Certes, le président de la République incarne, de fait, toute l’action gouvernementale, l’ensemble des prises de position officielles de l’État tant sur le plan extérieur qu’intérieur. Certes, il est difficile de rédiger un titre de presse et la personnalisation extrême conduisant à tout imputer à Nicolas Sarkozy peut se concevoir aussi pour François Hollande. Mais faire tout endosser à l’actuel président paraît vraiment fort réducteur : il serait grand temps de se montrer davantage pédagogique…
Je ne peux être désenchanté dans la mesure ou François Hollande ne m’enchantait pas plus que François Mitterrand ou Lionel Jospin… Je ne peux pas non plus sauter tel un cabri en bêlant « croissance, croissance, croissance » dans la mesure où cet essor n’est fondé que sur l’indicateur d’un PIB dont le gonflement peut être porteur d’orages non désirés : lever des nuages nucléaires n’est pas condenser des buées retombant en averses bénéfiques.
À ce propos, on se rapportera utilement à la nécessaire chronique de Corinne Lepage, « Indécente Fessenheim » sur Rue89, ou à celle confiée à l’Huffington Post, « Le nucléaire est en train de ruiner la France ».
La plupart des articles des supports classés à la gauche des courants droitiers du Parti socialiste personnalisent à fond en titrant sur Hollande et font la plupart du temps, de fait, l’impasse sur la réduction des déficits publics.
Certes, ceux tendant le plus à l’objectivité, tel Mediapart, dans le corps des articles, tentent un autre décryptage, ne négligent pas le poids des oligarchies. Mais plus la croissance fléchit, plus la réduction des déficits passe pour quantité négligeable.
Or, tout comme la compétitivité ne passe pas que par la réduction du coût du travail, mais par une remise en question des critères d’organisation du travail et de productivité, pratiquement jamais considérés autrement que sous l’angle de l’application de recettes issus de cabinets d’audit dont nul membre n’a jamais produit autre chose qu’un placage de critères pompés d’autres cabinets sur une réalité ignorée (combien de ces conseillers ont été suffisamment longtemps ouvriers, contremaîtres, petits cadres ?), la réduction du déficit budgétaire passe aussi par un autre type d’audit et des choix qui ne peuvent se résumer à la préservation des prébendes et de l’existant.
Sur la compétitivité des entreprises, on oublie trop souvent de dire que, pour l’allemande Continental, l’exemple à suivre est la japonaise Bridgestone (quant aux processus) et encore la française Michelin pour l’innovation et la recherche… Pourtant, les ouvriers, employés et cadres de Bridgestone ou Michelin sont, de fait, assez peu « flexibles » et interchangeables au gré des tocades ou des recommandations des cabinets, que leur but avoué ou non soit de faire grimper le cours en bourse ou de poursuivre un autre objectif.
Nécessaires rappels
Pour l’évolution de l’État, il convient de rappeler les propos de Christophe Ramaux, rapportés par Martine Orange sur Mediapart : « il est des biens collectifs, des situations de monopole naturel, comme typiquement l’énergie ou le ferroviaire, où le public est moins cher que le privé, pour le profit de tous, et pour une simple raison : il n’a pas le même coût du capital que le privé, il n’est pas obligé de rémunérer ses actionnaires. ».
C’est réel, c’est sommaire. L’autre aspect est que la concurrence profite souvent bien moins aux consommateurs qu’aux dirigeants et cadres d’entreprises faussement concurrentes, accessoirement à l’emploi de travailleurs étrangers dans les pays ou productions ou services sont délocalisés, et qu’avoir w banques, x opérateurs de télécommunications, y assureurs, &c., tout comme entretenir z administrateurs de caisses de retraites issus de la fonction publique, des syndicats patronaux ou de salariés, reste une gageure.
De même, la démultiplication des instances décisionnaires des collectivités territoriales, des comités Machin-Bidule, de la sous-traitance systématique à des officines alors que les compétences sous souvent disponibles en interne, mais sous-employées ou affectées à des tâches superflues.
Martine Orange titre « François Holande s’incline devant les dogmes de l’Europe », Laurent Mauduit sur « La récession Hollande » (mais le titre de son livre, L’Étrange Capitulation, éds J.-C. Gawsewitch, est-il au moins exempt de personnalisation excessive).
Il serait urgent tout d’abord de dresser le bilan dont hérite l’actuel gouvernement, de faire valoir que le modifier pour placer des substituts enfermés dans les mêmes paradigmes n’a d’autre avantage que de verser des indemnités aux ministres remerciés sans pour autant améliorer le poids des dépenses du prédécesseur.
Politiquement, soit électoralement, François Hollande ou tout autre aux affaires publiques ne peut se permettre de tailler dans le gras : réduire le nombre des départements, des instances territoriales (ce à quoi s’oppose Jean-Mélenchon plus par clientélisme qu’autre chose), cesser de favoriser une fausse concurrence, c’est affronter nécessairement une crue du chômage, non pas seulement de muets résignés ou de vociférant vulgus pecum (et comme on le comprend, ce « vulgaire »), mais celui de cette fameuse classe moyenne ou moyenne supérieure occupant des postes redondants, voire inutiles…
Disons-le aussi tout crument, c’est scier la branche de ses propres progénitures. Partiellement peut-être y compris la mienne (à quoi bon tant de démarcheurs de mutuelles concurrentes qui n’ont plus rien de mutualiste ; pardonnez cet aparté…).
Tous des Pompidou issus de la finance
Le féroce Yéti, chroniqueur assidu de Rue89, résume : « il y a bien longtemps que nos hérauts socialistes ont choisi leur camp et rejoint le monde du milieu néolibéral, franchissant les derniers pas qui les conduisent à sa version anglo-saxonne la plus dure, pressés qu’ils sont par les coups de boutoirs de la “Grande perdition”. Une adhésion réfléchie bien plus qu’une capitulation, prévisible bien plus qu’étrange. ». Au moins ont-ils réduit de près d’un tiers les émoluments des plus en vue d’entre-eux. Mais non leur nombre : il fallait contenter les courants, trouver des symboles…
La croissance, certes… Mais orientée, et accompagnée de la réévaluation des budgets qui doivent préserver les services publics à la base, et non pas multiplier le nombre des évaluateurs, d’un encadrement direct ou indirect aux effectifs d’état-major mexicain.
Déficit de la Sécurité sociale ? Les généralistes et spécialistes vont multiplier les examens dont l’hôpital ou la clinique ne tiendra aucun compte des antérieurs s’il convient d’intervenir : ils seront systématiquement doublonnés, voire triplés. Mais cela préserve aussi l’emploi, n’est-il pas ?
Je ne prends que cet exemple. Il en est tant d’autres… Dans le secteur privé de même.
La pseudo-réflexion tendant à pointer du doigt François Hollande, voire l’oligarchie, pêche par sa simplification parfois trop souvent systématique et outrancière. Le problème crucial reste celui des choix, de la réorientation de la production, et de la conception même de l’emploi, de son organisation.
Lorsqu’il était ministre, Philippe Seguin, pourtant ministre « social », considérait en privé qu’environ dix pour cent des emplois de base (ouvriers, employés…) n’étaient préservés que pour contenir la croissance de la courbe du chômage. Il est fort possible qu’actuellement, il s’agisse plutôt d’encadrement à divers degrés. Lequel sous-traite souvent plus qu’il ne produit et le fait en fonction de l’élargissement de son relationnel (en vue, possiblement de se recaser), de budgets à serrer davantage que de reconnaissance de compétences en vue d’obtenir des résultats de qualité.
Bef, il ne suffit pas de remettre en cause seulement le mode de reproduction de prétendues élites, ni de former les nièmes managers qui devront bientôt tenter de se caser à l’étranger (car en France la saturation guette, comme dans de nombreux pays), mais de répartir les efforts, y compris de reconversion. Taper sur le coût du capital, l’évaporation de valeur captée par de multiples dirigeants, notamment dans la finance, certes… Mais il conviendrait peut-être aussi et même d’abord que les corps intermédiaires envisagent de se réformer pour être en mesure d’exiger que de véritables propositions, non plus incantatoires, mais ciblées, soient opposables à ceux dont il n’est envisagé la réforme que sous la contrainte de pouvoirs publics dirigés par des acteurs en connivence…
Oui, contrairement à ce que soutient James Gailbraith, fils de John Kenneth, il faut couper dans les dépenses publiques… mais aussi les redéployer pour favoriser l’initiative, et non uniquement pour soutenir la consommation (sauf en vue de rétablir à un niveau décent celle des plus faibles : on ne crée rien quand seule la survie vous préoccupe). Je ne condamne pas du tout les fondamentaux de J. Galbraith mais leur énoncé. Lequel tend – c’est normal lors d’un entretien – à laisser penser que l’inflation, la création de monnaie, et la dépense publique (y compris somptuaire, voire pernicieuse, ce n’est pas précisé, mais cela gagnerait à ne pas rester implicite), sont seules de nature à sortir de la crise et réduire les inégalités sociales.
Une croissance vraiment qualifiée ?
Je veux bien admettre que des indemnisés (le plus souvent mal ou insuffisamment) contribuent au redressement du PIB en travaillant au noir. Je veux bien admettre que des notes de frais somptueuses soutiennent l’hôtellerie-restauration. Je n’admets plus qu’une croissance irréfléchie, indifférenciée, qu’une relance aveugle de la consommation soient prônée et que ce gouvernement (ou tout autre d’ailleurs) passe pour seul et unique responsable de tous les maux. La nécessaire remise en cause ne peut se cantonner à cela.
Jean-Luc Mélenchon, qui tient un discours pour la galerie de « journaliste bashing », et un autre en interne (sur la liberté de la presse, l’investigation, l’exploitation des pigistes et des moins bien rétribués des journalistes), se réjouit peut-être de ce Hollande gnâfronisé. Ce n’est certes pas pour préserver une institution qui devrait être encore plus fondamentalement réformée que j’estime qu’il faudrait autrement critiquer l’action présidentielle et gouvernementale. Il en est de même des institutions européennes, à la fois protectrices et néfastes, dispendieuses et bénéfiques. Les titres de la presse finissent par tourner actuellement aux slogans.
Voici, toujours dans Mediapart, Antoine Perraud titrant « François la feintise » (« sous les dorures et les stucs »). C’est fort bien enlevé, sans doute juste quant à la conclusion : « il manque une certaine idée, jaurassienne, du courage ». Jaurès en fit assurément preuve, tout comme Hollande d’audace au cours de sa campagne, mais lui non plus n’aurait pu agir seul. Que l’opposition se montre vigoureuse, soit. Qu’il soit écrit que Flamby nous la joue pépère, passons, ce n’est pas faux, mais finit par cesser de soulager après tant de gesticulations, dont acte.
L’offense permanente, mais sans offensive
Mais cette cristallisation tournant au leitmotiv, qu’on peut difficilement admettre de putschistes (les anti-mariage pour tous ont manqué l’occasion de manifester en compagnie de casseurs, ailleurs, lors de la fameuse fête du foot au Trocadéro : cela aurait permis d’accabler davantage Manuel Valls ne pouvant fournir des effectifs policiers partout), finit par se caricaturer elle-même. Cela tourne au trépignement sur talonnettes, à un interminable et assourdissant tacón de zapateo.
Le Figaro : « Encore quatre ans ? ». Atlantico : « Le Nouveau don Quichotte ». La Tribune : « Ni ambitieux, ni réaliste ». Le Point : « Le pingouin dans un sauna ». J’en passe, bientôt ce sera un délicat « Bandemou » dans les titres ou le corps des textes, peut-être ? Il en fait parfois trop (rarement), pas assez (constamment, semblerait-il…). Et puis quoi ? Après le « Voyou » de Marianne, le « Cave de la République », le micheton de la Finance, le jobard de Merkel ? Cave canem… un peu quand même. Il n’est plus de jour sans que le parquet ne puisse poursuivre pour outrage à timonier timoré ou offense (sous de Gaulle, il en fut fait usage plus d’un demi-millier de fois). Tout comme VGE, Mitterrand ou Chirac, il semble que Hollande s’y refuserait. Ouf !
À ce train, on finira par justifier celles et ceux souhaitant ardemment un Hitler, un Mussolini, un Franco, un Salazar, voire un Bokassa ou un Amin Dada… Ne conviendrait-il pas mieux de s’attacher à ce qui cloche dans les institutions dans leur ensemble, débat nécessitant du temps, du recul ? Ce qu’un autre président ne pourrait d’ailleurs faire à chaud, sauf à les mettre toutes au pas, voire les dissoudre d’un trait de plume. Quel qu’il soit, il prendrait le risque d’une insurrection (et d’une contre-insurrection, ouverte ou clandestine).
Eh bien, après la validation de la loi sur le mariage pour tous par le Conseil constitutionnel, que l’opposition clarifie ses visées. Qu’elle appelle donc clairement à l’émeute, que Christine Boutin incite ses candidats au martyr à s’immoler. Cette dernière, pour l’instant, préfère faire parler d’elle en évoquant Angelina Jolie… Ou faire semblant de s’offusquer qu’un emploi fictif – celui de l’UMP Philippe Pemezec – lui avait été imposé par Sarkozy et Guéant alors qu’elle en sollicitât vivement d’autres pour elle-même et son entourage par la suite. Une mauvaise blague de sa part devient « un tweet honteux ». Restons sérieux… et mesurés.
Ce qui vaut aussi à l’endroit d’un président pour lequel mes égards sont mesurés, tout comme ceux dus à une fonction dont l’utilité me semble, sinon totalement contestable, du moins critiquable, et réformable, quel que soit celui (ou celle) qui l’incarne. Soulignons, pour en finir, qu’il y a quelque imposture à réclamer un président plus « présidentiel » et plus régalien de la part de celles et ceux partageant ce sentiment. Il serait plus que temps de s’en rendre compte…