Franchement, je n’ai pas trop compris pourquoi Mediapart a fait remonter en tête de sa page d’accueil un papier datant de deux jours intitulé « Légion d’honneur : la riche promotion du Premier Cercle » (à savoir, des donateurs de l’UMP ou peut-être de la seule campagne de 2007 de Sarkozy). La chose était entendue d’avance, non ? La République « des copains et des copains » ne date pas d’hier. Mais il est vrai que c’est assez farce.

Donc, sur 544 donateurs du Premier Cercle des potes fortunés de Sarkozy, 64 « au moins » ont été faits chevaliers de la Légion d’honneur ou promus. Bien sûr, bien sûr, la décoration est censée distinguer des personnes « en dehors de toute considération sociale ou héréditaire ».

Bah, à part des universitaires, quelques très rares altruistes ayant mouillé la chemise dans la vie associative de base (pas la vie associative patronale), et quand même encore quelques militaires s’étant très honorablement comportés au feu, plus personne, pratiquement, n’est nommé dans la Légion d’honneur selon ce critère.

Non information donc. Hormis le fait que Mediapart a réussi à se procurer l’annuaire du fameux Premier Cercle qui a valu au falot Éric Woerth de devenir ministre, histoire de couvrir les histoires de paris en ligne et quelques autres affaires. Les noms m’importent peu.

Mais qu’on retrouve des Grand’ croix, des Grands officiers ou des commandeurs en peloton serré pourrait faire sourire.

Ce qui m’a amusé, c’est que, hors donateurs résidant à l’étranger (surtout à Londres ou des places boursières), les provinciaux sont vraiment très, très peu nombreux. Deux Mulhousiens quand même, mais sinon, la côte normande ou la huppée Saint-Raphaël font figure d’incongruité tant les habitants de Paris ou de Neuilly-sur-Seine (un autre « banlieusard » quand même, mais de Senlis, pas vraiment une localité à barres et tours de logements sociaux) prédominent fort, mais alors, très, très fort. Neuilly-sur-Seine, huit, avec majorité d’officiers ou commandeurs (deux p’tits officiers). Mais Paris l’emporte largement haut-la-main.

Les financiers et banquiers aussi forment le gros du peloton. Qu’ils soient parisiens ou à l’étranger (eh, il fallait faire élire des députés de l’étranger). Sinon, quelques industriels, deux filles de famille, et François-Henri Pinault, futur belge, fils de papa François. Deux éminents fraudeurs fiscaux sont du nombre.

Amusant aussi, la nomination d’une inconnue ayant tellement œuvré au rapprochement israélo-palestinien que, là, vraiment, on conçoit que l’important c’est d’avoir participé, pas forcément d’être efficace. Il faut dire que la madame était une rabatteuse du Premier Cercle. Nombre de ces gens ont aussi été récompensés par des missions ou d’autres honneurs. Si ce n’est par des marchés.

Un légionnaire un peu hors-norme, Alain Estival, dont la décoration « est enfermée au fond d’un tiroir » à côté de celle de son père (mais ce n’est pas un fils de… du tout…), résume en commentaire : « c’est devenu la médaille du travail » des plus gradés de la fonction publique, et le hochet des possédants… complaisants et mettant la main à la poche. La France, de ce point de vue, n’a plus rien à envier au Vatican.

Suggestion à Mediapart : offrir aux abonnés un calibre (mécanisme) quelconque surmonté d’une cadran Bolex ou Roleks – car Rolex n’apprécierait pas – serti dans un colifichet de bonne taille de l’Ordre, genre rappeur, avec bracelet plastique imitation crocodile.

Encore que ce serait un peu désobligeant pour Sir Paul (McCartney), décoré début septembre dernier par François Hollande, et qui ne mérite pas vraiment qu’on se gausse ainsi de sa décoration.

« Honneur et Patrie », belle devise pour Christian Clavier (chevalier en 2008), et quelques autres expatriés.

Comme le dit le secrétaire général de la Grande Chancellerie, être nommé ou promu implique beaucoup de devoirs alors qu’on reçoit « très peu de droits ». Et pas les moindres passe-droits par ailleurs ? 

Il n’y avait pas que le Premier Cercle, il y en avait un second, un peu moins choyé, et des micros-partis. La décoration n’était sans doute pas monnayée, mais l’entrée dans les cercles pouvait coûter davantage que les 7 500 euros plafonnés. Certains apportaient leurs chèque personnel, mais aussi celui de parents ou proches auxquels ils faisaient des chèques d’un même montant (ou un peu réduit du fait de la déduction fiscale ultérieure de 66 %).

Saluons quand même la remise de l’insigne à Marie-Paule Cani, chercheuse en synthèse d’images, celle de l’architecte Patrick Bet, de Paul Cohen, enseignant et militant associatif, et à quelques autres, récents promus : on peut fort bien comprendre qu’ils n’aient pas refusé, comme Annie Thébaud-Mony, chercheuse, une distinction souvent – aussi – méritée. Mention spéciale, peut-être, pour Françoise Barret-Ducrocq, universitaire, fondatrice de l’Institut Émilie-du-Châtelet, promue officière, et qui recevra ses insignes en fin de mois dans l’enceinte de Paris-VII-Denis-Diderot.

Mais peut-on vraiment sourire du fait que Bernard Arnault se voit octroyer un KBE (Knight of the British Empire) par la Queen herself ? Un camouflet pour le roi des Belges ou attente de remise gracieuse de caisses de Dom Perignon à Buckhingham ? LVMH aurait créé environ 3 000 emplois au Royaume-Uni (au fait, et combien de licenciements depuis ?) de manière évidemment totalement désintéressée, et aurait contribué à son patrimoine culturel et artistique. Aux unes et aux uns les médailles du travail et peut-être un pot de départ, aux autres les plus hautes distinctions.

Comme un éditorialiste du Financial Times l’écrivait  le mois dernier : « The risk is that in awarding too many glittering prizes to those who already enjoy wealth and public acclaim, the state may devalue the system itself. ». Eh oui, distribuer libéralement des breloques aux mêmes, comme ce fut le cas pour Sir Jimmy Savile (semble-t-il un amuseur pédophile), lui aussi membre de l’Order of the British Empire, soit aux plus en vue, quels que soient les domaines, ou aux plus fortunés, dévalue les récompenses et distinctions. En France, c’est déjà largement fait. Quelques-un·e·s sauvent l’honneur mais difficile d’honnir qui « mal y pense ».