Juifs, communistes, étrangers et francs-maçons responsables de la défaite qui, s’ils n’étaient exclus du corps social, allaient reprendre leur labeur mortifère ».

page 360 : « Le 18 septembre 1941 un arrêté ministériel prévoyait qu’un haut fonctionnaire de l’administration préfectorale ou de l’administration centrale du ministère de l’Intérieur fût désigné comme Inspecteur général des camps et centres d’internement. Il avait pour mission

« d’exercer une surveillance permanente et effective par des inspections sur place et par le dépouillement des rapports dressés par des fonctionnaires responsables sur le fonctionnement des camps, centres d’internement et groupements chargés de l’hébergement et de l’assistance des étrangers ; de proposer au SGP toutes mesures susceptibles d’assurer une meilleure gestion de ces formations, d’y organiser le travail {NdR : souligné par moi] et de sauvegarder la santé physique et morale du personnel de surveillance et des internés ou hébergés ; de rechercher les emplacements susceptibles de convenir à la création de nouveaux camps, centres d’internement ou centres d’hébergement, surveiller leur aménagement ; de dégager les principes à suivre en matière de politique d’hébergement ou d’internement ».

… »

pages 509-510 : « Avant d’être confronté à l’affaire des otages, le sous-préfet Bernard Lecornu, qui suivait pour le préfet de Loire-Inférieure le camp de Châteaubriant, écrivait une longue note au capitaine Leclercq, le 9 mai 1941, peu avant l’arrivée d’importants contingents de militants communistes. On y retrouve la recommandation majeure sur le
« rôle social et moral » du chef de camp. Face aux communistes, il plaidait pour une ferme bienveillance afin de gagner leur confiance :
« Il vous sera peut-être possible par la suite de leur faire comprendre les principes de l’ordre nouveau institué par le gouvernement du maréchal Pétain ». Mais l’essentiel de son propos tenait dans les dangers immédiats qu’il fallait prévenir :

« La concentration d’individus qui, malgré les décisions prises, ont continué à exercer une activité condamnée peut avoir pour résultats immédiats :

de renforcer les mystiques qui les animent en permettant des discussions et des échanges de vue, d’où la nécessité de faire travailler les internés {NdR : souligné par moi] et de les occuper le plus possible ;

de favoriser le recrutement de nouveaux adeptes. Veillez donc très attentivement à ce que les politiques ne puissent pas communiquer et encore moins se mêler aux autres internés pour quelque raison que ce soit (cuisines, réfectoires spéciaux, chantiers distincts) ;

de permettre la formation de cadres par l’action des plus instruits et des plus militants sur les autres qu’ils essaieront vraisemblablement de former comme chefs éventuels. Vous vous efforcerez de contrebalancer par une action personnelle des manœuvres de ce genre en démontrant que pratiquement une intervention des membres du parti dissous est sans effet et par contre l’intervention des représentants du Gouvernement est fructueuse et bienfaisante.

Vous serez ainsi amené à vous adresser de préférence aux tièdes pour servir d’agents de liaison […]

de doter le parti condamné de martyrs dont l’autorité et l’influence se trouvent renforcés par les souffrances (?) qu’ils ont endurées pour la cause ;

d’aigrir les internés et de substituer à leur doctrine actuelle, qui peut encore être surveillée et contrôlée voire même contrebalancée, une haine de la société qui les inciterait à passer à l’action directe au cours de leur internement et surtout à leur libération.

L’application stricte, sans brutalité inutile, des instructions ministérielles du 29 décembre 1940, vous permettra d’éviter ces écueils dont vous comprenez certainement toute la gravité.

[…] Le but : immédiatement prévenir une évolution des mentalités vers le pire, puis s’attacher à les redresser et à faire rentrer les internés dans la morale normale, enfin et si possible arriver à faire des internés des hommes utiles à la collectivité. »

… »

page 520 : « Si l’on en croit une note des RG qui se faisait l’écho de renseignements recueillis au camp [NdR : le camp du Vernet], l’un des principaux responsables libertaires du camp, I.-P., avait pour mission, au Bureau central du travail, de signaler les internés communistes qui pouvaient être proposés pour une corvée, afin d’éviter leur emploi dans des corvées extérieures »

page 716 : « La vie dans le camp était marquée d’abord par l’habitude et par l’ennui. Qu’on se tourne vers l’Inspection générale des camps ou les directeurs, les internés ou les œuvres d’entraide, la conclusion était la même : l’oisiveté constituait à la fois un ennemi majeur et un défi. L’enjeu était accessoirement économique : cela pouvait permettre de pallier tant soit peu les insuffisances du ravitaillement. Le travail avait d’abord valeur de soutien moral.

L’inspecteur général des camps, André Jean-Faure […] s’enquérait du travail des internés, ici donnant un satisfecit, là relevant les insuffisances, avec toujours à l’appui tel exemple de camp où la mise en culture de champs importants en bordure présentait le double avantage de compléter les ressources du ravitaillement et de participer à la réintégration sociale ».

Par delà l’idéologie, des considérations plus prosaïques prévalaient, qui tenaient aux contingences liées à la construction, à l’aménagement et au fonctionnement quotidien des camps, en situation de pénurie :

page 229 : « … l’utilisation de la main-d’œuvre internée pouvait prendre différentes formes, y compris le travail avec le maintien derrière le barbelés. Cela fut surtout vrai avant la déclaration de guerre. Il y avait les premières compagnies de travailleurs étrangers (CTE) mises en place par le général Ménard. Ce furent des compagnies de 250 hommes, volontaires, qui, sous la direction d’officiers et de sous-officiers français, étaient affectés à l’aménagement des camps et à l’organisation défensive des frontières. Les textes prévoyaient la création de 79 compagnies, soit quelque 20 000 hommes qui étaient effectivement ainsi encadrés quand la guerre fut déclarée. Dans les faits l’Armée avait mis un certaine nombre de ces Espagnols à la disposition d’entreprises travaillant pour la défense nationale, tandis qu’en parallèle les agriculteurs de la région avaient trouvé dans les camps une source de main-d’œuvre compétente et bon marché ».

page 411 : « c’est le 12 février suivant [NdR : 1941] que les travailleurs espagnols d’un GTE engagèrent les travaux d’aménagement [NdR : du camp de Noë, en Haute-Garonne] ».

page 717 : « À l’issue de sa visite d’inspection en Afrique du Nord, Jean-Faure raconta ainsi en mai 1942 que le centre était « une véritable ruche ». Presque tous travaillaient, répartis en trois catégories : les ouvriers confirmés travaillaient en atelier, tant au camp [NdR : la camp de Bossuet] qu’à l’extérieur et ils étaient (petitement) rémunérés ; certains ouvriers non confirmés étaient également rémunérés et se voyaient confier des emplois réguliers comme l’entretien sanitaire ou les corvées d’eau ; enfin, on confiait à des ouvriers non confirmés et non appointés (en général les intellectuels et les mauvais esprits) les corvées du service général du camp. À l’extérieur se trouvaient trois chantiers d’abattage de bois, de carbonisation et d’extraction de pierres, tandis que les travaux pour l’amélioration du camp étaient dirigés par un ancien entrepreneur de travaux publics, alors interné. La lecture du fichier des internés [cf. chapitre 19] confirme la diversité des tâches : menuiserie, forge, scierie, ferblanterie, saboterie, tannerie, électricité, peinture, maçonnerie, coiffure, service des magasins, chantiers extérieurs, etc. Pour autant, confie André Jean-Faure, certains de ces ateliers avaient dû suspendre leurs activités faute de matières premières ».

page 718 : « On apprend en outre que la plupart des travaux nécessaires à la remise en état du camp [NdR : la camp d’Écrouves] furent accomplis par les internés eux-mêmes ; et il y avait beaucoup à faire. Il est vrai que le chef de camp était un ancien entrepreneur. Les internés terrassiers se chargèrent, quant à eux, de construire un réseau de canalisations dans tout le camp et de le relier à un château d’eau disposant d’une pompe centrifuge ; en août 1941, il n’y avait pas d’alimentation en eau potable et il fallait chercher à 400 m de là de quoi remplir tonneaux et bassines. Le même inspecteur revint en décembre 1943. Il s’y trouvait alors 250 internés (163 politiques, 29 marché-noir, 34 droits communs, 8 indésirables étrangers, 15 Juifs). La direction n’était plus la même, mais le travail des internés restait la règle. Jusqu’en juillet 1943, il y avait quatre catégories de travailleurs internés. Les 2/5e formaient les employés permanents du camp. Quelques autres étaient employés comme peintres ou maçons par des entreprises locales. Installés dans les encasernements voisins, les Allemands, très présents dans la zone réservée, demandaient régulièrement des volontaires ou imposaient des réquisitions pour l’exécution de diverses corvées, en général le ramassage et le stockage du bois, de la houille, du foin ou du blé. Pour des raisons non éclaircies, les demandes cessèrent à partir de l’été 1943. On sait en revanche pourquoi l’on suspendit les chantiers forestiers qui fonctionnèrent entre novembre 1942 et octobre 1943 au profit d’une entreprise locale et auxquels furent affectés régulièrement quelque 60 internés : du 1er juillet au 14 octobre 1943, on compta 47 évasions dues aussi bien aux négligences des escortes allemandes qu’aux complicités des gardiens français ».

Mais l’occasion fait aussi le larron. « A quelque chose malheur est bon » ne fut pas l’apanage de l’éditorialiste de la Petite Gironde le 27 avril 1939 (voir cinquième volet de la série) ; nombre d’acteurs économiques locaux le reprirent à leur compte

page 190 : « Il ne peut être sans conséquence, exemple parmi d’autres, que s’installât en quelques semaines à proximité de Gurs l’équivalent de la troisième ville du département des Basses-Pyrénées. Cela impliquait d’importantes dépenses de l’État, mais également l’organisation complexe du ravitaillement, l’association de nombreuses entreprises locales et régionales et l’utilisation de la main-d’œuvre internée dans le camp et à l’extérieur ».

page 230 : « Mais des agriculteurs et des industriels venaient recruter. Les contrats étaient renouvelables par trimestre. S’ils étaient individuels, ils étaient gérés par l’Office départemental de placement qui devait, en théorie, s’enquérir de la qualité du demandeur et informer le préfet du département d’accueil. S’ils étaient collectifs les contrats étaient soumis à la seule approbation du chef de camp.

Le 25 avril 1940, à trois semaines de l’offensive allemande, le 1er Bureau de l’état-major dressait un bilan : sur les 104 000 « ex-miliciens espagnols » réfugiés en France, tous avaient été astreints aux prestations, dont 55 000 en compagnies de travailleurs, 40 000 directement placés dans l’industrie et l’agriculture … ».

page 231 : « Mais, très vite, les GTE constituèrent une force de travail utilisée en zone Sud pour l’agriculture, l’industrie, la voirie ou l’exploitation forestière, tandis que les Allemands comprirent tout de suite l’intérêt qu’ils pouvaient en tirer ; les ponctions se multiplièrent. Sur les quelque 39 000 étrangers répertoriés dans les GTE en 1941 (zone non occupée), 15 700 étaient employés à des travaux agricoles, 7 500 au bûcheronnage et à la carbonisation, 2 200 sur les barrages, autant par les industries chimiques, 1 400 dans les mines, 1 800 pour les travaux urgents (ainsi en cas de sinistre). Ponctionnés par l’organisation Todt, beaucoup furent affectés aux chantiers de l’Atlantique. Les chiffres établis par l’organisation qui avait la tutelle des GTE montrent que le chiffre de 40 000 aurait été atteint dès le 1er novembre 1940. Il laisse également supposer que les importantes ponctions de l’organisation Todt puis, dans une moindre mesure, les déportations de l’été 1942 furent régulièrement compensés par de nouvelles arrivées en provenance, pour une part, des camps ».

parfois, en prenant des arrangements avec le Ciel :

page 80 : « On trouva finalement une solution plus efficace, mais dont la régularité administrative laissait à désirer : en échange d’une main-d’œuvre étrangère prêtée gracieusement et d’une petite quantité de charbon, un commerçant local, fournisseur du camp [NdR : le camp de Meslay], accepta de prêter ses véhicules. Manifestement, chacun se montra satisfait de la transaction ».

mais le plus souvent avec des conséquences positives :

page 824 : « Ainsi, l’impact économique d’un camp et de ses internés sur la vie d’une région (entreprises associées, comme on l’a vu pour Le Vernet, travail des internés dans les fermes quand il était autorisé, etc.) joua plutôt en faveur des internés ».

On en a déjà eu quelques échantillons : l’occupant ne fut pas le dernier à tirer les marrons du feu, mais plus tardivement, cependant, à partir de 1943, avec la collaboration empressée des autorités pétainistes :

page 584-585 : « De fait, s’il n’est pas toujours aisé de repérer une stratégie unique dans ce système polycratique si caractéristique du régime nazi, on peut repérer des dominantes. Dans la période que couvre ce chapitre, d’avril 1942 à la Libération, l’exploitation de la main-d’œuvre l’emporta largement sur tout autre objectif, sachant, s’entend, que cette exploitation devait permettre à la machine de guerre allemande de fonctionner au mieux.

Laval avait marqué son retour au pouvoir en organisant la livraison de la main-d’œuvre à la machine de guerre allemande. Cette livraison prit des formes diverses ; « relève » dans un premier temps, elle était fondée sur le volontariat et devait compenser le retour de prisonniers de guerre ; une loi du 4 septembre 1942 permettait au gouvernement de requérir la main-d’œuvre si les circonstances l’imposaient ; le 16 février 1943 était instauré le Service du Travail Obligatoire (STO) pour certaines classes d’âges. Par ailleurs, cela consistait pour l’essentiel dans le travail en Allemagne, mais aussi, pour une part, les travailleurs étaient orientés vers les chantiers Todt des côtes françaises de l’Atlantique. Enfin, Vichy tenta de négocier la réquisition en France dans des usines travaillant pour l’Allemagne et trouva en Albert Speer un interlocuteur bienveillant au point que des accords furent signés en ce sens en novembre 1943 (les accords Speer-Bichelonne) ; mais, malgré les résultats de plus en plus médiocres des transferts en Allemagne, Fritz Sauckel, le « négrier de l’Europe », imposa la version classique, devenue peu opérante, de l’exploitation de la main-d’œuvre.

Dès 1941, l’organisation Todt mesura tout l’intérêt que constituait cette réserve de main-d’œuvre pour ses chantiers de l’Atlantique. Les groupements de travailleurs étrangers (GTE) constituèrent sa cible principale, d’autant que les hommes internés aptes au travail y furent massivement transférés à partir du printemps 1941 ».

page 586 : « En outre, les camps constituaient un réservoir de main-d’œuvre pour les chantiers de l’Atlantique (organisation Todt) ou pour les usines en Allemagne même, via le « volontariat » puis le STO ».

page 589 : « Quelques mois plus tard, l’organisation Todt avait instrumentalisé les camps de la région pour mieux organiser les ponctions de main-d’œuvre : plusieurs dizaines d’étrangers du département de l’Ariège transitèrent ainsi par Le Vernet avant d’aboutir au camp de Noé d’où ils étaient réorientés vers les chantiers de la Todt.

Pour la 4e action Sauckel, au début de 1944, Laval et Bichelonne avaient promis 273 000 travailleurs dont 228 000 étrangers.

« La commission allemande est passée comme un aspirateur ne laissant que les inaptes réels ou imaginaires. Destination : Allemagne ou zone occupée. Il y a un certain temps ces messieurs venaient avec des brochures publicitaires assez alléchantes et des sourires encourageants. Cette fois les mitraillettes tiennent lieu de prévenances. Je crois que ça presse pour eux en ce moment »

… »

Voilà chers amis lecteurs ce que je pouvais vous offrir en partage de mes découvertes ; j’espère que vous y trouverez matière à une saine édification sur les grandeurs et les misères de l’utilisation de la force de travail concentrée dans nos si peu glorieux « camps de séjour surveillé », avec leur cortège de « visions stratégiques », mais aussi de bassesses et de cynisme.

Un prochain article traitera, en monographie, du cas particulier des camps situés en Haute-Vienne, plus particulièrement celui de Saint-Paul-d’Eyjeaux.

J’ai déjà mentionné la définition que donnait Pierre Dac de l’expérience : « un phare que l’on porte dans son dos pour éclairer le chemin déjà parcouru ». Si l’on devait élever cet aphorisme au rang de théorème, il en découlerait un corollaire : « Il suffit de pivoter d’un demi-tour sur soi-même, pour examiner ce chemin ; alors, le projecteur éclaire le présent et le chemin restant à parcourir ». Dans un autre article (dont je n’ose plus pronostiquer qu’il sera le dernier …), je me risquerai donc à évoquer le présent.

 

PS : me permettrez-vous de vous avouer, chers amis lecteurs, que le peu de réactions suscitées par les cinq articles précédents m’interpelle quelque peu ? Une toute petite douzaine de commentateurs, pour un total de plus de 1 200 visites, le compte n’y est pas !

Parce que je suis un peu provocateur (vous qui commencez à me connaître, vous savez que c’est là mon moindre défaut …), j’ai bien envie de conclure en parodiant Pagnol et sa Partie de Cartes :

« A moi, ça me fend le cœur ! Et à toi, ça ne te fait rien ? »

2 réflexions sur « Seconde guerre mondiale : Huis-clos, les mains sales … la nausée ! (6) »

  1. [b]Et si on ne prend pas garde, si la communauté internationale laisse faire, un nouvel Adolf Hitler : Mahmoud Aamadinedjad, le Président iranien, entouré de ses SS : les Bassidjis (gardiens de la Révolution), aussi antisémite que ses prédécesseurs nazis, sera, mais cette fois-ci au nom de Dieu, prêt à faire la guerre…
    Il a ses propres Centres de Rétention Administratifs (CRA), notamment la trop célèbre prison d’Evin… Seulement, là, on torture, on pend ! Il musèle l’opposition ! Il musèle les minorités religieuses iraniennes, ce, avec le soutien de ces mollahs complètement fous et dégénérés…

    Alors, je pense que cette série d’articles sur la IIè Guerre Mondiale devrait être lue avec attention !

    [/b]

  2. Avec quelque retard je souhaie apporter ma petite pierre à ce magnifique édifice que sonr ces 6 articles sur les camps en France pendant la période 1938-1945.
    Je me suis particulièrement interéssé aux activités musicales dans ces camps. Vous trouverez une partie du résultat des mes recherches sur mon site
    [url]http://claude.torres1.perso.sfr.fr/GhettosCamps/MusiqueInternementFrance.html[/url]

    Bien sûr toute nouvelle information est la bienvenue.

    De nombreuses oeuvres musicales écrites dans les camps (pas seulement en France) sont en cours de publication sur CD
    [url]http://claude.torres1.perso.sfr.fr/GhettosCamps/KZMusik/KZMusik.html[/url]

    Claude Torres

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