L’opinion risque de ne pas trop comprendre en quoi les questions prioritaires de constitutionnalité vont permettre aux justiciables les plus ordinaires d’obtenir de meilleures garanties. En revanche, les justiciables, qui sont aussi des contribuables, commencent à comprendre : tout cela va coûter fort cher. Et s’ils sont victimes d’abus de confiance ou de biens sociaux, ils ont quelques soucis à se faire.
Prononcé le 8 mars dernier, le jugement motivé par Dominique Pauthe, Cécile Louis-Loyant et Marina Igelman, les juges du procès Chirac de Paris, n’était pas encore parvenu hier soir à François Bayrou, président du MoDem, qui avait qualifié la QPC de « bombe civique en préparation ». Ce du fait du débat sur la prescription (trois ans, à partir de la révélation des faits, actuellement), pour de multiples affaires qui ne sont pas forcément que financières. Hier soir, il se montrait moins véhément. « Je pense qu’il y a un vrai risque, j’espère aussi qu’il sera conjuré… », me confiait-il dans les travées du salon du Livre. Conjuré… populaire ? Il se peut surtout que la classe politique se refuse à laisser croire qu’elle s’auto-amnistie et arrange les affaires de ceux qui la financent.
La question du filtrage de la recevabilité de la QPC par les tribunaux, puis par la Cour de cassation si elle lui est transmise, avant examen du Conseil constitutionnel, risque pour le moins d’interloquer l’opinion.
Pour qu’un tribunal transmette à la cour de cassation, il faut des éléments nouveaux et sérieux. Sauf à être des juristes aguerris, bien peu de gens, même congrus en droit, seraient capables de commenter le jugement du procès Chirac, volet Paris. Volet Nanterre (l’affaire des HLM), c’est encore plus surprenant puisque diverses questions étaient soulevées, par Me Le Borgne, qui a fait « passer » les siennes, par Me Jean Veil, qui s’est fait retoquer la sienne. Thierry Gaubert, son client, se voit donc privé de QPC. Pourtant, la procureure Marie-Aimée Gaspari avait estimé que les trois QPC étaient recevables puisqu’elles faisaient « naître un doute raisonnable ».
Eh bien, n’en déplaise à Me Le Borgne, l’opinion doute de manière peut-être irraisonnée.
Elle continue de voir, jusqu’à ce que ces questions soient examinées par la Cour de cassation, dont on ne peut préjuger de la réponse, des manœuvres procédurales dilatoires. « Nous assistons à une instrumentalisation des QPC dans une stratégie d’évitement et d’impunité, » avait tonné, à Nanterre, Me Joseph Breham, partie civile. Pour le volet Paris, la Cour de cassation peut se prononcer avant le 14 juin prochain, au soir de cette date au plus tard.
Et quand on connait l’état déplorable des finances judiciaires, les audiences qui se déplacent de salle en salle faute de micros en état de fonctionner, les délais, les encombrements des greffes, on commence aussi à se dire que tout cela commence à devenir très coûteux.
Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel, a eu l’élégante idée d’adresser une circulaire à l’ensemble des avocats de France et de Navarre. Plus de 40 000 plis sont partis du Conseil constitutionnel, renfermant une lettre fort courtoise et un CD-ROM consignant l’ensemble de la jurisprudence du dit conseil depuis un an. Jean-Louis Debré vantait le site de son institution. Fort bien. Un courrier aux bâtonniers (180 lettres, donc) n’aurait-il pas suffi ? Accompagné ou non d’un CD-ROM qu’ils auraient ou non dupliqué ? La République est bonne fille… avec La Poste.
C’est tant au justiciable qui voudrait actionner abusivement la QPC qu’au contribuable (et au consommateur réglant la TVA) que cette fameuse question si « prioritaire » va coûter d’abord. Au profit de tout le monde ? Formellement, oui. Dans les faits ?
Me Le Borgne n’a pas tout à fait raison, la presse ne « crée pas le scandale ».
Elle est petite, mesquine, et proche des sous de son lectorat. Lequel, croit-on, ne le lui reproche pas si violemment.
En tout cas, le procès Chirac, volet Paris, ce sera de nouveau une douzaine de demi-journées d’audience. De quatre à cinq jours minimum.
À comparer avec les affaires des audiences en « flag », expédiées à la louche, quand ce n’est à la pelleteuse. Croit-on que les questions prioritaires de constitutionnalité y seront examinées avec tant de… quoi ? Complaisance ?
Allez, en supposant que le Conseil constitutionnel achète ses enveloppes (molletonnées, à bulles… autres) au prix de gros, qu’un tarif postal lui est consenti pour un tel envoi en nombre, qu’un CD et sa pochette n’est pas si onéreux. Multiplions 2,50 euros, à la louche, par 40 000 (le nombre des avocats en France s’élevait à 50 314 début 2009, il y a aussi, jusque fin 2011, des avoués, mais tablons sur 40 000 adresses distinctes).
100 000 euros ? Le prix d’un petit studio dans une grande ville ?
Hier soir, un ami, spécialiste du PDF, me disait que, sans doute, toute la jurisprudence annuelle du Conseil pouvait être jointe à un courriel, sans trop alourdir l’envoi. Les destinataires auraient d’ailleurs pu se contenter d’un lien pour le télécharger, ce fichier. Mais bon, c’est moins flatteur.