Profitant d'être assermentés, les policiers abusent-ils d'accusations mensongères pour criminaliser la contestation sociale ? C'est ce que dénoncent les syndicats de l'Education nationale, stigmatisant un "acharnement répressif" contre le mouvement lycéen.

Le récit suivant est fait par le quotidien L'Humanité du 8 avril dernier : «Les lycéens étaient calmes, assure le jeune enseignant. Il n’y avait plus aucune tension, lorsque j’ai vu plusieurs policiers en civil, sans brassard, se diriger vers un groupe d’élèves. Je me suis aussitôt rapproché en me disant qu’il fallait qu’un professeur responsable soit là. Mais je me suis rendu compte que ma seule présence les gênait…» Pour le moins, Rodolphe est reçu pour un «casse-toi de là, t’as rien à faire là, laisse-nous faire notre boulot !» Le jeune homme ne se dégonfle pas. «J’ai le droit d’être là, c’est une manifestation autorisée.» Le ton passe à la menace : «On t’a repéré, t’as dix secondes pour dégager…» Rodolphe ne dégage pas. Des policiers l’encerclent alors par-derrière. Un premier le ceinture, un second le tient par le col. Il ne résiste pas. Son sac est vidé à terre, on le palpe brutalement. «Tu fais moins le malin ?» lui lâche un policier. «Vous ne pouvez que contrôler mon identité, répond Rodolphe, car je n’ai rien à me reprocher.» Suffisait de demander… Selon le jeune homme, un des policiers aurait alors regardé l’un de ses collègues, faussement interrogateur : «Tu l’as vu jeter un caillou sur la police, non ?» «Oui», répond l’autre. «C’est là que j’ai commencé à comprendre que cela sentait le roussi…», dit aujourd’hui Rodolphe Juge."

La suite ? Le professeur stagiaire de 25 ans est placé en garde à vue au commissariat du VIIème arrondissement de Paris, à 16h 20. Comme il refuse de signer le procès-verbal faisant état de "violence aggravée" et "insulte", l’officier de police judiciaire aurait pris sa carte d’identité pour imiter sa signature ! Après une nuit en cellule, il est déféré le lendemain, à 11 heures, au Palais de justice où la procureure refuse de le juger en comparution immédiate et renvoie l’affaire au 17 avril. S’il était par malheur condamné, sa carrière naissante d’enseignant serait brisée. Très vite, ses collègues et sa hiérarchie se mobilisent : "C’est un jeune professeur très sérieux, très consciencieux et très apprécié, témoigne ainsi Sylvie Pugnaud, une de ses professeurs d’Institut Universitaire de Formation des Maîtres. Il est absolument impensable qu’il ait jeté des cailloux et on n'a aucun doute sur ce qu’il dit." Une pétition est lancée par la CGT-Educ’Action, dont il est l'un des élus, qui appelle à un rassemblement demain, 17 avril, à 9h devant le Palais de justice de Paris où il doit comparaître.

Par ailleurs, un communiqué commun, signé par les sections du Val-de-Marne de quatre organisations danger_flashballsyndicales (CGT-Educ’Action, SNES-FSU, Sud Education et FCPE), dénonce "les provocations policières" et porte de graves accusations : "Les lycéens sont régulièrement chargés par la police qui n’hésite pas à faire usage de flash-balls. Ainsi, ce mercredi 9 avril au lycée Darius Milhaud, une élève mineure a été hospitalisée après avoir reçu un tir de flash-ball dans le ventre. Depuis lundi, le lycée est le théâtre d’interventions policières répétées. Chaque jour, des élèves mineurs sont placés en garde à vue et mis en examen (pour «coups et blessures», «outrage et rébellion»…) sur la base des seules accusations policières, démenties par des témoignages. Certains des lycéens arrêtés tentaient même au contraire de calmer la situation. L’un d’entre eux a reçu des coups par les policiers sur le dos et sur la tête alors qu’il était au sol. Ses parents vont d’ailleurs porter plainte. Un autre lycéen a été placé en garde à vue sans que ses parents n’aient été informés. D’autres encore ont été arrêtés à plusieurs centaines de mètres du lycée, devant une école primaire. Tous ces mineurs ont été soumis à un prélèvement d’empreintes génétiques… Cet acharnement répressif et ces provocations n’ont qu’un but : étouffer l’élan citoyen d’une jeunesse qui s’indigne des conditions d’étude que le gouvernement lui réserve et détourner l’attention des revendications légitimes des parents, lycéens et enseignants : restitution des postes supprimés, abandon des suppressions des BEP au profit de la généralisation des bacs pro 3 ans, un collectif budgétaire garantissant un service public de qualité. Ces tentatives d’intimidation nous confortent dans notre volonté d’amplifier la mobilisation."
Nous nous associons à leur crainte d’assister à une criminalisation de la contestation sociale, par la généralisation des accusations mensongères des agents de la force publique, profitant d’être assermentés.

Mise à jour du 17 avril : le procès de Rodolphe Juge, après que 300 militants (d'après la CGT) se sont rassemblés devant le Palais de justice, a été ajourné au 24 septembre prochain. "C'est un premier recul, obtenu grâce au courant de solidarité animé par les organisations syndicales, notamment la CGT dont il est membre, ses collègues, ses formateurs de l'IUFM, ses élèves, se félicite le syndicat. Dans l'immédiat, la FERC-CGT et l'UNSEN-CGT appellent leurs organisations à poursuivre la campagne d'information et de pétition pour exiger la relaxe de Rodolphe."