Ce mardi 13 avril 2010, le gouvernement bolivarien de Hugo Chavez a présenté à la presse son premier « commando juvénile de guérilleros des médias ».

C’est ainsi qu’a été lancée en début de semaine l’opération « Trueno comunicacional » (tonnerre communicationnel) et qu’un tout premier groupe de 79 jeunes Vénézuéliens âgés de treize à dix-sept ans a prêté serment de loyauté devant les membres du gouvernement pour intégrer ce que le président Hugo Chavez appelle la « guérilla communicationnelle » !

Prestation de serment :

 

 

Ces étudiants seront chargés de recueillir tous les articles publiés par la presse d’opposition, que ce soit dans les quotidiens, à la télévision, à la radio ou sur Internet, afin de présenter chaque semaine un rapport sur les articles critiquant l’action du gouvernement et la révolution bolivarienne. Ces commandos de guérilléros seront formés — en dehors des heures de classe — au journalisme populaire ainsi qu’à la perception critique de la communication.

Selon Tania Diaz, ministre de l’Information, le but de cette guérilla n’est pas d’apprendre le maniement des armes à feu, mais de répondre par les mêmes moyens à la guerre idéologique que l’impérialisme a lancée contre le Venezuela. Comme l’a souligné le président Chavez : « l’objectif de cette guérilla est de répondre par les mêmes armes aux attaques qui sont faites contre le peuple, ces jeunes guérilleros ne recevront donc qu’une formation idéologique leur permettant de répondre aux campagnes médiatiques de l’opposition ! Leurs armes seront un cahier, un appareil-photo, un téléphone portable et un dictaphone, et les seuls tirs qu’ils effectueront seront de lancer des idées et de la propagande contre les campagnes mal intentionnées mises en place par les grands médias privés. »

« Le but ultime », a poursuivi Hugo Chavez, « est d’arriver au silence médiatique » !

Évidemment, l’opposition a immédiatement réagi, qualifiant de prosélytisme politique cette invention du gouvernement Chavez, et dénonçant vivement l’endoctrinement forcé des nouvelles générations.

Marcelino Bisbal, directeur du deuxième cycle de la faculté de communication de l’UCAB (Universidad Católica Andrés Bello, Caracas), a dénoncé la création de cette guérilla juvénile, non seulement parce que, selon lui, elle va servir à endoctriner les jeunes populations, mais également parce qu’elle va répandre la peur dans la société vénézuélienne et fermer les derniers espaces de liberté et de démocratie qui restaient dans le pays.

Le porte-parole de la coalition des partis d’opposition, José Luis Faría, a quant à lui souligné que le gouvernement de Hugo Chavez violait les lois du pays en introduisant dans l’éducation une idéologie politique unique, et que les termes de commando et de guérilla renfermaient en eux-mêmes une idée de violence et de haine de l’autre.

José Luis Faría a de plus relevé que le président avait précisé que cette guérilla communicationnelle allait s’attaquer à la presse privée et d’opposition, mais qu’à aucun moment il n’a mentionné une quelconque surveillance des médias à la solde du gouvernement… ce qui prouve qu’au Venezuela la seule vérité bonne à dire est celle de la révolution bolivarienne.

Outre le fait que cette nouvelle guérilla fait penser aux mouvements de jeunesse instaurés par les différents caudillos que l’histoire a connus, dans le but de perpétuer le pouvoir en endoctrinant les nouvelles générations, il semble évident que le choix des termes de guérilla et de commando — plutôt que d’appeler ce mouvement, par exemple, groupe de réflexion sur les médias — permet au mouvement bolivarien de rester dans sa dynamique révolutionnaire. Le port d’un uniforme de style militaire va d’ailleurs dans le même sens.

Enfin, cette invention de Hugo Chavez est vraisemblablement le dernier moyen qu’il a trouvé pour détourner l’attention de la population des vrais problèmes qu’affronte actuellement le Venezuela (crise énergétique, crise de l’emploi, corruption, violence…). Il imite en cela tous les démagogues qui cherchent à l’extérieur les coupables des problèmes internes.

De plus, avec cette mesure et en assurant l’éducation des masses, le gouvernement renforce son encadrement de pans entiers de la population qu’il mobilise autour de l’idéologie du régime mais, surtout, autour d’un chef dont on veut célébrer le culte et qu’on présente comme un « père » ou un grand pédagogue qui à la lourde tâche de former l’homme nouveau, le révolutionnaire parfait.

Ainsi, en s’impliquant dans l’éducation de la jeunesse, la révolution va permettre la réalisation de cet homme nouveau, éduqué selon les normes et les préceptes idéologiques du régime.

C’est pourquoi de nombreux analystes constatent que la démocratie vénézuélienne semble glisser sournoisement vers le totalitarisme… mais il faut reconnaître que la tentative de coup d’État de 2002 contre Hugo Chavez est peut-être pour beaucoup dans ce glissement, et dans la paranoïa grandissante du président ; tout comme sa restauration par l’armée est sans doute responsable de l’apparition de cette « egocratie » dont semble souffrir actuellement ce pays sud-américain.

Il faut d’ailleurs se rappeler que c’est à cette époque que furent créées les milices bolivariennes, un groupe paramilitaire chargé de défendre le président et à travers lui, la révolution.

Cette garde prétorienne — dont la devise manque furieusement d’originalité : PATRIA, SOCIALISMO O MUERTE… VENCEREMOS ! Hasta la Victoria Siempre. — a été légalement constituée par modification de la Constitution où l’on peut lire : « Il s’agit d’une force indépendante placée directement sous le commandement du président de la République, dont la mission est de défendre le chef de l’État, de défendre la révolution, de réaliser des missions d’espionnage, de recueillir, d’analyser et de diffuser les informations provenant des organismes publics et privés. »

Selon les législateurs, cette milice paramilitaire possède également une mission continentale et donc extrafrontalière. Mais Hugo Chavez ne s’est pas arrêté là, et il a également créé les milices paysannes ! Il n’aura donc rien appris de l’exemple malheureux de la Colombie voisine, où la création de semblables milices s’est révélée, avec le temps, plus dangereuse que les problèmes de sécurité qu’elle était censée combattre.

Ici quelques photos de ces milices paysannes :

http://www.noticias24.com/actualidad/noticia/144419/en-imagenes-las-milicias-campesinas-con-fusiles-al-hombro-en-el-calvario/

 

 

 

Il semble donc que le régime vénézuélien agisse comme bien des régimes totalitaires, en suscitant la crainte d’un ennemi imaginaire, ce qui permet la création d’appareils de répression de plus en plus puissants. Ces mêmes appareils renforcent le climat de terreur et désignent des suspects sur des bases racistes (Colombiens, Américains), de classe (les classes exploitantes, l’impérialisme…) ou même encore plus floues (le complot judéo-maçonnique).

Ainsi, c’est la population tout entière qui va se sentir suspecte, qui va craindre de ne pas être suffisamment révolutionnaire, et tout le pays va peu à peu ressembler à un immense camp de concentration… symbole ultime des régimes totalitaires.

Si, comme de nombreux régimes de ce type, le régime vénézuélien se caractérise comme étant révolutionnaire, il est clair que son objectif final – et avoué — est de détruire la société pour la remodeler selon une nouvelle idéologie. Et pour se faire, il lui est indispensable de contrôler l’individu et l’État.

C’est pourquoi cette nouvelle guérilla des médias va l’aider à ancrer ses idées dans la société vénézuélienne en investissant sa jeunesse.

Avec le temps, le régime n’aura plus besoin de lutter, puisqu’il pourra miser sur l’esclavage volontaire… et sa révolution sera accomplie !

 

 

Sources :

"Guerrilla comunicacional" combatirá la "mentira", El Universal, Caracas, 2010

Chávez crea comandos guerrilleros comunicaciones, ABC, Madrid, 2010

Inicia conformación de Comandos de Guerrillas Comunicacionales, Ministerio del Poder Popular para la Communicación y la Información, Caracas, 2010.

El nuevo arma de Venezuela: las ‘guerrillas comunicacionales’ de Chávez, Expansión, 2010

Oposición pidió a Unicef rechazar uso de niños en “guerrilla”, El Tiempo, Caracas, 2010

— Denuncian la "guerrilla comunicacional" de Chávez ante la Unicef, Clarin, 2010

Bibliographie :

Arendt H., La nature du totalitarisme, Payot 1990

Arendt H., Idéologie et terreur, Hermann, 2008

Decreto N° 6.239 con Rango, Valor y Fuerza de Ley Orgánica de la Fuerza Armada Nacional Bolivariana

Gentile F., La voie italienne : le parti et l’État sous le régime fasciste.

— Humberto Márquez , Reserva militar contra invasión virtual, 2005

Lecomte J-P, L’essentiel de la sociologie politique, Gualino Eds, 2006

Lefort C., L’invention démocratique, Fayard, 1981

Oxford University Press , A Contribution to the Theory of Dictatorship, 1941