Parlons un peu du brassage de gènes avec ou sans gênes que vient d’évoquer Nicolas Sarkozy à propos des racines juives de la France. Voilà au moins un mélange qui, en Bretagne, contrairement à d’autres régions, s’est sans doute effectué sans déplaisir (mais je n’exclue pas un viol ou un autre de jeune juive par l’un ou l’autre de mes lointains ancêtres, ni même la réciproque). De ce point de vue, je ne suis sans doute pas plus, mais pas moins, juif que Jean-Marie ou Marine Le Pen. En tout cas, je ne saurais l’exclure. Un peu noir ou améridien sur les bords aussi ? Sans aucun doute…

Je me souviens d’un mien confrère du Courrier de l’Ouest, basé comme moi à Niort, ville limitrophe des Charentes et du Poitou, mais aussi du port de La Rochelle, où, comme en celui de Saint-Malo, bien des marins, et bien des capitaines, ramenaient des épouses de maintes terres lointaines. Il a (j’espère qu’il vit encore), des cheveux crépus, devenus sans doute aussi blancs à présent qu’ils étaient noirs. Et il admettait sans réticence aucune qu’il devait avoir des ancêtres berbères ou arabes.

Je me souviens aussi que, dans les années 1950, une équipe de linguistes s’était intéressée au cas d’une sorte de clan familial qui peuplait certaines îles de la Loire. Leurs voisins riverains les qualifiaient de Rroms, à cela près que le mot de romanichels était sans doute plus fréquemment employé. Ou celui de gitans. Les linguistes avaient déterminé que leur sabir franco-arabo-berbère était très, mais vraiment très pauvre en vocables gitans ou rroms. Eh oui, tous les « arabes » (berbères en majorité), n’ont pas été arrêtés à Poitiers.

J’ai vécu, à Paris, à proximité de Barbès-Rochechouart, sur les hauteurs du Faubourg Poissonnière. Dans les caves, disait-on, avaient été retrouvés les vestiges d’un palais « arabe » remontant au Moyen-Âge. Peut-être s’agisssait-il en fait d’un palais séfarade, car distinguer l’un de l’autre, au vu de forts anciens vestiges, n’est sans doute pas si aisé.

Mais, cap à l’ouest. En notre bonne Bretagne, dont les marches mancelles, des pays de Retz, d’Ancenis, Fougères et Clisson, élargissaient le bassin de population. Comment donc César voyait-il les Pictes, ces anciens Écossais qui combattaient nus et barbouillés de bleu ? Ils avaient, comme on a dit un moment, un type proche de celui du type dit alpin : bruns, plutôts petits, noueux et trapus. Je ne rappelle pas ici combien de gardes écossaises (on dit bien un chevau-léger, on peut bien féminiser garde) ont fait souche en Bretagne, pour la bonne raison que je ne saurais faire d’autre estimation qu’à la louche. Il n’est pas sûr qu’ils aient tous et toutes renforcé le génotype celte de mes concitoyens.

C’est que, comme les Irlandais avant nous, ils avaient subi les invasions scandinaves. Les Norges et les Vikings pratiquaient le repos du guerrier en mettant à sac des couvents de nonnes. Vous imaginez les conséquences neuf mois après leur passage : des petits poil-de-carotte, des mioches rouquines. Ce qui faisait que le génotype berbère, contrairement à ce qui se produisait au sud de la Loire, régressait quelque peu.
Pour les juifs et les juives, je veux imaginer que le brassage des gênes s’est fait en Bretagne sans déplaisir et majoritairement sans violences sexuelles. À présent, alors que la Bretagne s’honore d’avoir eu un maire africain noir de peau grand teint, je veux croire qu’il en est de même avec des Africaines et des Africains, des Améridiennes et des Amérindiens, des Asiatiques, &c.

Il y avait, autrefois, en Europe, une légion thébaine composé très majoritairement d’Africains. On n’en trouve aucune trace dans la recension des légions romaines, mais l’iconographie, notamment en Allemagne, est riche en figures de nobles africains. Une légion fut en tout cas massacrée à Trèves et si nos bons recteurs bretons ne nous ont pas trouvé des reliques de saints africains (quoique… allez savoir…), on peut imaginer sans trop être contredit qu’un survivant ou un autre, un rescapé, aurait pu faire souche en Bretagne. Saint Victor, selon la légende, officier thébain, se serait réfugié à Marseille. Qu’un autre, s’étant lié en Allemagne actuelle avec une Bretonne, ait voulu fuir vers l’ouest n’est nullement plus farfelu que tout autre chose.

Mais que connaît-on vraiment de la composition des équipages et des passagers venus mouiller à Brest, Saint-Malo, et en d’autres ports bretons ? Certes, beaucoup de choses, grâce à des registres. Mais on ne sait pas grand’ chose, et pour cause, des clandestines et des clandestins, parfois progénitures de nos bons marins bretons. Qu’il se soit trouvé des païennes ou des païens issus parfois de fort lointains rivages, voire d’incursions dans les terres, des mulâtres et des mûlatresses, ne fait guère de doute. Or, vous connaissez l’histoire du grain de céréale pose sur la première case de l’échiquier qui se retrouve, multiplié, puissance 64, à la dernière. Croissez et multipliez-vous dit je ne sais quelle littérature importée en Bretagne. Pour les gènes, avec ou sans plaisir, on sait combien ils sont sans gêne.

L’ex-époux de Cécilia Attias, née Cécile Maria Sara Isabel Ciganer, dont les prénoms christiano-judaïques témoignent de singulières origines associées, issue d’Aron Chouganov dit André Ciganer, sait fort bien qu’un de ses fils a des origines bessarabes, juives et tziganes. Rroms, si on préfère. Pál Sárközy, qui a fait franciser son nom en Sarközy de Nagy-Bocsa, Andrée Mallah, fille d’Aaron Mallah, ont fait de singuliers mélanges. Nicolas, Guillaume, François, et Pal, avec Caroline et Olivier, a élargi la fratrie du président de la République française. Pas trop de marins dans la bordée d’ancêtres, apparamment. Pas trop de coloniaux, marsouins ou bigards, contrairement aux aïeux de maintes Bretonnes et Bretons. Partant, moins de mouquères, de négrionnes, de Tonkinoises. Personne n’est parfait. Chez les Sarkozy, on pourrait estimer que le mélange est plus « pauvre » en gènes exotiques que par chez nous autres. Mais on doit compter chez eux comme chez nous une bonne proportion de la descendance de Charlemagne dans nos diverses lignées. Le comte d’Andlau, l’un des très rares si ce n’est le seul descendant en ligne directe du barbu fleuri, compte des milliers, si ce n’est des millions, des myriades de cousines et des cousins, y compris à la mode de Bretagne, sans doute un peu juives ou juifs (ou arabes, ou berbères) sur les bords.

C’est dire si coup des racines juives de la France fait rigoler rue de la Soif à Rennes ou du côté du quai de la Fosse à Naoned. Ou Moutiers ou à la Bernerie, où Nicolas Sarközy vient de nous faire le coup de la compassion et des vilains juges qui font n’importe quoi, c’est la franche rigolade.

Nicolas Sarközy a estimé devant le Crif que « le judaïsme a contribué à l’identité de la France ». Ben, et Astérix, donc. « Chaque Français, quelques soient ses origines, peut en être fier, » a-t-il poursuivi. Lorsqu’il viendra au fest noz de l’Amicale des Bretons de Paris, viendra-t-il nous parler des Pictes, des Scandinaves, des Marrons de la Guyane, des Khmers de l’Indochine ? Nous dira-t-il « l’existence de l’État breton est une exigence de la conscience universelle et jamais les Bretonnes et les Bretons de France n’auront à choisir entre leur conscience et leur patrie » ? Ah la bonne heure s’il se prononce ainsi. On voudra bien, compte tenu de ses goûts, mettre un peu d’eau dans le verre de chouchen du bon voisinage. C’est dire si nous sommes tolérants, mais non laxistes. Le coup de chouchen s’impose. Il est arrivé de faire des dilutions sérieuses pour de rares musulmans, mais pour un voisin français, de plus proto-chanoine d’Embrun et chanoine du Latran, qui ne doit pas trop couper le vin de messe, faut pas pousser la Mathurine Diquero dans les orties, que cela soit bien clair.

Au fait, alors que Marine Le Pen avait dénoncé le bilinguisme des panneaux de signalisation en Bretagne, en rappellant aussi aux Niçois qu’ils étaient Français de plus fraîche date que les Antillais, si Nicolas Sarkozy veut éviter un impair, on lui suggère d’éviter les sujets qui fâchent. Que nous importe d’avoir été annexés avant les Antillais. Nous avons d’autres antériorités, d’autres exigences de notre conscience universelle.

Et il faudrait éviter de faire la confusion entre racines et religions. Pour La Voix du Nord (c’est dire si on n’est pas sectaires et si c’est bien amicalement que nous saluons les Nordistes), Yeves Trémorin a dressé un parallèle entre notre Ankou et des pratiques mexicaines. « Au Mexique, dit-il, j’ai trouvé des points communs avec mes racines bretonnes : présence de la mort, partie intégrante de la vie, religion imposée. Superposée, plutôt, avec les saints plus issus du paganisme que de la chrétienté. ». Ben c’est peut-être que des Bretons, embarqués avec les Vikings, avaient migré du Canada bien au-delà de la Louisiane, mais peut-être ben que non. Faire le coup aux Mexicains de leurs racines bretonnes, voilà un truc que nos druides n’oseraient pas. De même n’oserait-on pas demander à Nicolas Sarkozy de poser aux côtés d’un druide en tenant du gui. Quand nous avons un invité, on ne le fait pas jouer au guignol. Bon, allez…

Kenavo, shalom, salam…