Roumanie : l’argent sale de Roia Montan

De Timisoara (ouest) où se sont réunies dans un vent glacial plus de 2 000 personnes à l’appel de l’opposition ce samedi, à Constanţa, près de la Mer Noire, le symbole de la lutte contre le projet d’exploitation aurifère et argentifère de Roșia Montană orne les pancartes et les drapeaux. Au-delà de l’aspect écologique, c’est le coût humain et le parfum de corruption entourant le projet qui sont dénoncés. Après trois semaines de contestation continue exigeant en vain la démission du président roumain et de nouvelles élections, la société civile roumaine aura au moins obtenu que le ministère de l’Environnement revoie l’impact du projet d’exploitation minier à ciel ouvert qui générera, en 15 ans, d’énormes masses de résidus cyanurés…

Il y a l’aspect écologique, indéniable. En février 2000, près de Baia Mare, à la suite de la rupture d’un barrage de déchets cyanurés, la Timis, la Tizsa hongroise, et même le Danube jusqu’à Belgrade, avaient été lourdement pollués.

Il y a l’aspect archéologique : le bourg de Roșia Montană est la plus ancienne implantation romaine de l’ancienne Dacie, en Transylvanie, entre Cluj et Alba Iulia. Mais c’est le coût patrimonial général (les diverses églises protestent contre la destruction de huit lieux de culte et neuf cimetières) et surtout le coût humain qui mobilisent les mécontents.
Les mineurs de la Minvest ont perdu leurs emplois depuis 2006, l’exploitation traditionnelle d’or et d’argent n’étant plus rentable. Ils n’ont que rarement retrouvé à s’employer…

Aussi, dès 1997, la Minvest s’était rapprochée de la canadienne Gabriel Ressources, dont le fondateur et patron, Frank Timis, s’est taillé déjà une réputation sulfureuse en Ukraine.

L’enjeu, c’est 300 tonnes d’or et 1 500 d’argent extraites en 15 ans, par environ 250 ouvriers locaux et employés venus de l’extérieur.

C’est aussi des kilomètres carrés rasés, des maisons détruites, un barrage et un lac artificiel couvrant 600 ha, emplis de résidus toxiques…
Il n’y a plus qu’une naissance par année ou encore moins à Roșia Montană. Un lotissement a été construit à 7 km du bourg, un autre dans la banlieue de la préfecture, Alba Iulia, à 80 km de là. Les anciens mineurs craignent d’y être clochardisés, car restant sans emploi. Les jeunes qualifiés émigreront… C’est là une préoccupation fondamentale pour l’avenir d’un pays inquiet en raison de la dénatalité et de la fuite de gens qualifiés qui, pour la plupart, n’envisagent pas de retour…
Et puis, il y eu, depuis quatre ans, tant de critiques, y compris d’économistes, et tant de mesures adoptées pour faciliter ou retarder le projet. La Hongrie voisine est contre, les Serbes se souviennent de la catastrophe de Baia Mare, l’Europe est la proie de lobbies miniers et de groupes de pression écologistes condamnant ce type d’exploitation dangereuse.
Lutte emblématique
Faute d’accéder aux revendications de la société civile qui, dans un froid devenu glacial depuis trois jours, réclame la démission du président et aussi de nouvelles élections depuis trois semaines, comme aujourd’hui à Cluj où s’est formée une Association des protestataires de janvier 2012, les autorités ont au moins concédé ce samedi une révision de l’étude d’impact du projet.

L’écologie est souvent un prétexte pour dénoncer les édiles locaux et la corruption des élus nationaux. Sur ce projet, les revirements ont succédé aux autorisations accordées, mais sans grande transparence. Si les sommets de l’État roumains n’ont rien à envier à ceux de la France (voir les différentes affaires : Woerthgate, Takieddine…), la corruption gangrène la société roumaine, classes moyennes hautes incluses (magistrats, professions libérales), et par nécessité, jusqu’aux infirmières et aux maîtres d’écoles.
Tout le monde ou presque a été, est, ou sera dans la rue. Officiers supérieurs en retraite mêlés aux officiers subalternes de l’armée ou de la police, fonctionnaires ou « budgétaires », salariés et chômeurs (voir nos précédents articles ; mot-clef : Roumanie). Il y a eu de raress émeutes réprimées par les gendarmes casqués qui, à présent, se voient déposer des fleurs devant leurs rangées de bouclier. Le pouvoir mise sur l’essoufflement et les rigueurs des éléments (la capitale, d’autres villes, ont été totalement bloquées). Il est aussi accusé de manipuler les « hooligans », les casseurs de « la pelouse sud » et « de la tribune Steilei » du principal stade de la capitale. Mais la question de Roșia Montană mobilisera encore, tant elle est emblématique du reste : austérité, inquiétude, voire désespoir, exaspération de voir les « lions » sales (lei, ou RON) aller dans les mêmes poches…
Le sigle vert et rouge des opposants à l’exploitation orne le pan jaune des drapeaux roumains et de nombreuses pancartes brandies dans tous les rassemblements ou presque. Le slogan des manifestations locaux, « nous crevons de faim sur une montagne d’or », pourrait être repris par toutes et tous.

La création, ce samedi, d’un comité interministériel pour réétudier le projet, risque de ne pas apaiser la contestation : ministres et députés sont conspués tous les jours…

La manne européenne a été dilapidée, négligée ou largement sous-employée, la Roumanie a dû se tourner vers le FMI et a opté pour des réductions drastiques de traitements, le relèvement de la TVA, et le maintient de l’impôt sur le revenu au taux unique thatchérien de 16 %.
Les diverses taxes apportent 48 millions d’euros par jour dans les caisses de l’État, dénoncent les entrepreneurs et les syndicats. 0,7 million de plus qu’en 2010, quotidiennement.
Le secrétaire général du parti majoritaire au parlement, le PDL, qui soutient le président Basescu et la coalition gouvernementale, Ioan Oltean, a suggéré que le Premier ministre Emil Boc démissionne. Mais il s’est ravisé dans la journée de samedi. Cristian Preda, europarlementaire, a appelé à un « un gouvernement de large consensus », et un Premier ministre indépendant des  partis.

Les températures ne se radouciront pas de sitôt en Roumanie, mais la rue continue de « chauffer ». Les prochaines semaines risquent d’être décisives, et pas que pour Rosia Montana…

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !