Après un verdict défavorable de la Cour de cassation, plus haute instance judiciaire française, qui avait jugé en 2006 que Bernard Tapie n’avait droit à aucun dédommagement dans l’affaire Adidas/Crédit lyonnais, la justice a été dessaisie au profit d’un "tribunal arbitral" qui lui a accordé une somme record, qui coûtera net à l’État entre 136 et 154 millions d’euros. Une manœuvre dénoncée par un rapport parlementaire explosif.
Dans notre billet De quoi Christine Lagarde a-t-elle la tête ?, à propos du scandale Tapie, nous écrivions : "Admettre le rôle de Sarkozy dans l’histoire laisse planer le doute sur une récompense accordée par le prince à l’homme qui lui a fait allégeance lors de la campagne présidentielle. Comment expliquer autrement que Tapie se voit gratifié, une fois ses dettes épurées, d’un bénéfice net de 40 à 50 millions d’euros ? Parce que le Crédit lyonnais a été très méchant avec lui, il mérite de vivre dans la fortune et l’opulence jusqu’à la fin de ses jours ? "Rassurez-vous, il ne me restera pas de quoi racheter le Phocéa !" a le toupet d’ironiser l’obscène personnage, dans une interview au Parisien/Aujourd’hui en France, titrée Quelle violence contre moi ! (rien que ce titre…). Le pire de cette provocation, c’est que le luxueux quatre-mats a été hypothéqué par l’affairiste en 1992 pour 95 millions de francs de l’époque, soit environ 14,5 millions d’euros : suivant ce calcul, il lui restera bien plus qu’il n’en faudrait pour le racheter !" Mais nous étions loin du compte.
Charles de Courson, député Nouveau Centre, représentant de l’Assemblée au conseil d’administration de l’Etablissement public de financement et de restructuration (EFPR) et responsable de la surveillance du Consortium de réalisation (CDR), structure chargée de la gestion du passif du Crédit Lyonnais, a été chargé par la Commission des finances de rédiger un rapport sur toute l’affaire. Celui-ci a été publié hier, en introduction de la série d’auditions de députés, et il s’avère proprement explosif.
Sur le montant qui restera dans les poches de Tapie après acquittement de ses impôts sur l’opération, nos chiffres – ceux de toute la presse – étaient faux : son bénéfice ne sera pas de 40 à 50 millions d’euros mais "entre 106 et 144 millions d’euros". "Pas de quoi racheter le Phocéa", hein ? Tapie a menti. Est-ce une surprise ?
Christine Lagarde avait prétendu que "la plus grande part de l’indemnité" retournerait aux "caisses publiques". Histoire de dire : "ne vous inquiétez pas, ça ne coûtera quasiment rien au contribuable". Qu’en est-il ? "Les sommes totales à verser par l’État représentent entre 226 et 282 millions d’euros", chiffre le rapport Courson, pour un coût net pour l’État "compris entre 136 et 154 millions d’euros".
Le plus grave, enfin : Courson affirme que le recours à l’arbitrage était d’une "légalité très douteuse". L’article 2060 du code civil interdit en effet le recours à cette procédure "sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics". Le président du CDR, Jean-François Rocchi, le conteste : selon lui, le CDR, "société anonyme régie par le droit commercial", a "tout à fait le droit de recourir à l’arbitrage", même si l’EFPR, établissement public, lui ne le peut pas. Oh le joli tour de passe-passe ! Mais dites-nous, Monsieur Rocchi, d’où provient la somme des 136 à 154 millions d’euros, coût net de l’opération ? Des caisses de l’État. La contestation intéresse donc bien une collectivité publique, et même la première d’entre elles. Selon l’article 2060 du code civil, l’arbitrage est donc en l’espèce, non pas d’une "légalité très douteuse" – Courson est magnanime -, mais carrément illégal !
Et maintenant ? Selon Courson, le seul recours encore "possible" l’est désormais devant la cour d’appel de Paris "par des contribuables en leur nom propre ou par une association de contribuables". En attendant, Rocchi a annoncé que 197 millions d’euros, soit le jugement d’arbitrage moins les créances détenues par le CDR, vont être versés à Tapie à la date de… demain ! C’est bien ce que François Bayrou, président du Modem, qualifie d’une "spoliation de l’État et du contribuable". Le député socialiste Jérôme Cahuzac suggère pour sa part un recours devant le Conseil d’Etat pour "excès de pouvoir" contre la ministre de l’Economie Christine Lagarde. Chiche ?
Pour mémoire, toute l’affaire sur Plume de presse : Bienvenue en monarchie bananière (19 juillet 2008) ; Taisez-vous, Bernard Tapie ! (27 juillet 2008) ; De quoi Christine Lagarde a-t-elle la tête ? (29 juillet 2008).
C’est la république des copains et des coquins…
????????
Et oui Monsieur Bonnet, juste réflexion…