Après le livre d’Antoine Peillon, Ces 600 millions qui manquent à la France (prix Anticor 2012), après l’affaire Clearstream traitée par Denis Robert, et bien d’autres affaires et des milliers d’articles ou d’études portant sur les paradis fiscaux et la régulation du secteur financier, voici que The Economist consacre un dossier à la question. On se demande si la conclusion implicite n’en serait pas que le système est impossible à réformer, donc autant s’en accommoder.
200 puissance douze en dollars, soit 20 000 milliards d’USD, ou 20 teras, tel est le titre qui fait la page de couverture de The Economist. 600 millions qui manquent à la France, tel est le titre d’Antoine Peillon, le frère du ministre. Mondialement, ce n’est finalement qu’un dé à coudre.
L’hebdomadaire estime à une soixantaine les divers paradis fiscaux (dont l’État américain du Delaware). Chaque continent a les siens. Ces havres fiscaux garantissent l’opacité comptable, le secret de la provenance des fonds. En France, où la réforme financière a été calculée pour ne pas gêner les banquiers, les plus grandes banques seront peut-être un jour obligées de dévoiler les noms de leurs filiales dans des paradis fiscaux. Oui, et alors, quoi ? Cela changera quoi ?
Quant aux sommes avancées, il ne s’agit que d’estimations. 500 ou 600 ou mille millions d’euros pour la France ? Mondialement, c’est encore plus difficile à évaluer, et The Economist n’exclut pas que le chiffre de son titre soit inférieur à la réalité. Près d’un million de sociétés sont domiciliées au Delaware, soit pratiquement autant que d’habitants de cet État.
Il s’agit de boîtes à lettres, tout comme aux îles Caïmans, ou au Luxembourg et dans d’autres micro-États européens.
Mais le Square Mile (la City), l’Irlande ou les Pays-Bas valent bien le Luxembourg, de fait. Les États-Unis ne divulguent pas non plus les coordonnées, tenants et aboutissants des déposants sud-américains à Miami à leurs pays d’origines.
Or, que propose The Economist pour remédier à la situation ? Que les États communiquent entre eux, certes. Mais comme ce ne sera pas demain la veille, la solution envisagée est de réduire les taux d’imposition afin qu’il ne soit plus si avantageux de masquer ses revenus dans des paradis fiscaux.
Le mieux serait de supprimer toute taxe sur les entreprises. Selon l’hebdomadaire, cela encouragerait les plus riches à investir. Oui, mais dans quels types d’industries ? En fait, les plus riches, comme le Qatar par exemple, ou les Émirats, qui vont transformer Le Printemps en temple du luxe, via un montage fiscal des plus complexes, le font déjà. Les plus riches recherchent une rentabilité sans grand risque ou une rentabilité forcenée, qui implique, comme on l’a vu avec les diverses affaires de viandes de cheval, d’éventuels risques pour d’autres qu’eux.
Évidemment, supprimer les taxes sur les entreprises en ruineraient d’autres, celles du monde de la finance qui embauchent des anciens ministres ou de hauts fonctionnaires à prix d’or. Autant dire que The Economist balance de la poudre aux yeux, ce qui est d’ailleurs son rôle essentiel.
Ce qui est d’ailleurs aussi celui aux universitaires les plus en vue (et les mieux rétribués indirectement par les milieux financiers).
Pour Atlantico (.fr), Pascal Ordonneau estime que le monde de la finance « n’est pas incontrôlable&nbps;». Sur le papier, certes. C’était d’ailleurs le cas dans certains pays communistes qui n’avaient que deux banques, l’une d’affaires, l’autre de dépôt (et une banque nationale censée exercer un contrôle et communiquer avec les autres banques nationales). Les dirigeants politiques contrôlaient donc, et décidaient ce que bon leur semblait.
Paul Jorion, lui, dit tout cru ce que tout le monde pense : « les législateurs introduisent les failles délibérément ». Il relève que jusqu’en 1885, une petite demi-douzaines d’articles de loi suffisaient à juguler la spéculation. Les paradis fiscaux permettent aussi aux dirigeants de s’allouer des pots-de-vin en toute discrétion. Les banques complaisantes sont donc toutes soigneusement protégées. « Les mesures à mettre en place contreviennent à l’ultralibéralisme », donc, elles ne seront pas prises…
On trouvera toujours des fonds privés pour tenter d’exploiter les minerais des astéroïdes, pratiquement aucun pour les détruire s’ils menaçaient la survie terrestre. On a bien réussi à faire creuser un canal sous la Manche en sollicitant surtout de petits et moyens épargnants, qui ont permis aux banques de récupérer l’essentiel de la mise. Pour le reste, l’argent va à l’argent…
Savoir qu’une banque français réalise un chiffre d’affaire démesuré dans tel pays avec seulement deux employés sur place sera sans doute un indicateur. BNP-Paribas dispose de 62 filiales au Luxembourg et 27 autres aux îles Caïman. Mais cela, c’est de notoriété publique (et la Banque de France ne pouvait l’ignorer) depuis belle lurette. Et pourquoi donc le fisc ferait demain ce qu’il n’a pas fait ? Comme près de la moitié du commerce mondial transite par les paradis fiscaux, le fisc cassera-t-il ces flux ?
Aux États-Unis, on sait fort bien que Morgan Stanlay, Wells Fargo et Goldman Sachs ont la moitié de leurs filiales étrangères dans des paradis fiscaux. Et quoi ?
Comme l’exprime Jean-Claude Guillebaud dans Sud-Ouest, citant Léon Bloy, « le sang du pauvre » calme « les fringales de l’ogre ». Il rappelle que « les spéculations sur le pétrole représentent 44 fois la quantité réellement produite ». Des profits sont engrangés à chaque transaction, et cela se répercute sur le prix à la pompe. Mais à chaque fois que l’économie virtuelle est mise en cause, il est répété avec acharnement qu’elle est la condition même du soutien à l’économie réelle.
Ainsi de Jérôme Dubus qui dans Le Matin (.fr) titre : « la réforme bancaire va tuer l’économie » et conclut par « contraindre un système qui a fait ses preuves dans la capacité à se réformer et à servir l’économie réelle relève de l’irresponsabilité socialiste ». Une « irresponsabilité » tellement limitée que tout le secteur bancaire s’en satisfait, car elle ne met aucune en cause les limites fort faibles de sa propre responsabilité.
C’est un peu comme dans les diverses affaires de viande de cheval passant pour du bœuf, on nous dit que la première victime en importance (car il y en a tant d’autres, de marques apposant leurs étiquettes sur la même matière première transformée), ce serait Findus. Jamais le consommateur berné qui, lui, sera au mieux remboursé de son dernier achat. Pas des précédents contenant des résidus qui auraient calcinés voici une quarantaine d’années et ne seraient jamais entrés dans la chaîne alimentaire (sauf peut-être celle des animaux : le boucher donnait aux bonnes clientes du mou pour leur chat).
Mais d’un côté on dit lutter contre les paradis fiscaux et de l’autre, on les préconise. Ainsi du FMI en Tunisie qui recommande une exonération totale de l’impôt sur les sociétés exportatrices (tunisiennes ou autres), sur les bénéfices et revenus réinvestis, dans des zones franches (où les taxes ne sont pas perçues). D’un côté on veut mieux taxer les multinationales qui échappent le plus aux impôts dans les pays d’implantation, de l’autre on veut tendre partout à diminuer l’impôt pesant sur les entreprises. Notons que le système des zones franches est propice aux fraudes.
En fait, l’impôt sur les sociétés ne serait pas un problème en soi si leurs dirigeants et cadres à très hauts salaires étaient vraiment taxés et ne pouvaient pas avoir recours à de multiples systèmes d’exonération ou « d’optimisation ». Ah, mais, là, ce serait une totale levée de boucliers.
Ce qu’on oublie, c’est surtout que l’économie virtuelle a pris largement le dessus sur la réelle. Pour l’encours total des banques françaises, le cinquième seulement est injecté dans l’économie réelle (22 %), et plus des trois-quarts dans la spéculation (78 %). Les profits spéculatifs se retrouvent toujours pris en charge par le consommateur final. Et cela, il n’est surtout pas question de le changer. Comme ces profits se font surtout depuis des paradis fiscaux, il n’est en fait nullement question d’y toucher vraiment. Bref, ils deviendraient inutile parce qu’on pourrait faire un maximum de profit si toute taxe sur la spéculation était supprimée, avance-t-on.
The Economist a la solution : supprimer la taxation des entreprises. Hop, tout ira mieux dans le meilleur des mondes. On y croit très fort.
La disposition obligeant les banques à donner noms, sommes, et nombre de personnel à l’étranger apportera quoi ?
On se le demande.
En revanche, John Chambers, président de Cisco n’embauchera aucun nouvel employé américain et il n’achètera aucune société américaine tant que le gouvernement Obama ne réduira pas le niveau de taxation des entreprises (de 30 à 35 %). 80% des revenus de Cisco entreposés à l’étranger, surtout dans des paradis fiscaux.
En fait, il faudrait obliger les entreprises à n’investir et embaucher que dans les paradis fiscaux. L’altitude moyenne du Luxembourg bâti finirait par dépasser celle des Alpes, Monaco montera jusqu’au plus haut sommets, &c. Pour les petites îles, eh, elles risqueraient de s’enfoncer.
Mais il faudrait aussi limiter les ventes aux pays où l’on « produit ».
Mission impossible ? Ce n’est pourtant pas ce que j’ai entendu de la part de Hollande pendant la campagne des présidentielles ! Oui, souvenez-vous de celui qui s’est déclaré l’ennemi de la finance !
En effet, ce n’est pas demain et ce n’est pas un seul homme qui arrivera à réguler le monde de la finance ! Et dire qu’ils sont nombreux à le croire…
« On y croaaa croaaa très fort. »
Parfois, j’ai l’impression de revivre à une époque ancienne, avec des acteurs un peu différents, plus virtuels et invisibles
[url]http://fr.vikidia.org/wiki/Tiers_état_en_France_en_1789[/url]
Qui connaît des dessinateurs de presse capables d’immortaliser notre situation actuelle pour la postérité comme le fit celui repris dans cette encyclopédie pour enfants ?
[u]difficile[/u] mais ils sont doués…
Qui pense quelque chose de ces propos ?
[url]http://www.franceculture.fr/personne-thierry-philipponnat[/url]