Le Canard enchaîné dénonce une éventuelle magouille entre Bouygues et… on ne sait qui de l’appareil sarkozien d’État à propos du futur ministère de la Défense, dit le « Pentagone français ». Mais l’arbrisseau, soit une enquête judiciaire de plus, ne doit pas cacher la forêt, soit la multiplication des PPP, les fameux partenariats public-privé… Par ailleurs, il semblerait, selon des informations ultérieures révélées par Le Figaro, que Le Canard se soit trompé de cible. Bouygues entend porter plainte… Mais ce n’est pas l’essentiel. 

Quand un État n’a pas les moyens de sa politique, il emprunte, et c’est, à partir d’un certain seuil d’endettement, la crise de la dette. Laquelle dette finit par être supportée par l’ensemble des contribuables. Quand la dette est déjà trop forte, pour soutenir l’activité des grands groupes privés, l’État ou les collectivités s’endettent autrement, via des PPP, les partenariats public-privé… Au passage, des intermédiaires peuvent se sucrer mais, surtout, les grands groupes bénéficiaires de ces juteux contrats peuvent agir à leur aise lors de la réalisation des chantiers.

Prison publique au profit du privé

Le saviez-vous ? Pour remplacer les bombardiers d’eau Tracker et Canadair de la Sécurité civile, déjà bout de souffle, il faudra débourser un demi-milliard d’euros. Comment ? Tiens, pourquoi pas avec un PPP, un partenariat public-privé ? Cela revient à un crédit-bail. Le client, le public, paye selon x échéances, et devient propriétaire… lorsque le bâtiment, le véhicule, l’autoroute, l’hôpital, nécessite de très lourds entretiens, voire une rénovation totale, ou la mise au rencard.

Pour le « Pentagone à la française », Bouygues touchera un loyer annuel d’environ 140 millions d’euros payés par le contribuable pendant 26 ans. Tout est concerné : « les coûts de construction, les frais financiers, l’entretien et la maintenance des bâtiments, les réseaux informatiques, les services divers comme le jardinage, la restauration, le nettoyage, le gardiennage… ». C’est tout ? Et pourquoi pas les opérations spéciales concédées à des sociétés militaires privées (SMP) ?

Vinci ou Eiffage ayant remporté les contrats des lignes ferroviaires à grande vitesse, il était grand temps que Bouygues bénéficie d’un grand contrat.

Quelqu’un a-t-il facilité l’attribution à Bouygues du contrat du ministère de la Défense ? Le Canard enchaîné révèle que deux juges planchent sur d’éventuels trafics d’influence, voire de corruption.

Mais est-ce bien l’essentiel ? Relisons un peu Le Figaro, qui fait état des infos du Canard

Février 2011 : « Bouygues remporte le projet du Pentagone à la française » : « Concrètement, il touchera chaque année un loyer compris entre 125 et 130 millions d’euros pendant (…) 26 ans. ».

Décembre 2011 : « Enquête ouverte sur le futur “Pentagone français” » : « l’État devra verser, durant 27 ans, une redevance annuelle comprise entre 100 et 150 millions. ».

C’est, généralement, ce qui se passe pour tous les PPP. L’engagement étant pris, le coût du chantier s’alourdit. De plus, le bailleur-constructeur prend généralement son temps pour étirer la durée du chantier, demande une rallonge, et obtient d’alourdir encore le montant des loyers. Prévisions pour le fameux French Pentagone : allez, sans doute 160 millions annuels à partir de la mise en service.

Prochain scandale prévisible : le PPP passé entre Paris-VII-Denis-Diderot et la Sogam-Vinci pour le nouveau site se substituant à celui de Jussieu. Pour la rénovation du zoo de Vincennes, on verra (réouverture prévue au public en 2014).

Pansements financiers

Le Centre hospitalier sud-francilien de Corbeil-Essonnes est un géant qui remplace deux autres centres, qui fonctionnaient, et cinq autres, à regrouper. Les deux plus important, ceux d’Evry-Courcouronnes et de Corbeil sont ainsi fusionnés. Depuis, la Cour des comptes a évoqué « une formule juridique contraignante au financement aléatoire », Eiffage, bénéficiaire, a fait durer le chantier, multiplié les malfaçons, et réclamait déjà en juin dernier les 38,8 M€ sur 30 ans, plus diverses rallonges d’un total avoisinant 100 millions. L’ouverture du CHSF est repoussée à fin janvier 2012, mais à présent, Eiffage réclame 170 millions de mieux pour « des modifications » dont la plupart découlent d’une réalisation que Manuel Valls (PS) estime fautive. Xavier Bertrand estimait pour sa part qu’il y avait un « préjudice pour l’État ». N’était-il point prévisible ?

Il faudrait réexaminer tous les PPP, passés avec l’État ou les collectivités territoriales, pour se faire une idée. Ceux d’Eiffage, qui entreprendra, après le stade de Lille, la LGV Bretagne-Pays-de-Loire et le canal Seine-Nord, ceux des autres, soit, pour les principaux autres, ceux de Vinci ou Bouygues.

Eiffage a notamment réalisé le regroupement du CHRU de Dijon et le CHIAB d’Annemasse-Bonnevile (financement sur 35 ans). Le CHIAB sera livré en retard. À Dijon, pour rembourser, en prévision, le CHRU vient de faire monter le forfait journalier hospitalier à 41 euros. Le nouveau CHRU devrait être livré en 2013.

C’est en juin 2004 qu’ont été institutionnalisés les PPP. Un modèle importé du Royaume-Uni (15 % des investissements publics, depuis 1992).

En général, les grands groupes sont les seuls à pouvoir s’associer avec un financeur, ce qui exclut les PME de ces contrats. Les architectes estiment que, pour les maîtres d’œuvre qui se retrouvent aussi être de fait les maîtres d’ouvrages, seule compte la rentabilité.

Dette cachée

De nombreux PPP sont en fait financés par des emprunts toxiques. Ce qui augmente le poids des loyers-redevances. Le système est en fait ancien, et le métro de Paris avait été au départ une concession. On est passé, en juin 2004, en France, au « contrat de partenariat ». Il s’agissait d’élargir le cadre de la loi d’orientation et de programmation de 2002, qui ouvrait la voie au PPP de type CP.

Une révision est intervenue en février 2009.

De plus, si les groupes privés encaissent les loyers, c’est à l’exploitant d’assurer la rentabilité de l’exploitation. Dans les cadre de la Santé publique, on se demande si les regroupements de structures visent à bien assurer la couverture hospitalière ou tout simplement à soutenir le BTP via ce type de financement qui, par rapport à la « règle d’or » des déficits publics des États, revient à générer de la dette cachée.

Parfois, les PPP peuvent être avantageux pour la puissance publique. Ainsi, Orlyval (desserte d’Orly) a fini par être cédée pour le franc symbolique à la RATP : ce n’était pas assez rentable pour les banques, Matra, Air Inter et Lyonnaise des eaux.

La France est à présent dotée d’une Mission d’appui aux PPP (MAPPP), sous le contrôle de Bercy. On prévoit 12 millions d’euros pour la période début 2011à fin 2012. Sur le papier, tout va bien. En fait, avec les dépassements de coûts, les avenants des contrats désavantageux pour le public, et diverses modifications prévisibles mais non-prévues, la puissance publique se retrouve souvent avec des équipements supposés devoir être livrés plus vite, et plus performants, mais qui sont au final plus coûteux.

D’un côté, on a défiscalisé, réduit la fonction publique au profit de la sous-traitance à des cabinets privés, fait gonfler la dette publique. De l’autre on a affermé la commande publique au profit des banques et des grands groupes du BTP via les PPP.

Cela va très loin : ainsi, c’est un PPP avec le groupe Virbac qui est utilisé pour élaborer un vaccin canin, puis un vaccin humain, contre la leishmaniose viscérale canine (qui se transmet à l’homme).

Sarkozy vient d’envisager des PPP avec Google ou d’autres grands opérateurs de l’Internet.

Il n’y a pas que les « ripoux-bétonneurs » qui sont concernés.

Prise en étau

Les PPP sont désormais autorisés dans les cas où « la personne publique n’est pas objectivement en mesure de définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ou établir le montage financier ou juridique… ». Priver la personne publique de moyens techniques ou juridiques (et on a vu ce que cela a donné avec les emprunts pourris), réduire les effectifs de la fonction publique, c’est encore mieux pour tout confier au privé.

Les ministres, les présidents des collectivités ou les maires inaugurent et coupent les rubans. Leurs successeurs doivent ensuite couper dans les lignes budgétaires pour rembourser. Mais bien évidemment, chaque nouveau contrat est qualifié de « gagnant-gagnant ».

Rappelons que la dette française a doublé depuis dix ans. Dans le même temps, les PPP montaient en puissance : on va bientôt atteindre le premier rang européen pour ce type de financement. Est-ce vraiment un hasard ?

Actualisation : Bouygues hors de cause ?

Selon Le Figaro daté du 16 décembre, Bouygues serait hors de cause, et c’est un autre chantier, sur lequel travaille une coopérative du BTP, qui aurait fait l’objet de communications avant passation du marché. Le Figaro précise : « Il semble finalement que le contrat visé par l’enquête ne soit donc pas le partenariat public-privé obtenu par Bouygues mais l’attribution en 2008 d’un marché pour la rénovation de la tour A de la cité de l’Air, un bâtiment de 20.000 mètres carrés dont les travaux ont commencé en 2009 et doivent être achevés fin 2012 pour accueillir les nouveaux bureaux de la Direction générale de l’Armement (DGA). ».
Bon, dont acte, jusqu’à la prochaine affaire…