Zine el Abidine Ben Ali a pris la fuite le14 janvier 2011, un vendredi, jour de grande prière. De même, quatre semaines plus tard, le 11 février, c’est aussi un vendredi que Hosni Moubarak s’est retiré. Les paris sont ouverts pour la date de l’épilogue de Mouammar el Kadhafi (l’ex-guide de la Révolution désormais « Wanted, dead or alive ») : 4, 11, 18 mars ?

 

Le débarquement de Madame Alliot-Marie n’aura attendu, lui, que deux semaines pour survenir. Mais pas jour pour jour : pour cause de décalage religieux, le Président Sarkozy a dû patienter jusqu’au dimanche, jour du Seigneur.

Beaucoup se sont étonnés de la sobriété de l’éloge funèbre consacré à la ci-devant ministre de plein de choses (discrétion qui n’a eu d’égale que celle relative à la disgrâce de Monsieur Hortefeux). Ceux-là semblent ignorer que l’orateur ne disposait en tout et pour tout que de moins de sept minutes. C’est dire s’il se sentait pressé d’aller à l’essentiel !

Un essentiel que seule sa clairvoyance a su distinguer au travers des brumes montant des sols surchauffés alignés sur la rive Sud de la Méditerranée. Au débat sur l’identité nationale succède celui sur la place de l’islam. Il n’est pas encore ouvert, mais le voici qui s’insinue déjà par capillarité.

Les révoltes qui déferlent sur les pays arabes nous ont valu (y compris dans les colonnes de C4N) moult digressions sur les risques d’islamisation. Voilà désormais que nous en sommes directement menacés : si l’on en croit les propos entendus hier soir, une seconde Xynthia, incomparablement plus meurtrière que la première pourrait nous submerger sous des vagues d’immigration dévastatrices. Madame Le Pen n’en espérait sans doute pas tant, car notre gribouille a su rassembler sous une seule formule, l’hydre de l’immigration incontrôlée et celle de l’islamisation rampante.

On peut s’étonner de voir de nouveau reprise au grand jour la stratégie de séduction de l’électorat frontiste. Se déclarer surpris si l’on se souvient des piètres résultats de toutes les tentatives précédentes : elles ont amplement démontré que cet électorat, fidèle à lui-même et préférant toujours l’original à la copie, en profitait systématiquement pour renforcer l’image et le poids de ses propres dirigeants. Surpris au final que cette présidence et la nuée de ses conseillers, tous plus éminents les uns que les autres, se fourvoient encore et encore dans cette stratégie, sans paraître réaliser qu’en renforçant sa concurrence, elle l’affaiblit à coup sûr.

S’en tenir là tiendrait du crime de lèse majesté, car ce serait mettre en doute l’intelligence de notre bienaimé Président et de sa cour. Ce serait aussi gravement sous-estimer l’influence des sondages. A l’allure à laquelle le locataire de l’Elysée, victime de notre ingratitude, continue de s’enfoncer dans les sondages, il ne va pas tarder à trouver des gisements de pétrole… A quelque chose malheur est bon et c’est probablement la raison pour laquelle, « à l’heure où nous sortons de la crise » (honnêtement, je n’en avais pas conscience ; quelle chance que notre bon maître s’occupe de tout !), le discours s’est abstenu d’évoquer, en plus des menaces démographiques les risques économiques.

A moins qu’il ne s’agisse pas de stratégie, mais de tactique. Je dois cette idée audacieuse à un chroniqueur entendu matinalement sur France Inter la semaine passée ; il pardonnera j’en suis sûr à ma mémoire flageolante, croulant sous l’avalanche d’informations, d’avoir fort injustement oublié son nom). A l’entendre, l’Elysée n’aurait pas manqué de remarquer cet effet de levier par lequel ses prises de position faisait grimper la cote de son adversaire d’extrême-droite, mais selon son hypothèse, c’est la seule méthode fiable qu’aurait trouvée l’apprenti sorcier pour assurer sa réélection en 2012, rééditant à son profit la tragi-comédie du 21 avril 2002.

Je ne garantis pas que cette hypothèse soit fondée, mais depuis bientôt quatre ans, il m’a été donné, tout comme à vous, maintes occasions de constater qu’un tel machiavélisme n’avait rien d’impossible.