Le palmarès de l’enfant terrible du football camerounais s’est enrichi d’une troisième Ligue des champions européenne samedi, couronnant une nouvelle saison glorieuse.

Clin d’œil de l’histoire : c’est au stade Santiago Bernabeu, là où l’aventure professionnelle commença pour lui en 1997 avec le Real de Madrid, que Samuel Eto’o a écrit une nouvelle page de sa riche histoire de footballeur samedi 22 mai 2010, avec cette finale de la Champions League remportée par son nouveau club Inter de Milan devant le Bayern de Munich (2-0). C’est la troisième fois en quatre ans que l’enfant qui a grandi entre Mvog-Ada et New-Bell gagne le plus prestigieux des trophées dans les compétitions de clubs, après les succès de 2006 et 2009 avec le Fc Barcelone. Lors des deux triomphes sous les couleurs du Barça (2-1 contre Arsenal en 2006 et 2-0 contre Manchester United en 2009), Eto’o avait à chaque fois inscrit un but en finale.

Ce ne fut pas le cas samedi dernier devant le Bayern de Munich ! Mais s’il n’a pas inscrit de but dans cette finale 2010 où le grand tacticien José Mourinho l’a fait jouer en milieu de couloir droit, il a par contre marqué l’histoire de la Champions League, en devenant l’un des quatre footballeurs à l’emporter deux années consécutives dans deux clubs différents : Paulo Sousa (1996 avec Juventus et 1997 avec Dortmund), Marcel Desailly (1993 avec Marseille et 1994 avec Milan Ac), Gérard Piqué (2008 avec Manchester United et 2009 avec Barcelone) et Samuel Eto’o (2009 avec Barcelone et 2010 avec Inter Milan).

Ce garçon de 29 ans est du reste un habitué des records dans sa discipline. Il vient ainsi, en même temps, d’aligner deux triplés historiques (championnat national, coupe nationale et Ligue des champions) deux années de suite dans deux grands clubs de deux des plus grands championnats en Europe : en 2009 avec Fc Barcelone en Espagne et en 2010 avec Inter de Milan en Italie. Qui dit mieux ? Personne, car c’est le seul footballeur au monde à l’avoir fait ! A cette allure, et sauf une nouvelle grosse surprise et peut-être une Coupe du monde ratée en Afrique du Sud, on le voit déjà truster au bout de cette année flamboyante le record du nombre de Ballon d’or africain, puisqu’il a déjà égalé à ce jour celui détenu par le Ghanéen Abedi Pelé (trois, en 2003, 2004 et 2005). Il avait déjà effacé des tablettes le vieux record du nombre de buts marqués en Coupe d’Afrique des nations de l’Ivoirien Laurent Pokou (14 buts), au terme de la Can 2008 disputée au Ghana ; record consolidé pendant la récente Can angolaise au bout de laquelle Samuel Eto’o a porté à 18 son total de buts marqués à la Can. Et comme on a pu le voir samedi dernier au stade Santiago Bernabeu, il a encore des jambes pour courir pendant quelques saisons au haut niveau encore et donc pour continuer à écrire l’histoire.

Un cœur de Lion
L’histoire du footballeur Samuel Eto’o, comme celle de la plupart de ses compères nés en Afrique noire, commence dans la rue. Dans la cour de recréation de l’école publique de Nkolndongo et au quartier Mvog-Ada à Yaoundé. "Quand papa perd son boulot, la famille se retrouve à Douala, à New-Bell. La vie était dure, mais j’ai passé une belle enfance, parce que mes parents pouvaient m’offrir un vélo et un ballon", se souvient-il aujourd’hui. Le ballon, cette boule de cuir remplie d’air, est depuis longtemps comme le souffle de sa vie. S’il suit une scolarité normale jusqu’en classe de 4ème, au lycée Mongo Joseph de New-Bell puis au lycée bilingue de Bonabéri, il suit surtout sa destinée d’enfant de la balle. Il est repéré dans les championnats de jeunes des vacances pour être intégré à l’Ecole de football des Brasseries du Cameroun. Son initiation n’est pas encore achevée qu’il est déjà prêt pour la compétition, puisque, après avoir pris part avec les minimes de l’Efbc au Tournoi d’Avignon, il reste en France chez sa tante pour chercher un club, que lui promettent de prétendus managers. "Au bout de six mois, sans papiers et sans jouer au football, j’ai décidé de retourner au Cameroun", explique Samuel Eto’o. A son retour, il fait la connaissance de Michel Kaham, directeur de la Kadji Sport Academy (Ksa), laquelle possède un club en D2, Ucb. Les responsables des centres de formation du Havre (club partenaire de Ksa) et de Cannes en France doivent se mordre les doigts aujourd’hui de n’avoir pas eu le flair de retenir cette pépite qui leur était proposée par Ksa. A 15 ans, déçu au bout de deux semaines d’essais non concluants, Eto’o retourne à nouveau au Cameroun…

Et puis, tout s’accélère alors pour le premier des garçons de Christine et David Eto’o. Convoqué à l’équipe nationale des cadets, il fait un match époustouflant à Abidjan contre la Côte d’Ivoire, malgré la défaite des Lionceaux (4-2). "J’ai marqué un but dès la 11ème seconde. Un superviseur du Real Madrid était dans les tribunes et m’a approché à la fin du match. Je me dis que c’est un contact comme un autre. Nous rentrons au Cameroun mardi et mercredi, Gilbert Kadji me dit que je dois prendre l’avion pour aller à Madrid", s’exclame encore Samuel, qui ne comprend pas ce qui lui arrive, cette accélération du cours de sa vie. Mais il ne se pose pas de question, et entre seul dans l’avion, en culotte. Il rate la première correspondance à Paris et arrive donc à l’aéroport de Madrid quand le guide qui était venu l’attendre est déjà reparti.

Eto’o raconte : "En plein hiver, ne connaissant pas un traître mot de l’espagnol, je suis perdu, ne sachant trop quoi faire. Je n’ai qu’une poignée de francs Cfa en poche que je cherche à changer. C’est là qu’un Noir me remarque et s’approche de moi. Il propose de m’accompagner en bus au siège du Real. On m’amène dans un hôtel de luxe. Je comprends à cet instant que mon rêve est en train de devenir réalité. Le lendemain, à la première séance d’entraînement, je suis saisi d’émotion en voyant de près ces vedettes dont les posters ornaient ma chambre à Douala : Suker, Mijatovic, Seedorf. Deux joueurs arrivent en Ferrari…" C’est le coach Fabio Capello qui le fait sortir de son émerveillement. A la fin de l’entraînement, il lui dit qu’il rappelle un certain George Weah qu’il a eu au Milan Ac, et le fait signer immédiatement au grand et mythique Real de Madrid.

Médaille d’or olympique
La suite de la légende Eto’o est plus ou moins connue du grand public. Sur les conseils de Ferdinand Makota de passage en Espagne, Claude Le Roy le convoque en stage de l’équipe nationale préparatoire à la Coupe du monde 1998, à Palerme en Italie. Lors du dernier match préparatoire, il l’aligne à l’attaque avec Omam-Biyik. "J’étais déjà heureux de jouer à côté de ce grand aîné que je ne voyais qu’à la télé. Je marque un beau but, et le coach me dit que je suis le premier nom sur sa liste de France 98", témoigne encore Samuel Eto’o, qui va alors disputer sa première Coupe du monde à 17 ans. Puis, c’est le transfert à Majorque où, au bout de cinq saisons, il devient une valeur sûre de la Liga espagnole, avec la particularité d’être la terreur des grands clubs du championnat, qui cherchent donc à l’enrôler. C’est le Fc Barcelone qui remporte le morceau en 2004, à 24 millions d’euros, alors que Eto’o était sur le point de signer à Arsenal. Aujourd’hui, deux Coupes d’Afrique et une médaille d’or olympique en sélection ainsi que trois titres de champion d’Europe en club plus loin, il reconnaît : "C’est le Barça qui m’a fait devenir grand, mais c’est ce sont les Majorquins qui ont cru en moi, surtout le coach Luis Aragones".

Ce chef de famille qui vit dans un quartier chic de Milan avec sa compagne ivoirienne et leurs quatre enfants, entouré de quelques amis d’enfance à qui il est resté très fidèle, justifie tout ce qui lui arrive par la seule volonté de Dieu : "Je me dis que j’ai de la chance. Je ne suis peut-être pas le plus talentueux, mais mon étoile brille. Et c’est Dieu qui a décidé ainsi". Avec son caractère trempé qui lui a fait parfois avoir des accrochages avec des coéquipiers ou des hommes de médias, il a fallu pourtant qu’il y mette du sien, de la volonté, du travail et une foi énorme, pour que cette destinée singulière s’accomplisse, et inspire de nombreux chanteurs tant au Cameroun qu’à l’étranger, notamment en Côte d’Ivoire.
Après avoir gagné tout ce qu’un footballeur peut gagner en club, il ne lui reste plus que le Graal, la Coupe du monde qu’il dispute dès le 14 juin prochain avec les Lions indomptables dont il est capitaine depuis août 2009, pour entrer définitivement dans le panthéon des immortels de la balle ronde. Et pour ceux qui seraient tentés de penser que nous sommes encore dans un doux rêve, on a bien vu que chez Samuel Eto’o, le meilleur buteur de toute l’histoire des Lions indomptables (43 buts), le rêve et la réalité savent royalement se donner la passe.

Repères
10 mars 1981 : Naissance à Nkon
1997 : signe au Real Madrid
2000 : Majorque
2004 : Fc Barcelone
2009 : Inter Milan

Palmarès :
– Vainqueur des Can 2000 et 2002, et de la médaille d’or aux Jeux olympiques 2000
– Ballon d’or africain 2003, 2004 et 2005
– 3ème footballeur de l’année Fifa en 2005
– Deux coupes d’Espagne (2003 et 2009) et deux super coupes d’Espagne (2005 et 2006)
– 3 fois champion d’Espagne (2005, 2006 et 2009)
– 1 fois champion d’Italie (2010)
– Vainqueur de la Coupe d’Italie (2010)
– 92 sélections