Des groupes Facebook créés en l’honneur de Tony Musulin et de Jean-Pierre Treiber, diffusion du diptyque « Mesrine » de Jean-François Richet sur Canal + les 20 et 27 novembre… L’actualité récente nous rappelle qu’il existe, en France comme ailleurs, un véritable engouement d’une partie du public comme des médias pour les « hors-la-loi ». Comment expliquer ce phénomène ?

Une question simple, mais qui appelle une réponse complexe. Bien sûr, on peut d’abord dire qu’il y a cette vieille tradition consistant à prendre le parti de Guignol contre le gendarme, et à considérer le « hors-la-loi » comme un rebelle en opposition à un appareil d’Etat forcément injuste, répressif, fascisant (rayez les mentions inutiles). (1)

Pour susciter l’intérêt, il est préférable que l’intéressé (qu’il soit un truand, un tueur en série, etc.)  sorte des sentiers battus ; indiscutablement, Jean-Pierre Treiber et Tony Musulin se classent dans cette catégorie : « Parce qu’ils ont réussi des coups fumants. Une évasion rocambolesque pour l’un et un détournement de fonds d’anthologie pour l’autre. Au nez et à la barbe des institutions : matons, vigiles, et flics et tout poil. Incapables de les empêcher d’agir. » souligne Christian Navis dans un récent article. (2)

Dans le registre des « coups fumants », des malfaiteurs comme Jacques Mesrine et Albert Spaggiari n’étaient pas mal non plus, le premier avec son évasion de la prison de la Santé le 8 mai 1978, le second avec le « casse du siècle », celui de la Société générale de Nice le 19 juillet 1976 ; consciemment ou non, un journal comme « Paris Match » avait beaucoup fait à l’époque pour les transformer en vedettes.

Dans un autre créneau, Henri-Désiré Landru sortait lui aussi des sentiers battus et de la rubrique des chiens écrasés : faut-il rappeler ici que, durant la décennie 1910 ce petit homme mais grand séducteur a fait disparaître dix femmes et un adolescent sans qu’on retrouve un seul cadavre ?

Figure populaire de l’immédiat après-guerre, ce criminel hors-série recevait dans sa cellule « des propositions de mariage par dizaines, des paquets de bonbons, des boîtes de cigares » et « aux élections législatives du 16 novembre 1919, on [avait] trouvé dans les urnes quatre mille bulletins portant son nom », selon un de ses biographes, le journaliste Christian Gonzalez. (3)

Enfin, l’honnêteté oblige à reconnaître que l’engouement pour le « hors-la loi » s’explique aussi par l’appât du gain, tout bêtement. On connaît les T-Shirts à la gloire du convoyeur Tony Musulin, en vente sur le site http://www.abrutishirt.com/ ; ce qu’on sait moins, c’est qu’en novembre 2008, un site de jeux en ligne proposait de défier « Vincent Cassel alias Mesrine » au poker. (4) Parmi les lots à gagner : la BO du film, soit un album de vingt titres en hommage au criminel, signé par la fine fleur du rap français. 

Outre-Atlantique, on est allé plus loin encore avec le tueur en série Ted Bundy, qui a eu droit à un hamburger et à un cocktail à son nom dans les cafés et restaurants américains !

Entendons-nous : que l’on puisse éprouver une certaine admiration pour un hors-la-loi qui a commis son spectaculaire forfait « sans arme, ni haine, ni violence », comme Tony Musulin ou Albert Spaggiari, je peux à la rigueur le comprendre, à défaut de l’approuver. (5)

Mais les autres, ceux qui sont impliqués dans des crimes de sang ? A propos de la « Bundymania » qui régnait aux Etats-Unis, les écrivains Daniel Pujol et Thierry Simon expliquent : « Et les victimes, leurs parents, leurs proches ? Eh bien, les victimes, ce sont les victimes, c’est-à-dire des figurants silencieux, des objets et non pas des sujets du spectacle. » (6)

C’est bien là tout le problème. Les admirateurs de Jean-Pierre Treiber feraient mieux de ne pas oublier que de lourdes charges pèsent sur leur idole, et que les familles des malheureuses Géraldine Giraud et Katia Lherbier n’ont pas dû tellement apprécier qu’on compare cet homme à Robin des Bois.

Quoi qu’en pensent ses défenseurs, Mesrine avait bien du sang sur les mains, notamment celui de deux gardes forestiers canadiens tués  le 10 septembre 1972. Quant à Ted Bundy, tout beau gosse qu’il était – comme Landru, il recevait nombre de lettres d’admiratrices en prison  faut-il rappeler qu’il fut le violeur et/ ou l’assassin de 32 jeunes femmes, dont une fillette de douze ans, la petite Kimberley Leach ? Certains ont du verser de chaudes larmes lors de son exécution sur la chaise électrique le 24 janvier 1989, mais je ne suis pas certain que les familles des victimes partageaient ce sentiment.

Bien sûr, on me rétorquera que la fascination pour les criminels n’est pas un phénomène nouveau, et qu’il ne risque pas de disparaître de si tôt ; en clair, il faut « faire avec ».

Il n’empêche : le fait que des tristes sires tels que ceux cités dans cet article puissent être l’objet d’une vénération laisse un profond sentiment de perplexité, et de consternation. Un sentiment qui ne risque pas de s’éteindre quand on sait que le meurtrier pédophile Marc Dutroux lui-même, un des hommes les plus haïs de Belgique, « dispose d’un fan-club qui lui adresse régulièrement de l’argent, des peluches et paie ses abonnements aux journaux », un fan-club à qui il fait croire que les vrais assassins « courent toujours dans la nature ». (7)

 On a les héros qu’on mérite.

 

(1) Sur le sujet, voir le livre de Me Gilles-William Goldnadel « Les Martyrocrates Dérives et impostures de l’idéologie victimaire », Paris, Plon, 2004.

 

(2) Consultable ici :

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/quand-guignol-rosse-le-gendarme-64751

(3) « Monsieur Landru », Paris, Fleuve Noir, 1993, p. 183 (réédition : Genève, Scènes de crimes, 2007).

(4) http://unibetspecial.com/mesrine/mesrine.swf

(5) Même i Spaggiari ne faisait pas non plus dans la dentelle en matière de provocation ; voir à ce sujet le livre du commissaire Lucien-Aimé Blanc (en collaboration avec le journaliste Jean-Michel Caradec’h) « L’indic et le commissaire », Paris, Plon, 2006, p. 191.

(6) « Ceux qui aiment tuer Tueurs en série : une tragédie américaine », Paris, Jacques Grancher, 1994, p. 95.

(7) Paul Bertrand, « Marc Dutroux a un fan-club très généreux », « Le Parisien », 2 mai 2008, p. 13.