Avant-hier, Kadhafi accusait les Berbères libyens d’être des agents sionistes et ses sbires les prenaient pour des Juifs. Hier, il se trouve des Libyennes et des Libyens pour considérer que Kadhafi se conduit comme un Juif. On peut comprendre que l’opinion israélienne qui, dans un premier temps, s’est effrayée d’une évolution comparable à celle de l’Iran des mollahs en voyant le Maghreb se soulever, soit circonspecte. Israël peut être durablement dubitatif si sa politique étrangère consiste de nouveau à jouer un groupe contre un autre…

Nicolas Lang, de JJSNews, s’inquiète : « La Libye est un pays qui pourrait donner à sa population un niveau de vie décent grâce à ses ressources pétrolières. Mais combien d’années, combien de générations faudra-t-il pour que ces [ndlr. traduisez « ses »] réflexes antisémites disparaissent ? ». On peut comprendre, voire partager, son inquiétude, et admettre que les Israéliennes et Israéliens de bonne volonté se posent des questions, sans trop savoir s’ils doivent se réjouir ou redouter l’issue des insurrections au sud de la Méditerranée.

Israël n’a pas donné un niveau de vie si décent à toutes ses citoyennes et tous ses citoyens, mais la démocratie à l’israélienne vaut la française, soit peu – mais quand même beaucoup, formellement –  ou mieux selon qu’on se trouve démuni ou dans une relative aisance. Mais on veut croire, en Israël, à la bonne volonté exprimée par la veuve du défunt président Annouar Sadate qui assure que le traité de paix israélo-égyptien ne sera pas remis en cause. Pour les conditions, avantageuses pour Israël, de livraison de gaz égyptien à son voisin, il n’en ira peut-être pas de même, et la famille du même Annouar Sadate est sans doute divisée sur ce point.

 

Circonspecte, la presse israélienne semble, comme Haaretz ou The Jerusalem Post, moins alarmiste ces derniers jours. Elle reproduit bien sûr les propos de Benjamin Netanyahu qui exorte la communauté internationale  à se montrer aussi déterminée à l’encontre de l’Iran qu’à celle de la Lybie de Kadhafi, mais la tonalité générale fait sa mue, encore hésitante. Il s’est même trouvé un chroniqueur du Jerusalem Post, Miguel de Corral, pour suggérer que le gouvernement israélien, qui refuse de rencontrer les Palestiniens à Bruxelles, prenne langue avec les Frères musulmans.

L’Amérique conservatrice avait armé les mollahs afghans (et d’autres) contre les Russes, les avait confortés au Pakistan. Le jeu de la droite israélienne avec le Hamas, opposé à une Autorité palestinienne minée par la corruption, n’a pas été si fécond, pour Israël, qu’envisagé. Pourtant, tous les dirigeants et tous les partisans du Hamas ne sont pas forcément d’irrémédiables jusqu’au-boutistes ; certes parce que certains sont corruptibles, mais aussi car il s’en trouve sans doute à espérer de pouvoir aspirer à la paix. Tout comme, en Israël, il se trouve des citoyennes et citoyens conscients de ce que vivent les Palestiniens de Gaza et des Territoires.

La question se pose aussi, en France comme ailleurs, à celles et ceux qui soutiennent les Palestiniens ou les Israéliens mais sont tentés d’excuser les Kadhafi d’Israël ou de Gaza, ou de leur trouver des circonstances justifiant des discours haineux. Le « péril islamique » perd de sa crédibilité alimentée par diverses propagandes. Il faudrait peut-être aussi prendre conscience que la dénonciation du « sionisme » des Faucons israéliens et de certains groupes religieux israélites risque de passer pour une incantation. Le sionisme n’est souvent que de façade. En Israël comme sur le reste du pourtour méditerranéen, il y a des affairistes, de prétendus intellectuels à leur service (tout comme en France, pour ne citer que ce pays), et des relais politiques au service d’intérêts privés qui véhiculent un discours idéologique commode et réducteur. Ce qu’on peut espérer des insurrections populaires, qui pourraient, sait-on jamais, se produire aussi – sans aucun doute différemment – en Israël, voire en d’autres pays, c’est qu’elles ne susciteront pas de sitôt un nouveau clientélisme. On veut aussi espérer qu’il ne sera pas le fait de groupes visant à susciter des conflits (et il suffirait de peu pour que, si la Tunisie n’est pas assez soutenue pour faire face à un flot de réfugiés égyptiens et autres, des meneurs xénophobes trouvent des financements pour donner de la voix). Le temps est venu d’une remise à plat des perceptions de « l’autre ». Tentons de faire en sorte que les bonnes intentions ne soient pas dévoyées. Mais, pour l’éviter, il faudra sans doute mieux prendre en compte les aspirations à une véritable justice sociale. Cela ne vaut pas que pour Gaza. Ni que pour les quartiers et cités les plus pauvres d’Israël. Ce n’est pas que dans la bouche de Kadhafi qu’on a entendu des discours délirants comme celui qui visait de présumés haschichins d’Al-Quaida. Leurs versions édulcorées, nous les entendons encore en France et ailleurs. Feront-ils, ces discours, durablement illusion ? Souhaitons que non.

 

Breizh Israël, et le groupe Breiz Atao, qui s’en est pris récemment à Yannick Martin, sonneur d’origines aussi africaines, du Bagad Kemper, nous remémorent que nul n’est à l’abri de dérives à caractère xénophobe plus ou moins affirmé, revendiqué. Faute de pouvoir les éradiquer, sachons au moins les contenir, en leur apportant une réponse adaptée…