Concluant sa présentation du rapport Jospin sur la Rénovation de la vie publique, Stéphane Alliès, de Médiapart, résume : « La VIe République sera pour plus tard ». Timide, ce rapport ? Certes, et Dominique Rousseau, universitaire, membre de la commission, pointe un manque d’audace, un alésage destiné à emboîter les propositions de campagne de François Hollande dans un conduit acceptable par la classe politique. Timoré ? Corseté ? Si les propositions retenues ne passent pas à la trappe ou ne seront pas fortement édulcorées, l’opinion, qui n’en espère sans doute plus tant, sera au moins pour un temps apaisée. Sans doute, peut-on espérer, portée à exiger plus et mieux du président élu (ou réélu) en 2017.  

Tout s’estime par rapport à une vision idéale, la perception du possible, et l’expérience du réel, soit, en l’occurrence, le ressenti des pratiques de la précédente majorité parlementaire. Sortant d’un quinquennat marqué par la morgue d’un président et de son entourage, la mise au pas du pouvoir judiciaire et le total dédain de maintes aspirations populaires, l’adoption pleine et entière des propositions de la commission Jospin peut ouvrir la voie à une réconciliation de l’opinion avec la classe politique.

Idéalement, on pouvait s’attendre à beaucoup, beaucoup mieux. Ainsi qu’aux sages d’une haute autorité de déontologie se joignent des citoyens tirés au sort.

Ou à ce que le Conseil économique et social, faute d’être supprimé, soit non seulement refondé mais rendu largement moins dispendieux : pourquoi faire payer deux fois des travaux déjà précédemment rétribués ?
Ou faire accomplir par ce conseil des tâches qu’élus, syndicats, socioprofessionnels devraient se charger dans le cadre d’instances le plus souvent juteuses, subventionnées, rémunératrices ?

Perçu telle une sinécure pour retraités méritants ou à écarter d’instances réellement décisionnaires, le CES, tout comme le CSA (audiovisuel) a été totalement écarté des travaux de la Commission chargée de la rénovation et de la déontologie de la vie publique. C’était, paraît-il, hors sujet.

Lionel Jospin aurait exercé un magistère d’instituteur évitant les digressions, ramenant l’ordre dans la classe, s’en tenant au strict programme (propositions de campagne présidentielle, cinq questions dictées par l’Élysée), alors même que le mandat de la commission lui permettait aussi de « formuler toutes autres recommandations qu’elle jugera utile ».
Selon Dominique Rousseau, professeur de droit, qui s’est confié à Médiapart et a rédigé une annexe au rapport sous forme « d’opinion séparée », la commission a été bridée pour s’en tenir à un objectif « d’opérationnalité immédiate », soit, en clair, au strict possible susceptible d’être adopté par une majorité respectant les consignes de la présidence de l’Assemblée et du président du groupe parlementaire socialiste.
Si ce n’était que cela, par exemple sur la question du non cumul des mandats, ce serait déjà beaucoup par rapport à l’état antérieur.

Il a été débattu du statut pénal du président de la République. Si la mesure avait été adoptée, on n’aurait certes pas traîné Nicolas Sarkozy devant un tribunal pour rendre des comptes sur sa décision d’intervenir en Libye, mais tout comme Jacques Chirac aurait dû véritablement l’être, il resterait responsable devant un tribunal ordinaire de tout acte distinct de sa fonction. De toute façon, la Cour de justice de la République, qui juge élus et membres du gouvernement, si le rapport passe, est vouée à la dissolution.

Un président, des parlementaires plus représentatifs

Un candidat à la présidentielle devrait réunir 150 000 signatures provenant de 30 (ou 50 ?) départements, tous les bureaux de vote fermeraient à 20 heures, et l’élection des députés, fixée à février, s’achèverait au plus tard trois semaines après celle du président de la République.

Une soixantaine de députés (« 10 % maximum des députés élus ») seraient issus de la proportionnelle. Sans doute, dans les faits, au mieux une trentaine pour les plus plus petites formations (si PS et UMP réunissaient la moitié du total des exprimés).
Il n’est pas exigé que la parité soit strictement respectée pour les candidatures, mais les amendes financières seraient augmentées pour les partis ou formations aux listes non paritaires. Il n’a pas été entré dans les détails du financement public des candidatures ou des partis, alors que sa suppression avait été avancée.
De fait, imaginer des campagnes de proximité immédiate, à la Mélenchon ou Royal, amputées des grands meetings très lourds à financer aurait navré imprimeurs, publicitaires, transporteurs, &c.
Et peut-être réduit les petites formations à devoir âprement négocier des miettes auprès des plus grandes. Ou des subsides, comme Christine Boutin, du Parti chrétien-démocrate.

Cumul limité et bénévole

Il n’a pas été question du vote des étrangers aux élections territoriales ni d’un seul d’inéligibilité de dix ans pour les élus pénalement condamnés pour corruption. Mais il serait question d’élire à la proportionnelle les trois sénateurs des départements obtenant ce quota. Conseillers régionaux et généraux seraient mieux représentés dans le collège électoral sénatorial. L’avancée est faiblarde et la représentation des Français de l’étranger dans les deux chambres n’est pas remise en cause. 

Ces élus nationaux, ne pouvant plus cumuler que des mandats de simples conseillers municipaux, intercommunaux et généraux, à titre strictement bénévole (ce qui limiterait fortement les ambitions nationales de maires, adjoints, vice-présidents, &c.), se verraient soumis à la scrupuleuse attention des scrutateurs d’une Haute Autorité de déontologie.
Malheureusement constituée de magistrats n’attendant certes plus d’avancement et de personnalités qualifiées nommées par la classe politique et non tirées au sort, cette autorité veillerait à la prévention des conflits d’intérêts découlant de l’activité professionnelle ou du patrimoine. Mais elle pourra être saisie par presque tout un chacun, et c’est beaucoup mieux.

Notons aussi qu’un avocat ne pourra plus siéger au Conseil constitutionnel et que si la possibilité qu’un ancien président de la République y figure, ce ne sera plus de droit et à vie. On est loin d’une Cour constitutionnelle à l’américaine ou d’un tribunal constitutionnel fédéral à l’allemande.

Dérision ?

Dans le préambule de son « opinion séparée », Dominique Rousseau fait part du décrochage des citoyens, qui ignorent la vie publique autant que ses acteurs les négligent. « Désenchantement, dérision, fatalisme, indifférence, colère, indignation, violence s’entremêlent et donnent ses figures et ses mots aux populismes. ». « Fracture (…) – pour l’instant – silencieuse ».

Conclusion : « C’est pourtant sagesse d’être audacieux dans les moments où la démocratie est en crise. ».

Dans les recommandations que la commission n’a pas jugé utile d’aborder figurent, en creux donc, la rétribution réelle des élus (sauf en cas de cumul). C’est fort dommage. C’est même essentiel. De même que la limitation de l’âge des élus, de la limitation des mandats à deux consécutifs, cette question de la rémunération (et des nombreux avantages liés aux fonctions), est cruciale.
On pourrait rétorquer que seuls des fonctionnaires, ou des patrons dont les affaires peuvent marcher toutes seules, seraient candidats.
Cela valait sans doute lors des Trente glorieuses. Mais lorsqu’un simple conseiller général, dans un département un tant soit peu peuplé, empoche le double de ce que parfois la majorité de ses administrés perçoivent, comment – sachant qu’en sus il dispose de divers avantages – il ne se conçoive pas progressivement détaché de leurs contingences ?
Cela vaut tout autant d’ailleurs pour les vedettes des médias. Tout contribue à notabiliser puis enfermer dans un entre-soi, celui des classes moyennes, puis supérieures.
Cela vaut pour (presque) toutes les formations, hors extrême gauche, autrefois le PCF, et encore…

Populiste, cette suggestion ? Je n’accorde guère de crédit à l’homéopathie, mais dans certains cas, le mal guérit du mal.

Le non-cumul des mandats devrait être étendu aux quasi-prébendes. On l’a vu dans le cas de Florence Lamblin, élue municipale EELV, plus ou moins stipendiée par le Conseil régional d’Île-de-France via le Lieu du Design. Ce n’est pas l’exception, c’est même plutôt la norme.

Moins rémunérer les élus, guère davantage que leurs assistants (parfois membres de la famille, comme pour certains sénateurs), priverait-il tant la représentation nationale d’esprits brillants ? Les doctorants voués au chômage forment déjà une petite légion, les cadres, y compris supérieurs, déclassés, reconvertis ou non, sont pléthore, et même Science Po ou les grandes écoles (hors celles d’ingénieurs, et encore…) ne casent plus automatiquement les trois-quarts de leurs promotions.

Critiques de bon aloi…

L’audace de Dominique Rousseau n’est pas allée jusque là. Il ne doit plus trop fréquenter d’avocats qui vivotent… C’est d’ailleurs peut-être pour cela que ce membre de l’Institut universitaire, d’une académie internationale, &c., s’est retrouvé exclusivement avec d’autres universitaires éminents et des politiques à siéger dans cette commission.
Mais son diagnostic est juste. L’absence totale d’universitaires aurait été aussi dommageable que celles de juges aux côtés d’un jury populaire (même si, trop souvent, les magistrats manipulent les décisions des jurés).

« Lionel Jospin voulait mesurer la qualité du rapport à sa faisabilité immédiate, » estime-t-il pour Mediapart. Espérons que la suite ne le prouvera pas lui-même trop audacieux. Il est clair que, sans la pression de la rue, les politiques ne seront guère prompts à s’amender eux-mêmes.

Il semble même que certaines mesures aient été obtenues au forceps par les universitaires ou membres de la société civile, les politiques faisant valoir que leurs pairs « n’accepteront jamais cela » dès qu’une mesure leur paraissait aller à l’encontre de leurs intérêts. Et même, chez certains, « anticiper les désirs politiques » les a peut-être conduits à « s’autocensurer ».

Cela ne les disqualifie pas. Dominique Rousseau considère que, sur la proportionnelle, un système allemand (proportionnelle intégrale et prime à la majorité) serait à présent viable en France et ne conduirait à un retour des pratiques de la IVe République (des majorités très instables, de circonstances). Les alliances entre Front de Gauche, ce qu’il reste du centre, et l’UMP, peuvent en faire douter socialistes et élus Verts.
La société serait « devenue fluide politiquement » alors que la représentation majoritaire « encourage un comportement de parlementaires godillots » (expression un peu désuète, évoquant les parlementaires gaullistes allant voter en marquant le pas tels des soldats caporalisés par leur chef de groupe). Admettons.

Payés silhouettes ou figurants ?

Pour lui, l’interdiction totale du cumul des mandats électifs aurait pour avantage de renforcer, comme en Allemagne ou Espagne, la présence des parlementaires en séances (sans doute aussi en commissions). Peut-être. Je ne sais pas si Marine Le Pen rate autant de séances du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais que de sessions du Parlement européen, ou si Rachida Dati passe le plus clair de son temps en sa mairie, mais je me demande si une limitation annuelle des dépôts de gerbes devant les monuments aux morts et des chapitres solennels des confréries gastronomiques et vineuses ne serait pas plus efficace.
Les parlementaires y jouent trop souvent des rôles de silhouettes (figurants muets) auxquels on accorde des répliques. « Détail » amusant. Le Sénat vient d’adopter le jour du cessez-le-feu en Algérie pour une cérémonie à la mémoire des « victimes civiles et militaires » et non des seuls « morts pour la France ». Primordial ! Et on veut saisir le Conseil constitutionnel, sans rire, ni se demander ce qu’il en coûtera. En fait, il pleut souvent un 19 mars. Mais c’est moins froid qu’un 5 décembre (date actuelle). Mais comme les retraités sont trop sollicités ailleurs entre mai et fin septembre, hein ! Et on ne voudrait pas se priver d’un petit contingent d’enfants des écoles…

Le protestataire policé plaide – à l’inverse de ses collègues – pour le cumul des mandats de sénateurs et d’élus territoriaux. C’est assez logique, mais les rendre membres de droit des réunions des municipalités (regroupant les seuls adjoints), des séances des vice-présidents d’assemblées territoriales, suffirait sans doute amplement, dans les mêmes conditions de bénévolat que les députés (si la mesure passe).

« Même si nos propositions avaient été jugées ambitieuses et n’avaient pas été reprises immédiatement par les politiques, elles auraient pu germer dans l’opinion publique, pour ressortir plus tard, », regrette Dominique Rousseau.
Pour les siennes, elles font leur chemin, espérons que celles d’autres membres de cette commission, encore plus radicales s’il en fut, soient rendues publiques. Mais c’est bien là l’essentiel.

Tout cela pour ça ?

Oui, c’est timide. Non, ce ne fut pas superflu. L’opinion n’attendait pas grand’ chose, mais elle a peut-être été portée à s’intéresser à des questions qu’elle estimait tranchées d’avance. Les ratés de la commission (surtout si ses recommandations restent ignorées) ressurgiront.
L’UMP a déjà commencé son travail de sape, et hormis Rama Yade, qui a trouvé l’occasion de se démarquer et de se faire valoir, personne ne s’enthousiasme dans la sphère politique.
Cela étant, Valérie Pécresse a fort raison de faire valoir que le nombre des niveaux administratifs ou décisionnaires (donc des mairies, collectivités, &c.), et des élus, est excessif. De même que Christian Jacob a été fort bien inspiré de relever que le rapport pouvait laisser sous-entendre que les élus cumulent « pour les indemnités ». De présidences de sociétés d’économies mixtes, quand elles peuvent distribuer de copieux jetons de présence, aussi. Le rapport sous-entend peut-être, mais la cause est largement entendue : oui aux diverses présidences, de ports autonomes, d’établissements gérés par les chambres consulaires, &c., mais sans la moindre indemnité.
Christian Jacob avait aussi estimé que Roselyne Bachelot, siégeant à la commission, ne représentait qu’elle-même. Philippe Meunier estimant qu’elle opérait un « coming out socialiste ». Pour l’UMP, Jospin est aussi « usé » que peut l’être Chirac actuellement.

Gérard Longuet, 66 ans, avec son bras d’honneur à la commission (ce qui vaudra peut-être de nouveau au Canard enchaîné de réitérer son « au moins, le bras, il le plie », donc ne le tend plus), vent debout en faveur du cumul des mandats, espère sans doute récupérer un ou plusieurs postes électifs : on le comprend fort bien.
Les buvettes des assemblées, le coiffeur du Sénat, doivent lui manquer.

Pavé dans la flaque

Il n’y a guère que Patrick Roger, du Monde, pour estimer que ce rapport vaut « pavé dans la mare tant il est porteur d’une profonde évolution des comportements publics. ». Peut-être pour la fin de l’excès de représentation des grands électeurs des petites communes rurales désignant les sénateurs. Parisiennes, Lyonnaises, Marseillais et Nantaises en sont tout tourneboulés, c’est sûr ! Landerneau est atterré ! Vague de suicides à Trifouillis-les-Oies !

Plus important serait un nouveau redécoupage électoral, « plus équitable sur le plan démographique ». Cela étant, 18 députés suffisent largement à Paris, avec trois circonscriptions élisant en élisant chacune six.

Le Front national a bien sûr estimé que la proportionnelle intégrale devrait être la règle et que la dose préconisée – 10 % – est riquiqui. Il n’en a pas moins estimés que certaines mesures étaient intéressantes.

Sophie Verney-Caillat, de Rue89, conclut que « la réduction du nombre des parlementaires et de leurs avantages fiscaux » reste ignorée. On verra si Jean-Luc Mélenchon s’empressera d’embrayer. S’il ne le fait, sa base pourrait finir par l’y obliger.

Dans l’immédiat, l’appel du maire EELV de Sevran (Seine-Saint-Denis) qui réclame que le Parlement dote « les cent villes les plus pauvres de France » de fonds pour rééquilibrer leurs budgets, semble beaucoup plus primordial. C’est, bien davantage que ce rapport, l’événement du jour.
Lequel ne fait pas oublier, bien au contraire, que ce que l’opinion réclame, dans le fonctionnement de la vie parlementaire ou de l’État, c’est d’abord plus d’équité.