C’est donc ce jour la Saint-Patrick, patron de l’Irlande et des ingénieurs, saint mais non martyr, désigné en décembre 1962 seulement saint protecteur de l’Irlande, du Nigéria et des ingénieurs par l’église catholique romaine. Né Maewyn Succat, ordonné évêque sous le nom de Patricius, on lui doit sans doute que l’emblème irlandais soit le trèfle, symbole de la Trinité. Mais selon des recherches universitaires, Pãdraig (Patrick) aurait été surtout un triste sire…

Il y a la légende : natif de la Grande-Bretagne (sans doute du Lake District, en Cumbrie), Maewyn était le fils d’un diacre et décurion « gallo-romain » (ici, romanisé) chargé de la collecte des taxes. La fonction n’était pas très populaire, et il était possible d’y renoncer en la cédant à son fils. Pas du tout enchanté par cette succession, Maewyn aurait pris la poudre d’escampette et lors de sa fugue, des pirates irlandais l’auraient capturé et vendu en esclave, pour devenir berger en Irlande…

On ne sait trop comment, mais selon ses dires pour répondre à la volonté du dieu chrétien, il se serait échappé pour rejoindre les côtes de la Bretagne « gauloise » et s’engager dans la prêtrise. Il entrera dans un monastère près de Cannes, au climat plus clément, puis obtient d’être nommé diacre, puis évêque à Auxerre. C’est en 432 qu’il retrouve l’Irlande. On lui devrait l’éradication des serpents de l’île (les actuels doivent donc descendre d’ancêtres de Grande-Bretagne ou du continent). Près de 30 ans plus tard, il meurt de sa belle mort, et on lui attribuera par la suite des miracles.

Marchand d’esclaves

Le fameux Patrick, selon un universitaire anglais, Roy Flechner, aurait préféré ne pas risquer de devenir décurion, agent du fisc et sergent recruteur pour l’armée, à une période ou l’empire romain vacillait en Grande-Bretagne. Il se serait donc enfui, accompagné d’une poignée d’esclaves familiaux, dont la présence est attestée dans sa famille par ses propres écrits. « Jusqu’aux débuts du Moyen-Âge, l’église possédait aussi nombre d’esclaves, » relève le Dr Flechner, spécialiste d’histoire médiévale à l’université de Cambridge. Il était même recommandé, afin d’assurer leur salut, évidemment, de s’emparer des esclaves des païens.

Roy Flechner met fortement en doute que, s’il avait été lui-même esclave, le futur saint ait pu s’échapper. Par la suite, il n’est pas contesté que le dit Patrick ait pu être tenté par la prêtrise, et doter son monastère de quelques richesses obtenues en se livrant au trafic d’esclaves.

Selon l’universitaire, le religieux aurait par la suite façonné lui-même sa légende. Le Dr Flechner publiera prochainement d’autres articles sur la cohabitation entre chrétiens et païens dans l’English Historical Review et le Journal of Ecclesiastical History. Avec sans doute quelques trouvailles bien éloignées des chromos des catéchismes.

Son article paraît dans une publication qui comprend aussi un article de Charlene M. Eska, « Marriage by Purchase in Early Irish Law ». La vie ecclésiastique n’était pas aussi rigoureuse pour toutes et tous qu’on a voulu par la suite le faire croire, et les mariages des prêtres étaient monnaie courante. Achetaient-ils aussi leurs épouses ?

Paddy’s Day (la Saint-Patrick) est surtout aujourd’hui l’occasion pour les enfants de se déguiser et pour les adultes de se livrer à des libations. Patrick est surtout à présent le patron de divers brasseurs et de marchands de souvenirs.

Mais les arguments de Flechner sont déjà réfutés par divers sites religieux qui argumentent que, par exemple, il aurait pu embarquer avec des bijoux, ou, que s’il était vraiment devenu esclave, il aurait pu fuir sans encourir, ailleurs en qu’en Irlande, une certaine liberté. « Cet article n’aurait jamais été publié s’il ne s’en prenait pas à la religion, » peut-on lire.

On ne sait trop comment et pourquoi, revenant en Irlande, Patrick se retrouva en possession d’un coquet trésor. Était-ce dû à un héritage familial, aux bénéfices amassés de ses précédents évêchés, ou d’une autre provenance ?  

L’histoire de l’église catholique abonde en hérésies et combats théologiques entre prélats se dénonçant les uns les autres pour acquérir des biens et le patronage des souverains locaux ou étrangers.  Des frères prêcheurs itinérants, prétendant connaître le nom d’anges ou se targuant de miracles, finissaient par faire de l’ombre aux évêques et y compris au pape. On s’accusait les uns et les autres d’avoir ordonné des prêtres à la légère, ou contre rétributions de toutes sortes. Les épouses des uns étaient dénoncées en tant que concubines, les maîtresses d’autres désignées légitimes épouses, selon le gré d’alliances et revirements.

On pouvait accuser par exemple un prêcheur d’avoir soutenu qu’il était licite d’épouser la veuve de son défunt frère, ce qui était la marque de l’adhésion au judaïsme. Ou qu’un autre prêchait que Jésus accordait la rémission de la damnation aux chrétiens comme aux païens, ce qui valait d’être considéré sataniste, apôtre de l’Antéchrist, &c. Les anathèmes volaient haut et bas, sur un peu tout, comme par exemple la date réelle de Pâques.

Si « saint » Patrick parvint à la canonisation, ce ne fut pas le cas d’autres évêques irlandais qui, par la suite, furent très critiqués par leurs collègues continentaux. L’abbé irlandais Columbanus († 615) qui avait commenté les psaumes, ne fut pas vraiment tenu en odeur de sainteté sur le continent, et les évêques francs lui reprochèrent de ne pas respecter le canon de Patrick. En fait, les évêques étaient motivés par la reine Brunehault (ou Brunehild) qui réussit, avec son fils Thierry de Bourgogne, à le faire expulser et il se réfugia en Neustrie.

On ne sait par exemple si Patrick avait été ou non tolérant, de facto, à l’égard de la polygamie en Irlande. Mais, bon, la dévotion des Irlandais à sa mémoire permit d’en faire un saint. Parfois, le principe vox populi, vox dei s’impose même à la papauté et la Saint-Patrick, que celui l’ayant inspiré ait été ou non marchand d’esclaves, ou qu’il ait ou non pratiqué la simonie à l’occasion, devrait perdurer. Yec’h mat, joie, Patrick, et pour le reste, oublions.
Et ne cherchons pas à savoir si le chaudron d’or, qui accompagne les leprechauns (les gnomes habillés de vert qui mènent à un plus grand trésor si on les suit jusqu’à la base d’un arc-en-ciel), évoque ou non le trésor de saint Patrick.