Je ne sais ce que vaut la prose de Régis Tettamanzi, professeur de littérature à l’université de Nantes. Ce garçon m’a l’air sympathique. Il avait déjà annoté Louis-Ferdinand Céline pour La Pléïade, il récidive pour les éditions québécoises Huit vont rééditer trois écrits de cet auteur sous le titre Écrits polémiques. Grand bien (économique) leur fasse. Mais tout comme Le Protocole des sages de Sion est accessibles via l’Internet, Bagatelle pour un massacre, L’École des cadavres et Les beaux draps le sont tout autant. Un « non-événement » donc ? Pas si Régis Tettamanzi apporte davantage d’éclairage sur un phénomène tant littéraire que sociétal. Mais peut-être pas de quoi en faire tout un plat.

« Le juif avait passé par là, l’âme était froide ». C’est l’avant-dernière phrase de la préface de l’édition de 1942 de L’École des cadavres, chez Denoël. Bon, bof… Ce n’est pas par philosémitisme (au sens large, je suis aussi philobantouiste, anglophile, germanophile, russophile et roumanophile et j’en passe…) que je n’ai jamais « rien lu » de Céline hors sans doute des extraits aussi oubliés que parcourus. Mais après Orwell et Tchekhov, que je relis ces derniers temps, je n’exclurai pas de lire et Céline, et surtout Régis Tettamanzi, si les éditions Huit m’envoient un service de presse.

Sinon, sans doute, non. On ne peut tout lire. Je me suis passé de lire Céline jusqu’à présent… J’ai vaguement compris qu’il s’agissait d’un arriviste plus soucieux de se placer que de soigner ses patients, quitte à piquer la place de collègues, mais tout cela, c’est de mémoire, et fondamentalement, je m’en fous. Cela étant, lire un semi-salaud hypocrite (en serais-je un autre ?) comme Graham Greene (il ne m’en voudra plus), c’est assez jouissif. Céline, pourquoi pas ?

Selon Le Devoir (rigolo que Le Figaro source L’Express et non le québécois Le Devoir en tant que source de la nouvelle), or donc, des textes rares devraient figurer en annexes. Admettons.

En tout cas, il vous suffit de saisir les titres des livres (entre guillemets) et le terme « pdf », pour y accéder. Alors, sérieusement, que Lucette Destouches, veuve Céline, que François Gibault, avocat et conseil des descendants, se disent « contre la réédition de ces pamphlets », équivaut à un combat d’arrière-garde.

Serge Karsfeld a considéré qu’il ne s’agissait pas de nier que Céline soit un écrivain de « grand talent ». Ah bon ? Il en est tant et tant qui n’ont pas bénéficier du battage fait autour de Céline que l’argument me laisse totalement froid. Il aurait appelé au « meurtre des Juifs » ? Bah, Juifs ou Vendéens, ou « Bleus » républicains, ou catholiques, ou protestants, ou… On ne va pas non plus lui coller Hiroshima sur le dos (et pourtant, on ne sait pas trop ce qu’il pensait des Japonais).

La « justification » de Lucette Dstouches me fait sourire (jaune) : « Céline ne connaissait pas l’existence des camps de concentration. Il n’en aura connaissance qu’après la guerre, comme la majorité des Français. ». Et des états-majors britanniques et américains ou soviétiques ? Et quand il en a eu connaissance, quoi ?

« Ce sont bien sûr des textes haineux, mais datés et éventés », estime l’éditeur québécois Rémi Ferland. On peut le voir comme cela. Mais franchement, la plupart s’en contrefichent. Enfin, c’est mon petit point de vue étayé au pifomètre.

Voyez un peu les admirateurs de Breivik – même pas foutu de trucider un adolescent musulman athée, mais glorifié cependant – qui vont se régaler de l’original ou de la traduction de ses courriels d’avant sa tuerie imbécile. Kjetil Stormak en publie, en Norvège, un florilège. Une nouvelle occasion pour Richard Millet d’en faire un second éloge, littéraire évidemment. Un « jour » (au sens de la Thora) les Juifs, un autre, les musulmans, et à qui le tour après ? 

Faire la pub de Céline ou de Millet, bof… Millet, Bernard-Henri Lévy… Planqués et scribouillant.  N’ayant, comme Staline, peut-être, jamais manié le moindre fusil, sauf au stand de tir éventuellement, s’auréolant de légendes douteuses. Mais prompts à désigner « l’ennemi ». Grand esthète, Staline, lecteur compulsif des plus grand classiques (et qui ne garnissait pas les rayons de sa bibliothèque de 20 000 ouvrages seulement pour en faire admirer les tranches). Ne pas prendre les uns pour les autres. Céline, blessé lors de la Première, s’est bien préservé d’aller soigner sur le front russe.

 

Céline imprécateur, vaticinant contre les Juifs, pris comme un bloc, tellement c’est plus commode. Ayant peut-être misé sur l’antisémitisme – un peu trop tôt : même la presse prônant l’antisémitisme se contrefichait à l’origine de sa prose – comme d’autres pontent sur l’écologie, ou les nouvelles technologies, ou on ne sait quoi dans l’air du temps. Ou antisémite car cocu, Elisabeth Craig lui ayant préféré l’israélite Ben Tankel.

Je sais : c’est prendre tout cela par-dessus l’épaule. Gide pensait que Céline remuait « des passions banales avec ce cynisme et cette désinvolte légèreté. » (qui caractérisait certains de ses écrits).

 

C’est peut-être parce que je transpose l’adage voulant que ce n’est pas la drogue qui fait le drogué, mais le drogué qui fait sa drogue. Céline n’a sans doute pas « créé » Breivik, et de nos jours, ce serait plutôt l’inverse : Breivik « crée » Millet. Ou pas, ou pas tout à fait.

Sans l’avoir jamais lu, naguère, j’aurais peut-être protesté (une pétition ? fermer sa gueule ou causer toujours revient souvent au même…) si les écrits haineux de Céline avaient été réédités. Pourquoi ? Je ne sais plus trop. Sans doute gangréné par la perception – bien gavée par l’historiographie des Lumières, phares de la pensée et du progrès, évidemment – que l’opinion est formée par de grands personnages et non l’inverse. La plupart du temps, ces grands ne sont faits à postériori, que par une opinion dont ils ont su subodorer les inclinations.

 

« Il avait partout rencontré des musulmans (ou Américains, Russes, Chinois, remplacez musulmans par la mention du moment) d’une xénophobie effrayante tout bouillonnants de mahométanisme (de néo-conservatisme, d’impérialisme pan-russe ou chinois) dix par bureau trente par couloir » (je plagie Bagatelles pour un massacre). Va faire passer les 35 heures, à présent, pour un complot israélite (« les 40 heures, c’est leur blot », id. Bagatelles).

Tiens, c’est dommage, Landru n’a pas écrit ses mémoires. L’aurait-il fait, prônant l’assassinat des rombières, que cela ne ferait pas de moi un adepte. Alors, Céline, oui, peut-être, à l’occasion, je lirai, ou pas.