Effectivement, c’est rare, «archirare…». De mémoire de caneton (fidèle lecteur depuis bientôt un demi-siècle), je ne me souviens pas que la justice ait jamais infligé au Canard enchaîné de publier un extrait de jugement en première page. Jean-Michel Goudard, un cons’ en com’ frayant avec Patrick Buisson (le mentor de Sarkozy que ce dernier traite à présent de félon), l’a obtenu de magistrats. Ce pour avoir redécouvert dans les pages du volatile ses propos sur Michèle Alliot-Marie, Roselyne Bachelot, Xavier Darcos, qu’il estimait «Archinuls», renchérissait Buisson.
Louis-Marie Horeau, qui s’étend en première page du Canard sous le petit pavé d’une publication judiciaire (trois fois plus de laïus que le texte imposé), n’en revient pas. Il faut dire que le sieur Goudard, Jean-Michel, a aussi obtenu 10 000 euros de pretium doloris, puisqu’il aurait redécouvert ses propos enregistrés par Patrick Buisson en éprouvant une « douleur morale ».
Sachant la source des propos (« Comme MAM, Bachelot, ou encore mon ennemi intime Darcos, tu découvres à la tête de la République des ministres nuls. »), les ci-devant ministres des Affaires étrangères, de la Solidarité, ou du Travail, n’ont guère éprouvé de douleur. Cela leur a fait peut-être frémir une gonade, mais sans que l’autre s’en émeuve, comme allégorisait lestement Jacques Chirac.
C’était début mars dernier, et Le Canard enchaîné publiait des extraits des enregistrements de Patrick Buisson effectués à l’insu du plein gré de son pote Nicolas Sarkozy le 27 février 2011. Il s’agissait d’annoncer les nouveaux titulaires des portefeuilles d’un nouveau gouvernement Fillon remanié. Jean-Michel Goudard, accompagné de Buisson, Henri Guaino, Frank Louvrier, et Pierre Giacometti (tous rétribués pour ce faire ?), peaufinent les éléments de langage.
Tout le monde félicite Sarkozy, qui ne se rengorge même plus tellement c’est banal, convenu. Il est génial, ses choix sont excellents, et selon Buisson, sa « densité ne cesse de monter » (le soufflé allait retomber, et retombera sans doute encore).
On comprend mieux pourquoi Sa Densité Paul Bismuth Ier s’est senti lourdement trahi par Patrick Buisson et Jean-Michel Goudard. Derrière son dos, ils jugent ses choix d’une nullité totale, et même densément aggravée (« archinuls »). C’est là que réside la traîtrise. Car il est sûr que si Patrick Buisson n’avait laissé (par inadvertance ? pour préparer la suite et revenir en cour auprès de Marine Le Pen ?) fuir ou filtrer que des propos élogieux ou d’une haute réflexion, Sa Densité aurait assurément tout pardonné.
Sarko sait traiter ses proches actuels ou passés comme ses animaux domestiques (il en faut pour les photos, les présidents américains le font…) : « on n’a pas entendu ces connards de chiens qui aboyaient » (autre extrait des enregistrements Buisson). Mais il sait les caresser en retour, récompenser en sucres de la maison Bercy…
Tout comme Jean-Michel Goudard, sans doute, qui, comme Buisson, a pu flatter ces « chiens » de journalistes en leur dictant tout le bien qu’il fallait penser des ministres choisis si judicieusement par Sa Densité, ce en avant-première, histoire de se faire valoir, et de leur conférer de l’importance puisque des canins dociles sont mis au courant avant même certain·e·s des intéressé·e·s (secrétaires d’État ou sous-ministres)…
Jean-Michel Goudard, créateur du slogan « Ensemble, tout devient possible » (même le naufrage électoral), est le G d’EuroRSCG (Ségala l’entremetteur en est le S). Il est passé sans états d’âme (et sans douleur morale) du cirage de pompes de Chirac au rang de fournisseurs de talonnettes morales et spirituelles de Sarko. Après « La France pour tous », il a engrangé des honoraires pour cette reprise de l’impossible n’est pas français. Explorons tous les possibles, ils sont à la portée de tout un chacun sachant se placer derrière Sa Densité. Le Coréen Kim Jong-il doit rigoler…
Notez que nous n’éprouvons plus la moindre douleur morale d’être ainsi pris pour des niais par un J.-M. Goudard : nous sommes blindés. Mais la petite nature du publicitaire a été blessée, et comme il n’est pas tout à fait comme nouz’autres, cela vaudrait 10 000 euros. Jean-Marie Horeau souligne d’ailleurs que la magistrature dédommage largement moins le justiciable lambda qui subit des atteintes beaucoup plus gravissimes à sa vie privée.
Notons que Valérie Trierweiler peut alléguer que F. Hollande traite le justiciable de base d’édenté (genre pangolin ou paresseux) sans que ce dernier saisisse les tribunaux. Relevons aussi que le site Atlantico (qui salue le retour de Sa Densité) avait repris les mêmes éléments que Le Canard, mais qu’il lui a suffit de retirer le verbatim des enregistrements de Buisson pour obtenir des indulgences. Atlantico n’est cette fois condamné qu’au règlement des frais de procédure.
Atlantico, encore aujourd’hui, déplore d’avoir dû retirer les extraits des enregistrements, qualifiés toujours en ligne d’« informations majeures, d’intérêt général ». Il ne s’agit pas des jugements à l’emporte-pièce de J.-M. Goudard, mais d’éléments bien plus lourds tendant à prouver que la magistrature est soumise à l’exécutif.
Un tribunal fabuliste
Pas trop soumise quand même… Cette fleur faite à J.-M. Goudard semble l’établir. Semble seulement. Car évidemment, cette publication en première page du Canard incite tout le monde à se reporter en arrière, et aux propos d’alors de Goudard, accessibles un peu partout en ligne. Une chatterie de chats faisant la chattemite, tel peut être aussi perçu ce jugement écornant la sincérité du Sarkozy nouveau, beaucoup plus franchement disert devant un Buisson qu’à l’étrange lucarne. Pour un peu, on en vient à penser que le Goudard a été utilisé par le tribunal tels, la formule est dense, mercurienne, des « homosexuels contre les familles » (du Goudard aussi, cette trouvaille osée de Sarkozy ?). Celles de la Droite forte et quelques autres qui se voient rappeler leur duplicité. Du Canard, de Goudard et des familles sarkozistes élargies, qui sont donc la belette et le petit lapin ?
D’ailleurs, la question se pose fortement. Louis-Marie Horeau est-il tant outré par cette publication qu’il estime (un peu vite, a-t-il vraiment fouillé toutes les archives du siècle passé ?) inouïe, première en son genre ? Car Le Canard saisit l’occasion de souligner l’étrange assertion du tribunal pour qui les propos de J.-M. Goudard, ainsi reproduits tels, n’avaient « pour seul objet que de satisfaire la curiosité d’un certain public pour les commérages ». Mais non, le certain public, dont je suis, a appris ô combien les courtisans sarkozistes sont duplices, peu soucieux de l’intérêt commun, puisqu’ils acquiescent, en assortissant de louanges leurs courbettes, un choix princier préjudiciable pour la Nation (qui n’a pas à s’encombrer de ministres d’un niveau présumé si bas).
Le Canard, grâce aux canetons fidèles, envisage le recours en cassation, voire devant la Cour européenne. Lesquelles ne seront sans doute pas enclines à dire que démontrer qu’on prend le petit peuple pour des imbéciles est sain, de bon aloi. Le risque d’un nouveau râteau judiciaire est grand. Mais le prendre est à peu près tout ce qu’il nous reste de dignité.
Déférence et mépris
Il faut voir comment nos grands hommes se considèrent. À propos de Bruno Le Maire, tout à fait publiquement, Hervé Mariton se voit décerner une « noix d’honneur » du Canard pour ses déclarations au Point. Sa Densité ne serait pas chaude pour débattre avec « Ducon ou Durien ». Sa Densité veut tellement débattre avec les édentés et les gens de riens qu’elle est prête à claquer leur pognon en organisant des référendums en veux-tu-en-voilà. Mais débattre avec un Le Maire (et qui d’autre ? Un Juppé, un Fillon ?), pour Mariton, interprète de la Haute Densité, du Soleil libéral lancé à toute blinde sur les rails de la compétitivité et de la grandeur nationale, c’est négligeable, une perte de temps. Apparentement terrible que ces deux petits pavés qui auraient gagné à se jouxter en première page de l’hebdomadaire du mercredi.
Mariton va mettre une sacrée ambiance dans les dîners chez les Ducon-Durien. Mais allez savoir, une si belle répartie, quel est le Goudard la lui ayant soufflée dans l’oreille ? Et pour combien, et rétribué par qui ? Si j’étais à ses yeux un Ducon-Durien, quel tribunal prendrait en compte ma feinte – car j’ai le cuir tanné – douleur morale ? Pourtant, Sa Densité l’a bien compris, je suis en souffrance, déboussolé, tel un chrétien nazaréen ou un Kurde d’Irak ou de Syrie en exode… Sa Densité va me soulager de mes écrouelles, mais un tribunal, qu’en a-t-il à faire ? Cass’-toi, pôv’ Ducon-Durien… Cela ne vous remémore rien ?
Doucereux jugement
Non, faut-il croire, puisque selon un opportun sondage pour Le Figaro, nous serions 51 % à gober le Sarko nouveau, nouvelle densité, encore plus enrichi aux généreux enzymes compatissants. Du grand Goudard peut-être… À présent, Sa Densité rase encore plus blanc, tel un Bic jetable (fameuse publicité pour les rasoirs Bic, clin d’œil à la pub des lessiviers).
Voici donc Goudard blanchi et son douloureux derme apaisé. Le Canard ne s’en est nullement échaudé. Il est toujours vivant et son titre (« Publication judicieuse ») vaut double-entendre, comme l’estimeraient les Anglo-Saxons. Pas besoin d’un référendum pour vérifier si les canetons savent lire entre les lignes, nul besoin d’examen clinique pour les présumés (à tort) trépanés.
François Bayrou avait lancé au « nul » Xavier Darcos un fameux « ne faites pas le doucereux ». Avec cette insolite publicité qui remémore tant à MAM, Bachelot et Darcos (et au « calamiteux ,»; garde des Sceaux, Michel Mercier) en quelle estime l’entourage de Sa Densite les tenait, le tribunal a joué à chat-bite avec Sarkozy. C’est rappeler au bon peuple les intérêts primordiaux de Sarkozy et de Carla Bruni (« nous avons une maison en location alors qu’on a trois appartements de fonction »), laquelle a depuis retrouvé ses si regrettés « contrats mirifiques ». « Mon avenir, c’est de redevenir Monsieur Ramirez à la caisse » (Sa Densité se voyant en entraîneur de son gagneuse vantant des antirides).
Chez les Ducon-Durien, entre poire et fromage, il s’en trouvera bien une ou un disposant de l’intégrale des enregistrements de Buisson pour promettre la relecture de bonnes feuilles au dessert. Or, Le Canard et Atlantico ont sérieusement expurgé, mais les transcriptions restent. De la bande des communicants de l’époque, seul Buisson a été écarté des locaux du 77, rue de Miromesnil, le siège de l’actuelle campagne de Sa Densité (Giacommetti, Goudard, Franck Louvrier, et Emmanuelle Mignon, catholique traditionnelle encore proche de La Manif pour Tous, s’y retrouvent fréquemment). Ces transcriptions éclairent, en beaucoup plus lourdement épais que ses allocutions et interventions publiques, le fond de la pensée de Nicolas Sarkozy.
Résurgences décomplexées
L’époque est à l’immédiateté, au déballage. Depuis cette affaire d’enregistrements, nous avons eu le livre de Valérie Trierweiler et, plus récemment, celui d’Aquilino Morelle, ex-conseiller politique de François Hollande, quelque peu Cahuzac à ses heures (donnant des conseils rétribués au privé alors qu’il restait inspecteur des Affaires sociales). Claude Guéant, quittant l’Élysée, a détruit, dit-on, toutes ses archives. Mais, s’il se trouve écarté du cercle du néo-Sarko, qui se veut montré entouré d’une toute jeune garde, la mémoire pourrait lui revenir…
Or, à présent, c’est du saignant. Aquilino Morelle, évoquant François Hollande, évoque « l’enfoiré ». Une Nadine Morano avait commencé quelque peu à se lâcher, déçue qu’elle était de se sentir négligée par le Sarko renouvelé (ou plutôt, ressourcé). De même que Rachida Dati, elle a sans doute reçue des assurances, et ne distille plus que des éloges. On a jeté ses chaussures à la figure d’Aquilino Morelle, mais les escarpins aux talons aiguille contondants n’ont pas encore fusé, affutés, en direction de Sarkozy. Les godillots et brodequins aussi. On verra si le Jérôme Lavrilleux de l’affaire Bygmalion sera exclu de l’UMP si on ne lui promet pas de ressurgir dans la future formation renommée au goût du jour selon les conseils d’un Goudard. Il avait annoncé que, pour le moment, il se taisait. Une décision aurait été prise, jeudi dernier, sur son sort, et une commission spéciale prendra son temps pour instruire une procédure qui transformera ou non l’exclusion temporaire en rejet définitif. Si cela se trouve, lui aussi dispose d’enregistrements. Dont un tribunal décidera ou non du retrait après publication. Mais s’ils existent, celles et ceux sachant s’en servir sauront les faire ressurgir. Il n’y a plus que la droite à être décomplexée, pratiquement toute la classe politique frustrée dans ses ambitions s’y met.
Le Palmipède titre « Sarko :“Avec moi, les affaires vont reprendre” ». Les ventes de l’hebdomadaire vont retrouver leur croissance. Les bisbilles seront aussi montées en épingle. Tenez, pour la droite, la présidence du Sénat devrait lui tomber toute crue dans le bec. Du coup, on voit Raffarin se faisant prendre en photo en train de danser avec Nadine Morano. Tête de Philippe Marini, son très sarkozyste concurrent, et de Gérard Larcher, lui aussi candidat…
Dans son Une envie de vérité, Cécilia Attias s’était gardée de traiter des rapports de son ex-mari avec ses adversaires à droite, ou ses collaborateurs : « Tout cela appartient à une histoire qui n’est pas la mienne, et je ne souhaite pas en parler… ». D’autres n’auront pas, ou plus, cette pudeur.
P.-S. – incidente médialogique… On peut espérer qu’en sa grande sagesse, la Cour d’appel a bien pressenti que la direction du Canard se montrerait solidaire avec son journaliste, Didier Hassoux, et ne lui infligerait pas de verser partie des dommages et intérêts exigés. Mais la décision est quand même singulière. Didier Hassoux a surtout été un petit rapporteur et la direction de la publication a sans doute totalement assumé sa décision de publier ce qu’il communiquait. En général, les cas où un journaliste est solidairement condamné sont rares. Qu’en serait-il si, au lieu d’une publication disposant de 120 M€ de réserves, il s’était agi d’une autre, régionale ou locale, aux finances branlantes, ne pouvant que rétribuer au lance-pierre ses pigistes ? D’une part, elle mettait la clef sous la porte, de l’autre, elle ne pouvait, après un tel coup dans l’aile, voler au secours de son collaborateur. Lequel se serait retrouvé saisi, alors qu’il n’avait aucunement tenté de duper sa rédaction en chef, ni falsifié quoi que ce soit (l’avocat de Patrick Buisson a reconnu que les reproductions des enregistrements étaient authentiques). Mais effectivement, pourvu qu’elle ne lui coûte rien, selon les termes de Louis-Marie Horeau, pour Didier Hassoux, « cette sanction, qui se voudrait infamante, se porterait plutôt à la boutonnière ». Voilà un confrère qui a de la ressource et dont la réputation en sort grandie.
Sur Bygmalion, un Sarkozy déclarant qu’il avait eu, tout au long de sa présidence et antérieurement (voire ultérieurement), « [i]la tentation de tout vouloir faire moi-même, parce qu’on a une difficulté à déléguer [/i]», a rapidement enchaîné et assenant qu’il n’avait appris le nom de la firme que « longtemps après la campagne présidentielle ». L’expert-comptable de la dite campagne, s’adressant « [i]au candidat[/i] » et tirant formellement la sonnette d’alarme dans une note écrite, ne s’était donc pas aperçu de la fameuse tentation occultant la difficulté à déléguer.
Allez, peut-être que Bygmalion était désignée par un nom de code au cours de la campagne. Au point d’en oublier l’appellation sociale de la firme aux comptes truqués. Si Bygmalion n’était pas « un système dédié à Sarkozy » (bel emploi de la troisième personne dite de majesté), à qui donc était dédié le système ? À un sous-fifre du nom de Copé ? Ah non, il a été, selon Sarkozy, injustement sali et Sa Densité aura encore besoin de lui. Et puis, bien sûr, c’est dans la presse – qu’il ne lit que très distraitement – que Sarkozy a appris que l’UMP avait réglé à sa place l’amende personnelle qui lui incombait. D’ailleurs, depuis, il songe à rembourser mais… il déléguera à la société succédant à Bygmalion, car, à présent, il délègue.