Ce n’est guère la première fois que la sorcellerie, la magie, sont convoquées ou invoquées lors d’élections politiques en Roumanie. Parfois, un candidat déçu met en cause les menées occultes de ses adversaires, à d’autres occasions, des opposants sollicitent les services d’agences de com’, soit pour faire savoir que les bons présages sont de leur côté, soit pour dénoncer que le clan adverse a recours à des artifices, bénéfiques ou maléfiques. Là, on ne sait trop si le président destitué, Traian Basescu, qui pourrait être ou non reconduit à son poste à l’issue du décompte du référendum, le premier août, a fait appel aux sorts de « Mama Omida », ou si son opposant, le Premier ministre Victor Ponta, lui prête abusivement cette intention.
Mama Omida, ou la mère Millepattes, diseuse de bonne aventure décryptant les lignes de la main ou le marc de café, jette aussi des sorts, procède à des incantations, &c. Le personnage était supposé très proche de la famille Ceaucescu, et la Maria Omida, décédée en 1994, se réincarne parfois, ou du moins c’est ce que prétendent à l’occasion ses diverses émules et variés successeurs.
Elle est restée si célèbre que tout charlatan ou « magicienne » de Roumanie s’y réfère, au point que ce pseudonyme est devenu un terme générique pour désigner quiconque se targue de pouvoirs occultes ou saurait prédire l’avenir.
Le président déchu a-t-il fait appel à un mage ou une sorcière pour soit remporter le référendum nettement, soit pour faire en sorte que l’abstention, que prône son parti, lui permette une victoire par défaut, le quorum n’étant pas atteint (soit la moitié plus un·e des inscrit·e·s).
En tout cas, le fait qu’il ne se départisse plus que rarement d’un polo bleu, un tricoul albastru, lui vaut d’être suspecté d’avoir invoqué de bons auspices.
Mais, après tout, le président est un ancien officier de marine, et il est de ce fait attaché à cette couleur, ce qui explique qu’il dispose de cinq de ces polos. Mais comme il affectionnait plutôt précédemment le costume et la chemise blanche, et la cravate assortie, la question lui a été très sérieusement posée par la presse…
En Roumanie, même les plus éduqué·e·s et rationnel·le·s observent quelques rites bénins de nature superstitieuse, comme par exemple, pour une femme, de ne jamais poser son sac à main au sol, fut-ce sur celui de sa demeure ou celle de proches. Ce n’est en rien propre à la Roumanie, et il reste prudent en tout pays de ne pas passer sous une échelle au risque d’une projection de peinture ou de la chute d’un objet.
On ne sait si la majorité parlementaire et gouvernementale de la coalition « sociale-libérale », l’USL, invoquera en cas de défaite au référendum des menées occultes de la part de ses adversaires. Pour le moment, elle semble avantagée par le fait qu’elle remet en cause les mesures d’austérité les plus impopulaires prises par la présidence de Basescu.
Ce dernier avait interprété à sa façon les objectifs de rigueur imposés par le FMI. Baisse d’un quart des salaires des fonctionnaires et « budgétaires », très forte hausse d’un taux uniforme de la TVA.
Du coup, le gouvernement réintroduit un taux réduit pour les denrées alimentaires de première nécessité, à 9 % (il est resté à 4 % en Espagne, alors que les autres taux ont été très sensiblement relevés). La mesure ne s’appliquerait qu’au premier janvier 2013, mais elle évidemment bien perçue.
De même le plafond permettant d’obtenir un remboursement de la TVA pourrait passer de 35 000 à 65 000 euros. Pour les véhicules utilitaires ou médicalisés, le plafond serait aussi supprimé. La mesure vise aussi à réduire l’évasion fiscale.
USL rose, PDL bleu ?
Les Roumaines et Roumains ne voient de toute façon pas l’avenir en rose. En bleu ? Ce n’est pas non plus évident…
L’opinion publique est divisée. Basescu n’est pas franchement adulé, mais les mesures autoritaires prises par le gouvernement ont fait craindre un retour à une dictature n’avouant pas son nom. Ce sont surtout les classes moyennes et supérieures qui redoutent cette éventuelle dérive, ainsi que nombre d’intellectuels qui ont mobilisé des réseaux à l’étranger et fait pression sur l’Union européenne. Le gouvernement réfute ces accusations, arguant que le président destitué en l’attente du référendum agissait de même, mais que l’état de droit est maintenu.
La seule question posée est « souhaitez-vous la démission du président ? ». Le vote (ou l’abstention) de la diaspora roumaine sera sans doute déterminant. En République moldave, lors des dernières consultations, le soutien aux libéraux avait été très fort de la part des immigrés, très nombreux, tout comme en Roumanie où nombre de salariés s’emploient à l’étranger.
La situation des personnes endettées en Roumanie est particulièrement difficile. Dès la chute du régime communiste, toutes les banques européennes ont afflué, proposant des crédits en euros, et donc remboursables en cette devise. Depuis, les taux ont grimpé, le taux de change, à peu près stable à 3,3 lei pour un euro, est devenu fortement défavorable (à 4,37, à -6 % en trois mois, et à 4,62 si on veut changer dans une banque, contre 4 en janvier 2009), et les banques rechignent à prêter à présent. D’où la tentation de recourir à des prêteurs mafieux pratiquant des taux d’usure, soit pour rembourser des crédits, soit pour financer une installation à l’étranger.
De plus, l’artisanat et l’agriculture traditionnels ont été laminés par la concurrence des supermarchés et hypermarchés (français, allemands, autrichiens…) qui proposent des produits importés ou fabriqués massivement (comme pour le bricolage, les constructions).
Il n’y a pas que les Rroms pauvres, exploités par les plus riches ou plus mafieux, à être touchés. À Bucarest, près de 90 000 personnes, dont environ 18 000 enfants, souvent abandonnés, se concentrent dans un véritable ghetto. Dans les campagnes, la misère prédomine trop souvent. La Roumanie est devenu le principal foyer européen de tuberculose (quatre morts et 55 nouveaux cas quotidiens). Les terres s’appauvrissent, car les paysans pauvres ne peuvent plus les gérer correctement, et la sécheresse actuelle va accentuer leurs pertes de revenus. La sécheresse affecte aussi fortement le tourisme fluvial.
Les remous politiques inquiètent certes la troïka (Commission européenne, FMI, Banque mondiale) mais ils découlent directement des mesures drastiques prises par la présidence, qui ont surtout frappé les plus pauvres, et soigneusement épargné les plus riches. La Roumanie emprunte désormais aux alentours de 5,5%,
Le référendum pourrait donner lieu à irrégularités. Pour contenir l’abstention, le gouvernement a repoussé la fermeture des bureaux de vote de 19 à 23 heures, mais ces heures supplémentaires ne seront pas payées aux personnels assurant le bon déroulement du scrutin.
L’opposition a demandé qu’un logiciel détectant les votes multiples soit employé et que des caméras vidéos soient installées dans les bureaux de vote. Des contestations multiples sont prévisibles.
L’hiver dernier, des manifestations importantes, souvent spontanées, avaient mobilisé la société civile dans la capitale et la plupart des grandes villes. Il n’est pas sûr que l’issue du référendum apaise les tensions, quels que soient les résultats.
Face à la précarité, une majorité de Roumaines et Roumains ne sait plus trop à quelle Mama Omida se fier…