C’est clair, selon les instituts de sondage, l’impopularité de Nicolas Sarkozy se situerait, en janvier 2011, entre 61 % et 70 % d’opinions négatives. Oui, mais dans les consultations en ligne, on trouverait plutôt 74 % à 75 % d’insatisfaites et de mécontents. Tentatives d’explication…
J’avais déjà, ailleurs, voici peu, fait état de la dernière consultation d’Expression publique au sujet de Nicolas Sarkozy. Je rapportais des résultats issus de la participation de quelque 4 500 répondantes et répondants. La barre des 5 000 a été franchie et j’ai plutôt l’impression que le nombre des insatisfaits fléchit (ce 31 janvier, à 73 %). Serait-ce, comme me le signale par ailleurs un blogueur qui décèle des partisans de l’UMP usurpant des identités (des avatars et pseudos), le fait d’une mobilisation spontanée, voire de la participation de gens rétribués pour limiter les dégâts ? On en peut l’exclure, mais comment estimer l’incidence d’un tel phénomène ?
La grande différence entre les sondages des instituts et les consultations des organismes sollicitant des avis ou des opinion en ligne, c’est que les premiers tentent (ou font semblant de tenter) d’obtenir un reflet pas trop biaisé de l’ensemble de la population adulte (ou d’âge électoral), tandis que les second prennent le tout venant.
Mais ce qui sûr, c’est que les évolutions constatées par les uns comme par les autres sont relativement cohérentes. On ne voit guère un sondage contredire très fortement la tendance se dégageant de ces consultations et inversement.
L’une des dernières consultations en date, frôlant les 4 300 répondants vers minuit le 30 janvier, donne 76 % de gens pas du tout contents du mandat de Nicolas Sarkozy. C’est assez intéressant parce que le choix des réponses, limité à trois, peut inciter à amplifier ce qui semble moins évident du côté d’Expression publique (beaucoup de questions, un bien plus large choix, avec une vraie gamme de nuances). C’est satisfait entièrement, en partie, ou pas du tout. Dans un sondage ou une consultation, tous les mots pèsent. Le problème, c’est qu’on peut très difficilement prendre le même échantillon ou retrouver le même panel, si ce n’est, déjà, à des intervalles suffisants, pour estimer les variations induites par les formulations. Tant bien même aurait-on les mêmes interrogés qu’ils ne se déjugeraient pas vraiment si on leur reformulait immédiatement les questions. Selon l’intervalle entre deux sondages ou consultations, on pourrait estimer que les opinions ont de toute façon évolué.
Un autre facteur entre en ligne de compte, celui de la représentativité. La plupart des sondages s’effectuent auprès de personnes disposant d’un téléphone fixe, pour des raisons de coût et autres, et cela induit un biais. Nombre de jeunes gens ayant décohabité ne disposent plus d’un téléphone fixe. Par ailleurs, si même le quatrième âge s’est mis à l’Internet, les sondeurs ont tendance à mieux prendre en compte les personnes âgées que les organismes de consultation en ligne. Cela étant, le jeune quasiment SDF ou squatteur se moque bien, généralement, de prendre le temps de répondre à de tels questionnaires.
De toute façon, on ne peut comparer chou pour chou. Comme l’indique le site Sondages en France, « les chiffres des différents baromètres correspondent à des questions différentes, et ne peuvent donc pas être comparés les uns avec les autres. ». C’est sans doute ce qui explique les étonnants résultats des sondage BVA du 15 janvier dernier et du CSA du 5, donnant un regain de satisfaction à l’égard de Nicolas Sarkozy (plus 7%). Tous les autres, pour le mois, sont à peu près stables avec entre 62 et 70 % de mécontents. En fait, ce sondage BVA porte sur les intentions de vote en 2012.
Il y a en revanche une forte disparité entre l’opinion que se font les répondants d’Expression publique sur Carla Bruni et celle que se seraient formée les sondés de l’Ifop (pour France Soir). Selon l’Ifop, entre juin 2008 et la mi-janvier 2011, Carla Bruni auraient gagné deux points de popularité (à 66 % de satisfait-e-s). Pour Expression publique, il n’y a que 22 % de personnes éprouvant assez ou beaucoup de sympathie pour elle. Mais 35% estiment qu’elle remplit bien son rôle d’épouse de président de la République. On le voit, cela donne une sorte d’éclairage quelque peu différent des résultats du sondage Ifop. De quoi, en fait, les sondés Ifop étaient-ils réellement satisfaits ?
N’empêche, là où il y a concordance, c’est dans le rejet majoritaire de Nicolas Sarkozy. Le commentaire officiel de BVA sur son dernier sondage sur les intentions de vote est le suivant : « Le détail sociologique de ces intentions de vote de premier tour témoigne d’une France terriblement clivée : la France qui se lève tôt c’est-à-dire tous les Français en âge de travailler, et tout particulièrement les catégories populaires, mais aussi les classes moyennes (Français aux revenus moyens-supérieurs) rejettent totalement Nicolas Sarkozy et se répartissent essentiellement entre Martine Aubry (ou DSK) et Marine le Pen. ». Ce n’est sans doute pas totalement faux au jour d’aujourd’hui, mais en 2012, cela pourrait être fort différent. On peut se demander d’ailleurs ce qu’impliquerait l’attitude de Carla Bruni car, si elle mouillait trop peu sa chemise pour son mari, cela pourrait encore l’affaiblir, et si elle la mouillait vraiment trop (genre concours de t-shirts moulants), cela pourrait avoir des effets contraires, notamment dans l’électorat âgé et catho-traditionnel, mais aussi chez d’autres. Une élection serrée se joue parfois sur des détails (par exemple, le montant des cachets accordés aux Bleus de diverses disciplines pour poser aux côtés d’un président la jouant popu). Pour parodier Woody Allen, on pourrait estimer qu’être populaire vaut mieux que l’inverse, notamment pour des raisons électorales, mais il faut aussi s’entendre sur ce que l’on entend par popularité. Ce n’est pas forcément la sympathie. Mitterrand était antipathique pour nombre de ses électrices et électeurs et Pompidou paraissait sympathique à maints qui n’ont pas voté pour lui. Chirac est à présent plus populaire parce que paraissant moins antipathique, et surtout hors course (le voilà s’inventant peut-être un Alzheimer pour repousser la date de son procès).
Ce qui semble distinguer les sondages et les consultations en ligne, c’est que les secondes touchent davantage non pas celles et ceux qui se lèvent tôt (ce qui est rarement le cas des permanenciers de nuit, par exemple), mais en général une population active (ou au chômage), et moins de retraités. Ce qui semble aussi à peu près évident, c’est que Sarkozy bénéficie d’un capital quasiment incompressible d’environ un quart des 18 ans et plus. Cela étant, la composition de ce quart peut fluctuer (avec des flux et reflux). Fin février, on verra si ses déclarations lors de sa visite annoncée en Turquie, pays toujours candidat à l’entrée dans l’Union européenne, auront ou non des répercutions sur ce noyau dur (selon qu’il sera jugé trop mou ou trop dur ou trop versatile, certains de ses partisans lorgnant le marché et la main d’œuvre turcs, d’autres redoutant un pays musulman, pour ne citer que deux cas de figure).
Le plutôt populaire ambassadeur d’Arménie en Suisse, le chanteur Charles Aznavour, s’est dit prêt à mobiliser la communauté arménienne de France contre Sarkozy (à propos de la question du génocide) ; certes, cela ne pèse pas très, très lourd, mais l’opinion se forme en fonction d’une multiplicité de tels éléments. La presse peut aussi jouer un rôle, par exemple en évoquant trop ou trop peu l’Union pour la Méditerranée, l’un des échecs annoncés et même présupposés de Nicolas Sarkozy, mais qui peut tourner au demi-succès médiatique en fonction d’événements peu prévisibles. Ou accentuer une désaffection générale.
Dans un éditorial intitulé « "Oui, j’ai changé", chante Sarkozy à chaque scrutin », Francis Brochet, du Progrès de Lyon, prévoit une déroute de la droite aux cantonales de ce printemps, et la même rengaine qu’aux municipales de la part du chef de la majorité parlementaire. Or, ce qui peut encore écorner la popularité de Sarkozy, c’est par exemple un sentiment d’insécurité alimenté par le traitement médiatique de quelques faits divers et soit le silence, soit de nouvelles gesticulations présidentielles. Après avoir déclaré maintes fois la guerre totale aux voyous, Sarkozy ne peut plus promettre une guerre nucléaire contre l’insécurité. Par ailleurs, son agenda en politique étrangère, fort chargé, risque de l’inciter à multiplier de grandes déclarations d’intention dont on sait par avance qu’elles ne seront suivies d’aucun effet. Quelques commentaires en ce sens dans la presse internationale un peu trop répercutés dans la blogosphère peuvent entraîner la perte d’un demi, voire d’un point supplémentaire.
Cette érosion dans les sondages ou les consultations risque-t-elle d’être plus ou moins accentuée si, comme il en est question, une proposition de loi sénatoriale vienne perturber les pratiques des sondeurs ? Hugues Portelli (UMP) et Jean-Pierre Sueur (PS) ont élaboré un rapport « Sondages et démocratie : pour une législation plus respectueuse de la sincérité du débat politique ».
Proposition de loi ne veut pas dire loi et encore moins décret d’application publié (si on s’est pressé de légaliser les paris en ligne, pour des tas d’autres loi, rien ne presse, et on finira par les oublier). Ce rapport relève en tout cas la taille réduite des échantillons employés en ayant recours à la méthode des quotas. C’est souvent, à présent, des échantillons 200 personnes (rare), à moins de mille (général). Cela conduit à « isoler (…) des sous-échantillons portant, pour certains, sur quelques dizaines de personnes seulement, » relèvent les deux rapporteurs. La consultation par Internet est supposée gonfler les réponses dites extrêmes (les très mécontents et les très satisfaits). Hugues Portelli a ainsi déclaré que la marge d’erreur dans les sondages par quotas n’était pas estimée calculable par tous instituts de sondage. Pour Jean-Pierre Sueur, c’est un mensonge. Sa déclaration comporte cette phrase insolite : « comprenez bien que nous ne demandons pas que de telles informations (ndlr. sur la tambouille des méthodes) soient publiées dans le journal : plus personne ne commanderait de sondage… ». Il précisait qu’avec un échantillon de 600 personnes, les résultats peuvent varier, s’il s’agit de se prononcer pour deux candidats à des élections, de six points. Cela tombe à quatre avec un millier de sondés.
Selon les rapporteurs, de plus, lors de la dernière présidentielle, un électeur sur sept ne se serait déterminé que très tardivement (moins d’une semaine avant le vote), voire juste au moment de passer dans l’isoloir. En fait, pour répondre à la question de l’accentuation ou non de l’impopularité de Nicolas Sarkozy en raison d’une autre déontologie des enquêtes et sondages, il y a un hic. On ne sait pas trop estimer le grégarisme des répondants (enquêtes, consultations) et des sondés, qui s’influencent les uns et les autres. Je veux bien que les consultations d’Expression publique, aux méthodes plutôt sérieuses, et ne faisant miroiter aucun avantage, soient plus fiables que d’autres, dont les répondants peuvent espérer des réductions d’achat ou une participation à un tirage au sort doté de lots. Mais je ne suis pas sûr que leur publication (ou leur libre accès) fasse basculer des sondés dans le camp majoritaire ou, au contraire, les incite à rejoindre l’extrême opposé, par réaction partisane.
Mais on peut comprendre la réaction de J.-C. Cambadélis (PS) qui a estimé que le sondage CSA donnant DSK à 64 % face à Sarkozy au second tour donnait dans le surréalisme et plaçait DSK « invraisemblablement trop haut ». Ce sondage CSA portait sur 847 personne, le précédent de l’Ifop sur 830, mais en fait, pour le CSA, compte tenu d’un nombre d’abstentionnistes qui pourrait atteindre plus d’un électeur sur deux (48 %, mais la marge d’erreur étant d’environ 6 points…), celles et ceux qui ont répondu à la question sur un duel DSK-Sarko au second tour étaient bien moindre, et la marge d’erreur passait à 8 points (dans un sens, cela impliquerait que DSK battrait Sarko encore plus à plates coutures, dans un autre, cela donnerait 44 % d’intentions de vote à Sarkozy). Cela peut donner l’impression que les milieux d’affaires et la presse qu’ils contrôlent veulent imposer DSK en tant que candidat du PS, ce qui peut avoir des effets pervers. Cela peut aussi susciter l’abstention (si DSK vous est antipathique et que vous êtes sûr que Sarko, qui vous déplait encore davantage, sera sorti…) ou son contraire (pour sauver le soldat Sarko, l’ISF, ou la carrière de Carla Bruni…).
L’Observatoire des sondages, qui se veut scientifique et impartial, a considéré qu’avec son sondage sur la primaire socialiste, l’Ifop avait joué les apprentis sorciers. L’échantillon retenu était 1052 personnes qui se seraient déclarés « sympathisants de gauche » mais qui, à 58 %, n’iraient pas voter lors d’une primaire socialiste. On peut même supposer que l’Ifop aurait débusqué des sympathisants du PS qui ne seraient pas de gauche. Le même observatoire réserve une volée de bois vert à Harris Interactive et Marianne qui ont publié que Sarkozy obtiendrait 26 % des voix au premier tour (Harris Poll online distribuant des bons de remise et proposant des loteries s’était fondé sur des répondants et non point des sondés).
Ce qui semble sûr, c’est que si les consultations et enquêtes permettent aux adeptes du sarko bashing de se défouler, mais aussi aux UMP ou stipendiés de contre-attaquer en tentant de répondre en masse, l’érosion de la popularité de Nicolas Sarkozy n’est absolument pas un fantasme. La bulle DSK peut, quant à elle, se dégonfler, tel un Zeppelin. Et une bulle centriste s’arrondir. Comme la frontiste. En fait, on ne peut même pas prévoir réellement si Sarkozy figurera au second tour (des sondeurs assurent le contraire, certains ne l’excluent pas forcément). Mais je ne mettrais ma main au feu pour rien au monde à ce stade, et sait-on jamais, une bonne mise en scène (rapellez-vous Sarkozy, simple maire de Neuilly, et le surnommé Human Bomb dans la maternelle, en 1993 : une caméra était là pour qu’on voit Sarkozy sortir avec un enfant dans les bras) peut retourner une opinion souvent versatile.
Il y a pourtant des sondages et consultations sérieuses, avec souvent un volet dit non directif, impliquant parfois de longs entretiens, et une sélection rigoureuse de l’échantillon. Mais les sondages électoraux publiés par la presse ne sont souvent que du spectacle. En revanche, ils donnent une image, certes déformée, certes floue, de tendances de l’opinion.