Professeur des écoles. Je suis professeur des écoles. Instit' comme on dit dans les séries télé.

Et j'avoue ! Je voudrais faire classe à des orphelins. Oh pas des Cosette, des malheureux et tout. Non, des élèves sans parents.

Parce qu'il faut bien le dire tout de même, l'enfer quand on est instit ce ne sont pas les élèves ce sont ceux qui signent (parfois) leurs carnets de note et de correspondance. «Il ne veut pas s'habiller ce matin, j'espère que vous arriverez à le convaincre moi je n'y arrive pô.» Heureux indiens d'Amazonie qui vivent nus, leurs instits n'ont pas à pallier aux carences des parents dans l'apprentissage des avantages en matière de relations sociales découlant du simple fait de s'habiller. «Allez tu viens mon chéri, allez tu viens, tuuuuu viens…. allez moi ze pars.» Ah le touchant spectacle. Chaque soir. Gratos ! A la sortie de chaque école. Publique ou privée, la Catho pas mieux que la Sociale… je sais bien j'ai fait les deux. Le spectacle de 16h30, donc, où les mômans (ou les pôpas) passent trois heures à essayer de récupérer leurs chéris qui se roulent par terre dans la cour. Faut voir aussi que dès qu'un enfant aperçoit papamaman il perd environ la moitié de son âge et redeviens un poupon capricieux. Bon nous aussi on était comme ça faut dire, enfin sûrement, mais dans ces proportions ? Et puis aujourd'hui après 30 ans d'enfant-roi ce n'est plus de l'écoute, c'est de la complicité active !

Alors en ce moment la radio et la télévision sont toute compatissantes en toute pleine d'interrogation suite à l'agression au couteau d'une prof de collège par un enfant de 13 ans. «Sont-ils devenus fous ?», «Génération surin ?», «Colombine-sur-Seine c'est t'y pour demain ?» Bah moi je lève le doigt pour dire que j'ai une tentative d'explication à tout ça dans ma trousse et même plusieurs. Mais tout pêle-mêle par contre: Les parents tout stressés par la vie, le boulot et tout ça et puis les licenciements et puis faut être des «performers», faut se battre pour tout et même que pour être femme de ménage maintenant faut avoir fait la Sorbonne avec mention. Y'en a qui aiment ça le travail non-stop et la vie de famille minimum mais y'en a un paquet a qui on l'impose, mais souvent leurs gosses suivent la même trajectoire.

Parce que faut avouer, le soir on a plus envie le soir de s'occuper des gosses tout crevés et tout médicamentés qu'on est. Et puis on veut plus être parents comme nos grands-parents. Surtout pas. Pas d'autorité. pas d'autorité, surtout pas d'autorité, «ma gosse c'est ma copine», «m'appelle pas maman appelle moi Monique», pas d'autorité c'est vieux-jeu, c'est «fasciste». En fait on cumule maintenant les handicaps de Mai 68 et du Sarko-Thatchérisme. «Travailler plus pour gagner plus»… et les week-ends et les jours fériés et ça y va les heures supplémentaires mais en même temps on laisse l'instit' ou la garderie habiller le mouflet le matin ou lui faire avaler son petit déj' parce que nous on veut pas, on a pas la force de se battre avec Chérid'amour quand on se bat déjà avec ses chefs et sous-chefs pendant la semaine et puis déjà qu'on se bouffe la gueule avec le père ou la mère de la merveille et puis on commence tôt et on fini tard et puis et puis.. Et puis on veut être un parent cool c'est marqué dans Dolto, la fessé par exemple c'est caca, le «non !» clair et définitif c'est un truc de nazi. Bon, on sait pas trop si c'est Dolto qu'à raconté ça pour de vrai ou Freynet ou Montessori mais notre copine Vanessa elle nous a dit ça en tout cas… alors on culpabilise et puis on flippe parce qu'on est pas trop sûr de nous en fait, on a peur de faire tout mal.

Alors on confie nos gosses à l'instituteur pour faire tout ce qu'on ne fait pas à la maison. Les tables de multiplication plus le respect des adultes, plus le «non tu n'auras pas ça tout de suite», le «roule toi par terre si ça te fait plus mais non c'est non !». On confie tout ça à l'instit puis aux profs mais attention si jamais ils font la moindre erreur, c'est la guerre; si jamais chérid'amour ne veut pas aller en classe le matin c'est chérid'amour qui aura raison «parce que l'instit est incompétent», «avec toutes les vacances qu'ils ont tout de même !»«et les grèves !»… Et puis maintenant on connaît les programmes mieux qu'eux, parce qu'on les lit.. Comme ça on a l'impression de s'occuper de la scolarité de nos gosses. On n'a aucune autorité sur lui mais on sait ce qu'il doit apprendre mieux que le maître.

Alors tout ça c'est vraiment pêle-mêle. Y'a sûrement du vrai mais aussi du ressenti et du ras-le-bol et expliquer aussi pourquoi avant tout un gamin il a une mère, un père, d'autres gens autour de lui et un instituteur puis des profs mais quand tout cela fusionne ça donne des faits divers dans les journaux et une grande inquiétude pour l'avenir.

Maiann